Le parfum en liberté pourrait être le sous-titre du Speed Smelling qu’IFF (International Flavors & Fragrances) organise chaque année (depuis 2009) avec des cartes blanches données à ses parfumeurs. Si la démarche était auparavant un délice réservé aux journalistes spécialistes du secteur, un coffret est désormais disponible et accessible aux amateurs (édité chez Quintessence).
L’événement lui-même se déroule en 7 minutes chrono de présentation pour chaque parfumeur (onze pour l’édition 2013). Libres, les créations suivent les envies et l’inspiration des parfumeurs et sans limite de prix (ce facteur intervient beaucoup dans la création des parfums grand public avec les marques qui fixent un prix maximum au kilo à ne pas dépasser). Chez IFF, les parfumeurs ont notamment à leur disposition les magnifiques matières premières LMR (Laboratoire Monique Rémy aujourd’hui dans le giron IFF). Pour les amateurs de parfums, le Speed Smellling permet, avec bonheur, de découvrir des compositions qui sortent des sentiers battus. Avec des partis pris parfois très audacieux, cet exercice prouve que la parfumerie pourrait être riche en nouveautés et échapper aux tendances (je pense notamment aux gourmands qui occupent le terrain aujourd’hui). Une curiosité signée des meilleurs parfumeurs.
Dans la cuvée 2013 figurent onze créations.
-Nicolas Beaulieu a choisi de retravailler un iris avec une vanille, une combinaison de deux douceurs : l’une délicatement poudrée et l’autre chaude et opulente. Face à la puissance de la gousse, l’iris en majesté réussit néanmoins à dominer.
-Domitille Bertier, pour célébrer l’addiction, a choisi noisette et sésame avec maté, patchouli… Un côté grillé chaleureux pour une gourmandise délicate et un peu lactée.
-Loc Dong remonte aux sources de l’écriture au pinceau avec une riche odeur d’encre noire, voyage en calligraphie.
-Anne Flipo a retravaillé la tubéreuse. Incroyable fleur, la tubéreuse est l’héroïne de Fracas (tonitruante composition de Germaine Cellier), s’exprime dans une version un peu pharmacie avec la Criminelle de Serge Lutens ou encore Carnal Flower sensuelle et animale (Dominique Ropion chez Frédéric Malle). Anne Flipo a pris le parti de la rendre « gustative » avec des fruits secs, mais aussi d’autres fleurs blanches, jasmin, néroli. Moins vénéneuse, un poil gourmande et… joyeuse.
-Jean-Christophe Hérault s’est plongé dans le délicieux conte de la princesse au petit pois. Sur le principe de Zeuxis et de la tromperie visuelle de la grappe de raison, il a imaginé l’équivalent en olfaction qu’il qualifie joliment de « trompe nez ». L’original petit pois (presque fraîchement cueilli) devient un peu lacté (santal), prêt à s’enfouir dans une pile d’édredons moelleux.
-Juliette Karagueuzoglou a choisi le thème de la « nativité ». Retour à un parfum d’enfance, mais à la fraîcheur Cologne. Galbanum vert sur fond lacté (dulce de lece) et encens. Une belle fraîcheur verte en offrande.
-Sophie Labbé. Librement inspirée par la lecture des Cinquante nuances de Grey, Sophie Labbé a imaginé un parfum de peau autour d’une douceur musc et ambre, aldéhydes, jasmin, cumin, musc, cèdre. Le parfum d’un homme sensuel ?
-Aliénor Massenet. Très active au sein du CEW (Cosmetic Executive Women), le parfumeur anime régulièrement un atelier d‘olfactothérapie (pour « guérir par l’odeur »). À la demande de malades, elle a choisi de recomposer un lilas (la fleur ne se « donne » pas naturellement) avec rose, jasmin, patchouli, styrax…Et le résultat est là, embaumant le lilas à plein nez !
-Veronique Nyberg part en Suède et imagine la « chaleur gourmande au coeur d’un nuit interminable ». Se dégustent cannelle, vanille (gâteaux de Noël) sur accord chocolat café, sauge, lavandin, anis (souvenir d’aquavit), benjoin, myrrhe.
-Olivier Polge a choisi de travailler une des matières magnifiques de la parfumerie, le santal. Après la mythique provenance de Mysore, le santal australien a désormais ses lettres de noblesse et participe au développement durable. Olivier Polge rend hommage à la matière qu’il souhaitait presque nue. Autour du santal, des notes de cardamome, piment, cannelle, méthyl ionone (côté violette). Un santal tout en douceur et subtil.
-Dominique Ropion se replonge dans le oud, mais pas de façon orientale, il imagine une rencontre atypique et compose un accord oud champagne avec un bouquet floral, fleur de cassie, mimosa, iris et une touche de castoreum (matière animale encore heureusement autorisée !). Sensualité ambivalente de l’art et la matière.
www.speedsmelling.com