L’homme fleur

Si depuis la fin du XIXème siècle, l’homme s’est classiquement engoncé dans un costume trois (deux) pièces, il s’est aussi laissé enfermer dans quelques familles de parfums. A la même époque la parfumerie s’est donnée un sexe. La fraîcheur des notes hespéridées (tradition de la Cologne), les senteurs boisées et aussi cuirées qualifièrent les masculins tandis que la femme reçut des brassées de fleurs en soliflores ou en bouquets (plus de la moitié des fragrances féminines demeurent florales). Tapis dans les bois, l’homme avait pourtant droit à une belle exception : la fleur de lavande, associée aussi à une légendaire « propreté ». Magnifique dans Pour un homme de Caron (1934), elle habille aussi très élégamment le nouveau classique qu’est devenu le Male (1995) de Jean Paul Gaultier signé Francis Kurkdjian.

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Aujourd’hui l’homme aurait-il changé ? Après avoir parlé de cette génération (très marketée) d’homme qui, sans renoncer à sa virilité, n’hésite pas à s’habiller, à se préoccuper de lui, à se soigner, voire même à se maquiller, naquirent le métrosexuel et l’ubërsexuel dont l’archétype serait Georges Clooney (who else ?). Mais il pourrait y avoir aussi un nouvel homme au parfum : l’homme fleur ; il suffit de voir les notes florales qui signent de plus en plus la parfumerie masculine. Francis Kurkdjian pense que l’homme fleur a toujours existé, mais qu’il est revendiqué aujourd’hui sous forme de nouveauté.

Fragrances historiques

Old spice créée en 1938 (toujours très populaire aux Etats-Unis) misait sur une fraîcheur épicée et une note géranium. En 1964 Brut de Fabergé ajoute à l’accord fougère une note géranium. En 1975 c’est Geoffrey Beene qui avec Grey Flannel signe un vrai floral au masculin avec un départ galbanum sur coeur rose, géranium ; une fragrance chaleureuse et enveloppante comme une flanelle. Cacharel pour homme (1981), un boisé épicé, offre un bouquet d’ylang-ylang, oeillet et muguet. Composition de Pierre Bourdon en 1988, Cool Water de Davidoff ajoute à la fougère des notes florales de néroli, géranium. Voleur de rose (1993) de l’Artisan parfumeur proposait une rose au masculin avec une note rose bulgare ; le choix du nom inscrivait le parfum dans la transgression : il porte une fragrance imaginée pour elle. Accompagnée d’épices la rose donne un accord oeillet (Old Spice) ; quant à l’association rose patchouli, elle signe Aramis 900 (1973), pendant masculin d’Aromatics Elixir.

Aujourd’hui

Le Dior Homme s’écrit autour d’une délicate et précieuse senteur d’iris. Mais si l’on regarde la saga des parfums Dior, François Demachy, en charge du développement olfactif pour LVMH, fait remarquer qu’historiquement les masculins Dior ont pratiquement toujours une note florale importante et ce déjà depuis L’eau sauvage (1966). Grand masculin et incontournable classique, L’eau sauvage composée par Edmond Roudnitska a en coeur un bouquet de jasmin, rose, oeillet et iris. Le merveilleux Fahrenheit (1988) magnifie une délicate et précieuse violette conservée dans la version Absolute (2009) aujourd’hui plus ténébreuse, puissante avec ses senteurs d’encens, de myrrhe (signée François Demachy). Fahrenheit 32 (2007) s’était habillé de blanc pour magnifier la fleur d’oranger. La fleur de la virginité a aussi construit une variation du Male de Jean Paul Gaultier avec un joli nom : Les fleurs du male (2007) et une fragrance de Francis Kurkdjian qui rappelle que « la fleur d’oranger, pilier de l’accord eau de Cologne a toujours eu une place importante dans la parfumerie masculine. »

Fleur du printemps, le muguet, qui ne s’obtient que par recomposition, figure dans quelques parfums. Eternity for men (1989) de Calvin Klein avec fleur d’oranger et muguet ; le Bulgari pour homme (1995) avec note muguet ou Boss Pure (2008) avec muguet et jacinthe.

Quant à l’iris dont les plus belles provenances viennent de Toscane, il a une senteur suave, poudrée. L’Infusion d’iris de Prada a aussi été joliment imaginée avec Infusion d’homme (2008) qui réécrit au masculin la belle italienne et son parfum poudré. Un soupçon d’iris traverse aussi le nouveau Paul Smith Man (2009) associé au patchouli.

Après Grey Flannel, Fahrenheit, la violette est de moins en moins discrète et figure régulièrement dans des masculins ainsi le Gucci pour homme II, un boisé cuiré. Lacoste Challenge (2009) l’a choisie avec une note lavande.

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Kenzo Power (2008) revisite le masculin autour d’une fleur imaginaire élégamment composée par Olivier Polge.

Et si pour les éditions Frédéric Malle Dominique Ropion a composé un Géranium pour monsieur (2009), cette superbe fragrance relevée de menthe, de cannelle ne sera pas laissée uniquement aux hommes.

Manque à l’appel une tubéreuse même si certains portent l’étonnant Fracas de Piguet (1948) en attendant une version qui leur serait dédiée.

Accélération de particules ! Si les notes florales ont figuré dans le passé et s’annoncent de plus en plus dans les compositions masculines, plusieurs parfums peuvent revendiquer désormais une appartenance à la famille florale. Cette arrivée de floraux sur le secteur masculin permet d’élargir les possibles d’une parfumerie souvent très classique. Un air du temps à suivre qui vise à l’abolition des frontières entre masculin et féminin (avec les marques de niches, cette segmentation n’existe pas). Une jolie façon de renouer avec un esprit dandy pour devenir un nouvel homme fleur ; mais de là à porter la jupe, le chemin sera long. Et quand madame rêve, elle imagine des cuirs, des boisés pour aussi s’encanailler, même si elle porte la culotte depuis les années 60.

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