Une femme qui court pieds nus sur une route dans la nuit noire, une mystérieuse boîte qui brûle tout dans une lumière irradiante quand on l'ouvre, un garagiste grec dont l'expression favorite est « Va va voom » et qui meurt bêtement… Le film : Kiss Me Deadly (En quatrième vitesse) de Robert Aldrich, sorti en 1955. Dix-neuf ans plus tard, un jeune américain du même âge, Brett Smiley, sort son premier single, « Va Va Va Voom », et c'est la même chanson, glamour, brûlante et parfumée à l'échec. Un véritable baiser de la mort pour un genre tout entier.
1974, ou l'agonie du glam. Ce courant qui entendait décaper le rock de ses complaisances hippies en combinant l'énergie de la musique fifties à un look futuriste a alors ses trois meilleures années derrière lui. Bowie en route pour deux albums de transition (Diamond Dogs, Young Americans) avant une salve de chefs-d'oeuvre, Roxy Music bien installé et moins surprenant, T-Rex qui glisse de la tête des charts, le glam-punk des New York Dolls en phase terminale… Brett Smiley, next big thing (« A une époque où David Bowie incarnait la perfection androgyne pour l'immense majorité des gens, il faisait passer Ziggy pour un maçon », écrira de lui un critique), arrive déjà trop tard, malgré sa précocité.
Gamin acteur, il a joué une décennie plus tôt dans le musical Oliver à Broadway, en compagnie de Davy Jones, un futur membre des Monkees, dont la célébrité forcera un certain David Jones à se rebaptiser David Bowie. Après avoir formé son premier groupe, The Left Backs, à l'âge de douze ans, il a traîné sa guitare au soleil de la Californie (« Après le grand tremblement de terre de 1971, nous nous sommes dit “A quoi bon ?”, et nous avons arrêté d'aller à l'école. A la place, je restais jouer de la musique sur le campus »), où il prétend avoir fréquenté le jeune Michael Jackson. Il a ensuite frayé avec le DJ Russ Gibb, connu pour avoir propagé les rumeurs sur la mort de Paul McCartney, et avec Dave Fieger, le futur chanteur de The Knack (« My Sharona »), au sein du groupe Sky.
La rencontre décisive, il la fait finalement en 1973, du côté de Detroit : Andrew Loog Oldham, l'ancien manager des Stones, le découvreur de Marianne Faithfull. L'homme qui le couve du regard, le 19 septembre 1974, pour sa première apparition télévisée en Angleterre, au Russell Harty Show, avec sa face B « Space Ace ». Smiley est sur scène, outrageusement androgyne, il minaude, lève les yeux au ciel, en veste rose, son image démultipliée en une quinzaine de reflets bleus. Sa voix est parfois légèrement cassée, c'est beau et toujours un peu ridicule, c'est glam. « Space Ace » est son « Life On Mars » à lui.
Enregistré entre Nashville, Londres et New York avec les musiciens des disques solos de Lennon et un arrangeur de Sinatra, l'album entier est de la même veine, du Bowie/T-Rex saupoudré de quelques reprises (une tellurique du « I Want To Hold Your Hand » des Beatles, une de la chanson du Magicien d'Oz…). Annonçant sa sortie prochaine, Russell Harty lance à ses téléspecteurs : « C'est nous, les acheteurs de disques, qui auront le mot de la fin ». Ils resteront muets : l'album ne sortira pas, du fait de désaccords entre Smiley, Oldham et Anchor Records, un nouveau label avec qui un confortable contrat de 100.000 dollars a été signé.
« Il y avait énormément de méfiance et de manigances entre le label, les distributeurs, moi et Andrew. Je ne lui faisait pas confiance, il ne me faisait pas confiance », expliquera le chanteur, parti pour une très longue traversée du désert. Côté cour, il oscillera dès lors entre projets musicaux avortés (un groupe appelé The Vice, de nouvelles démos enregistrées avec Oldham) et escapades alimentaires (un remake érotique de Cendrillon tourné avec sa copine de l'époque, et où il incarne le Prince, un cameo dans le American Gigolo de Paul Schrader…). Côté jardin, il mélangera allègrement champagne et cocaïne, crèchera au château Marmont et au Chelsea Hotel et connaîtra un bref internement avant d'apprendre qu'il est séropositif.
Heureusement, et contrairement à l'autre grand maudit du glam, Jobriath, Smiley sera finalement réhabilité de son vivant. En 2003, RPM Records ressort « Va Va Va Voom » sur une compilation, Velvet Tinmine, puis réédite l'intégralité de l'album disparu sous le nom de Breathlessly Brett. Dans la foulée, « la Greta Garbo de la pop adolescente » redonne des concerts, sort un live et se voit consacrer une biographie et plusieurs articles enthousiastes (dont, en France, un long papier de l'ex-chanteuse d'AS Dragon, Natacha, dans un récent hors-série de Technikart). « No more va-va-voom », lâchait dans Kiss Me Deadly, en guise d'oraison funèbre, un collègue du garagiste grec après sa mort : cette fois-ci, la fin a un peu changé.
Télécharger en MP3 « Va Va Va Voom » et une reprise de « Kooks » de David Bowie, ou écouter des titres sur le MySpace de Brett Smiley.
Acheter Breathlessly Brett sur le site de RPM Records.