Chaque coureur vient au tour avec un bilan. Une sorte de passif vis à vis de l’épreuve. Prenez deux coureurs de la même génération, assez comparables d’un point de vue du palmarès (pas du tempérament) : Sylvain Chavanel et Sandy Casar. Casar, ça a longtemps été l’éternel deuxième d’étape : pendant longtemps, il a tenté, et échoué à la place de second. Ca lui constituait une sorte de crédit : il fallait que le tour lui rende. C’est à force de boulot, en dedans, qu’il l’a attrapée, son étape, avec de la rage, en 2007.
Chavanel, lui, ça a longtemps été le chien fou. Profil très différent de Casar : pas un polyvalent qui peut prétendre au général, mais un puncheur de quelques kilomètres. Une sorte de Cancellara. Un coureur de classique, plutôt (mais pas le sens tactique du champion de course de village, non plus). Ce qui pêchait, chez lui, c’était l’hypervolonté : beaucoup de qualités, mais un sens de la course qui manque, un dosage de l’effort qui ne vient pas toujours bien se placer. C’est ainsi qu’on l’a souvent vu faire le beau, sur le tour : des sorties en solitaire vouées à l’échec mais menées jusqu’au bout, alors que le peloton vient à chaque fois reprendre son bien. On l’a vu tellement de fois faire ça qu’au bout du compte, ça formait une sorte de crédit ; il y aurait bien une fois où il serait récompensé de ce panache, le Chavanel, même si c’était un peu du vent, de l’esbrouffe : il y avait trop d’envie manifeste. Il avait déjà eu sa chance en 2008, mais elle devait se représenter…
Et voilà. Parce qu’il y a de belles histoires dans le cyclisme, c’est quelques mois après avoir subi un coup du sort qu’il bénéficie à sn tour du retour de balancier. Il y a quelques mois, à Liège-Bastogne-Liège, il avait fini en mauvais état, après avoir percuté la voiture d’un directeur sportif. Il faisait peine à voir : c’était l’ancien bogosse du peloton français, la belle gueule charmeuse, le souriant, le charmeur. Il était passé en mode gueule cassée.
Cette fois, c’est un autre crédit qu’il avait : celui d’un chute. Des heures passées en tête d’un côté, à faire le spectacle. Une chute de l’autre. Aujourd’hui, il est passé à la caisse. Il a mis tout son talent de super rouleur de finish, et le sort a fait jouer la chute. Il s’en sort avec mieux qu’une victoire d’étape : du jaune, et l’assurance de le porter pendant plusieurs jours. On a fait pire, comme passage en caisse, non ? C’est bien quand il vient comme ça, à 31 ans, plusieurs années après qu’on l’ait encensé, qu’on ait espéré, qu’on en soit revenu, qu’on l’ait laissé partir dans une équipe étrangère. Il vient nous montrer ce maillot jaune avec une histoire. Et ça a du bon : ce n’est pas juste un sale petit beau gosse qui nous fait la nique, mais un coureur qui s’est construit.
A lui de tenir ce maillot quelques jours. Jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne ?
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Ce soir, Sylvain Chavanel est en jaune, avec près de trois minutes d’avance sur Cancellara. Le reste du classement n’a pas changé. Demain, le tour entre en France.
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Photo : Sylvain Chavanel par Dzipi. Some rights reserved