Fracas

 

 

Fracas ? Un choc, une fracture. La découverte tonitruante de la tubéreuse, sulfureuse à l’odeur puissante, entêtante, enivrante s’est incarnée en Fracas (Robert Piguet). Presque soliflore, Fracas est étourdissant, envahissant, il réussit la mise en bouteille de cette fleur incroyable. Avec Fracas, je m’imagine dans un ascenseur, seule, ayant fait fuir les autres passagers, incommodés par ce parfum terrible.

De cette fleur, on raconte qu’il était plus prudent de faire, à la nuit tombante, rentrer les jeunes filles pour ne pas affoler leurs sens avec l’air des champs de tubéreuses.

Vénéneuse, tonitruante tubéreuse. Zola imagine sa fin dans Nana : « Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine. » Colette aussi la raconte : « …alors ma rivale ineffable n’a qu’à paraître, et tout gardénia que je suis je faiblis, je me prosterne devant la tubéreuse. Elle ne m’en a pas gratitude. Sa fraîcheur, qui est celle d’un jeune bout de sein, dure plus que la mienne. »

Capiteuse, elle se dessine, sensuelle, animale, un brin camphrée, doucement lactée…

Si la tubéreuse je l’ai connue dans le noir flacon de Fracas, je l’ai redécouverte dans un texte de Kawabata (Récits de la paume de la main) et m’obstinais à la faire filmer, fraîche et odoriférante (mais sans odorama), pour le documentaire Kawabata, le maître des funérailles (Les écrivains du siècle pour France 3).

Les mots de Kawabata m’enchantent : « Les fleurs d’un pays de rêve… Comme les fleurs d’un mirage blanc… »… « Les fleurs s’ouvrent comme caressées par la brise, elles s’épanouissent comme des fleurs de lotus. »… « Les grandes corolles immaculées, fleuries au bout de gros pédoncules surgissant entre des feuilles longilignes, se balançaient imperceptiblement au souffle de la brise. C’étaient des fleurs étranges, complètement différentes des chrysanthèmes blancs, ou des dahlias blancs aux pétales effilés. On eût dit des fleurs flottant dans un rêve… La plante appartenant à l’espèce des cactus, des feuilles surgissaient d’autres feuilles. Les pistils étaient longs. »… « Un parfum suave enveloppa Sumiko : l’odeur était plus sucrée et moins insistante que celle du lys ».

La tubéreuse appartient aux agavacées et est originaire du Mexique avant d’être introduite en Europe au XVIè siècle. A partir du XVIIè s., Grasse la cultiva longtemps pour la parfumerie.
Dans mon esprit, filmer la tubéreuse rendait hommage à Fracas. Kidnappant les belles (achetées chez Moulié) après le tournage, elles embaumèrent la bibliothèque où mon filleul Antonin T. les découvrit et s’en inspira, motif blanc sur tee-shirt noir.

Audacieux et puissant, Fracas est le chef d’oeuvre d’une femme, parfumeur de talent et de tempérament : Germaine Cellier. Dans la composition au final très soliflore, des senteurs subtiles néanmoins : bergamote, mandarine, jacinthe et un bouquet de fleurs blanches avec la présence écrasante de la tubéreuse sur des notes de jasmin, mais aussi rose et iris sur fond bois de santal, vétiver et muscs.

Avec le temps Fracas a changé de main et a aussi évolué. À une époque, il ne se trouvait qu’à New York et puis il est revenu en France notamment au Bon marché qui, pour ses 160 ans, a imaginé une édition  limitée dans un flacon de Pierre Dinand. 800 exemplaires avec les initiales I H d’Isabelle Huppert, devenue l’égérie de ce parfum inoubliable.

Le bonheur exquis de cette tubéreuse, je l‘ai aussi retrouvé dans d’autres parfums, mais trois se distinguent. Imposante dans le premier Poison de Dior, elle s’incarne maléfique dans son flacon pomme tentateur. Serge Lutens l’a imaginée Criminelle, et lui a donné un côté un peu pharmaceutique intrigant, troublant. Dominique Ropion, aux éditions de Frédéric Malle, a imaginé une Carnal Flower, un peu verte au départ puis sensuelle, subtile.

 

Naissance : 1948

Maman : Germaine Cellier

Famille : Florale (« soliflore »)

Genre : Féminin

 

Disponible notamment Au Bon marché et chez Jovoy.

 

Le 4 decembre

 

 

 

 

 

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