Entre Pierre Bergé et Yves Saint Laurent s’est écrite une histoire d’amour qui a joué un rôle majeur sur la scène de la mode pendant 40 ans.
Captivant, le documentaire de Pierre Thorreton raconte Yves vu par les yeux de Pierre. Si le créateur obtint talent, succès, honneurs, gloire et argent, Pierre Bergé ne le vit pourtant pas très heureux : deux fois par an, dans le brouhaha du succès d’une collection, mais « le lendemain déjà le soufflé retombait et le surlendemain, plus rien… »
L’histoire s’égrène avec des images d’archives et surtout la mémoire des lieux où vécut le couple. En fil rouge la vente Bergé Saint Laurent où l’homme d’affaires choisit, sans état d’âme, de se séparer de ses objets. Dans le documentaire, Pierre Bergé évoque la possibilité inverse et conclut qu’Yves n’aurait pu se séparer de ses objets.
-Les débuts. La ligne trapèze signe le succès d’un jeune homme d’à peine vingt ans débutant chez Dior. Des images de sa conférence de presse le montre beau et séduisant, mais aussi timide, réservé.
-Une rencontre. S’ils se sont d’abord croisés sans se voir aux funérailles de Christian Dior, c’est lors d’un dîner que leur histoire a commencé.
-Une maison de couture. Pour une question de non engagement militaire, Yves Saint Laurent perd son poste chez Dior. Le destin lance les dés de la couture. Pierre Bergé trouve des partenaires et aide à la création de la maison.
-Les premiers défilés. En bande son s’esquissent les commentaires des spectateurs. Les mannequins en backstage. La main d’Yves Saint Laurent pour la dernière touche avant le podium. Pierre Bergé affairé, surveillant, grondant, orchestrant, commandant.
-Célébrité. Avec Andy Warhol, la séance de photos ira au-delà du quart d’heure. L’artiste dit : « vous préférez sans lunettes ? », la mini série warholienne est offerte en cadeau de Noël tandis que Mike Jagger fait trois tours autour du piano.
-Le jeu de la vérité. Pierre Bergé pose des questions à Yves. Le couturier répond avec humour et s’amuse de ses réponses comme un gamin se réjouit d’une farce. Le bonheur sur terre ? « Un grand lit rempli »…
-La création. Les collections les plus belles se suivent, l’inspiration est ailleurs. L’Afrique magnifique, l’ « invention » de la robe Mondrian (sûrement une des robes majeures du XXè siècle). Les hommages à la peinture (Braque, van Gogh, Picasso…).
-La collection. Si l’art fut source d’inspiration en mode, il fut aussi un objet de passion avec l’achat de tableaux (Goya, Ensor, Matisse,…), une exceptionnelle sculpture de Brancusi… qui vinrent meubler appartement parisien et les différentes demeures (Maroc, Normandie).
-Les mariées. Dans un symbolique carrousel de fin de collections se succèdent les mariées, en blanc souvent mais aussi rouges ou encore (peut-être pas la plus réussie…) en « bikini » à fleurs, mais dont le couturier parle avec une délicieuse fraîcheur.
-Rive gauche. C’est avant mai 68 que YSL imagine de populariser ses créations et de les proposer avec une forme de démocratisation, annonçant le prêt-à-porter.
-Un parfum de soufre. Un intéressant passage sur la genèse d’Opium, aujourd’hui un des grands classiques de la parfumerie. Le lancement fut chaotique aux Etats-Unis avec notamment les communautés chinoises qui n’appréciaient pas que ce nom devienne celui d’un parfum alors que les guerres de l’opium avaient fait tant de morts dans leur pays. Si le visuel avec Jerry Hall est encore bien présent dans nos mémoires, le film avec Linda Evangelista est à redécouvrir avec bonheur. Audace et énergie pour donner envie de s‘adonner à un parfum d’interdit.
-Témoins. Si Pierre Bergé est omniprésent, ses deux amies, muses et comparses racontent. Betty Catroux, la compagne des excès, des fantaisies les plus débridées et Loulou de la Falaise plus posée, l’incitant à avancer, à créer.
-Les excès. Des responsabilités très jeune, le succès, la gloire et aussi un cortège d’excès pour tenir, continuer. L’alcool, la drogue pendant des années avant une cure de désintoxication.
-1998. Pour la coupe du monde de football un défilé commémoratif et spectaculaire.
-L’adieu. Yves Saint Laurent annonce sa décision de partir, de quitter la mode pour des raisons personnelles et aussi sans doute parce que le monde de la mode a changé.
-Le dernier défilé. Une belle rétrospective et un moment d’émotion traduit par les paroles de « ma plus belle histoire d’amour c’est vous » chanté par Catherine Deneuve.
-L’esprit du lieu. L’appartement parisien aux mille trésors. Au fil du documentaire, les cimaises s’appauvrissent, les experts observent, écrivent. Des personnes numérotent, emballent. Le départ vers le lieu de la vente. La construction des décors et enfin la vente sous le marteau des commissaires priseurs avec des prix qui souvent flambent : Matisse, Ensor, le flacon de parfum de Marcel Duchamp…
-Le Maroc. La maison. Les jardins Majorelle, le goût pour l’Orient.
-La Normandie, un havre de paix et aussi une datcha. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent dans une carriole, le bruit des sabots rythme l’image immobile. Cela devait être un lieu vivre, pour recevoir, mais c’est plutôt devenu une retraite…
Mélancolie du succès.