Les 50 disques pop de la décennie: #50-41

Les années 2000 n’ont toujours pas de nom (les noughties?) mais nous les avons tellement aimées. Il faut dire que nous avons eu la bonne idée d’avoir 20 ans pendant cette décennie. Jusqu’aux fêtes de fin d’année, nous allons dérouler notre classement des meilleurs disques de la période. On commence par les albums classés de la 41e à la 50e place. Dans la mesure du possible, un lien renvoie vers l’écoute sur Spotify et Deezer.

50. Ryan Adams – Heartbreaker [Bloodshot Records, 2000]

Pas de clip pour “To Be Young (Is To Be Sad, Is To Be High)” : la première chanson de Heartbreaker, la plus belle, celle qui résume le mieux (ce titre…) l’esprit de l’album n’est jamais sortie en single. Heureusement, ce clip, le cinéma américain le lui a créé, trois ans plus tard : Luke Wilson quitte une convention de cadres encravatés et grimpe dans un taxi conduit par un chauffeur goguenard, le générique démarre, le titre, Old School, s’inscrit en même temps que les premières notes. Le film restera comme l’un des symboles du Frat Pack, ce groupe de comédiens trentenaires (les frangins Wilson, Will Ferrell, Vince Vaughn…), immatures et sensibles. Comme Ryan Adams ou son modèle Gram Parsons, cet autre croisement du Sud américain et de la cocaïne, tous deux old school et jeunes Turcs.
[Myspace] [Site officiel]

49. !!! – Louden Up Now [Warp, 2004]

En 2004, New York est un peu sorti de la folie Strokes et s’impose comme la capitale du punk-funk, un mélange explosif qui revisite des groupes comme Gang of Four ou ESG à la lumière des avancées de la science psychotrope. Dans la moiteur des caves new-yorkaises, on découvre alors des groupes comme The Rapture (on en reparlera), Radio 4 (on n’en reparlera pas, et pour cause) et puis donc !!!, un collectif de 8 musiciens qui débarque avec un extraordinaire premier single “Me and Giuliani Down By The School Yard”. L’album confirme l’essai et impose un rock physique et crétin, lacéré de cris hallucinés et de fulgurances aussi lourdes que la ligne de basse: “What did Georges Bush said when he met Tony Blair? Shit Scheisse Merde”. Loin de l’habillage hype imposé par leur label Warp, les concerts laissent percer la vérité: !!! est un groupe de ploucs magnifiques, qui transpirent encore plus qu’ils ne boivent — et c’est une sacrée performance. Et d’ailleurs, cette histoire de New York n’est que du storytelling, le groupe s’est formé à Sacramento.
[MySpace]

48. L’Altra – In The Afternoon [Aesthetics, 2002]

Sur la pochette, des fleurs en gros plan, un peu floues, battues par le vent, un rayon de soleil qui pointe derrière et aucune image du groupe : un instant, on croit arriver dans un disque new age, à mettre à faible volume pendant un massage relaxant, l’horreur. L’Altra, c’est pourtant l’anti-complaisance absolue, la sérénité comme antidote à la paresse : du folk-pop, genre ancestral s’il en est, aux mélodies parfaites mais épurées, aux bords légèrement floutés, passés rapidement à la gomme post-rock (le groupe vient de Chicago, l’un des bastions du mouvement). Le dernier titre, entièrement instrumental, s’appelle “Goodbye Music”, et c’est bien dans les quelques secondes qui suivent un après-midi évanoui que se cache la beauté du disque. Le silence après un album de L’Altra, c’est encore de L’Altra.
[Deezer]

47. Sébastien Tellier – Politics [Record Makers, 2005]

La vérité, c’est que la presse musicale n’a rien à raconter. Quand le critique en a fini avec les influences d’un disque, il n’a plus grand chose à écrire, alors en général il balance deux-trois références cryptées à son adolescence solitaire à Châteauroux. Un seul disque a échappé à cette tyrannie du vide ces dernières années: Politics de Sébastien Tellier. Certainement berné par un marketing malin, la presse titrait alors des conneries du genre “Sébastien Tellier président!” et de longs papiers détaillaient son absurde programme politique contenu dans les titres du disque: un soutien aux Indiens d’Amérique, la paix dans le monde et des chèques-cadeaux Yves Rocher. Malgré le zèle de la presse rock, Nicolas Sarkozy finira par l’emporter et quatre ans après, tout le monde a oublié ce grotesque habillage pour ne retenir que ça: ce disque comprend les deux meilleurs titres français de la décennie, “La Ritournelle” et “Broadway“. Et je ne dis pas ça parce qu’ils me font terriblement penser au regard de cette fille seule sur un banc, un soir d’automne pluvieux. A Châteauroux.
[Deezer]

46. Jens Lekman – “When I Said I Wanted To Be Your Dog” [Service Records, 2004]

Iggy Pop chantait “I Wanna Be Your Dog”, Jens Lekman proclame “When I Said I Wanted To Be Your Dog”, et y ajoute des guillemets : si l’on aime le songwriter suédois, c’est bien pour la délicieuse distance qu’il met dans tout ce qu’il chante. Dans l’écart entre ses mélodies faites de bouts de ficelle ou carrément chantonnées à cappella et ses ambitions lorgnant vers le grand orchestre, de la lo-fi symphonique qui revient à essayer de monter une commode Louis XV avec une clef alène. Dans ce balancement entre gravité et désinvolture qui caractérise les paroles de “You Are The Light” : “I got busted, and I used my one phone call to dedicate a song to you on the radio”. Ou comment faire dans le romantisme l’air de rien, avec les moyens du bord, les femmes et les refrains d’abord.
[Spotify] [Deezer]

45. Julian Casablancas – Phrazes For The Young [Rough Trade, 2009]

Il avait débarqué en 2001 comme une carte postale sépia des seventies new-yorkaises, avec un groupe trop jeune et beau pour être vrai et “un son aussi tranchant/que des rayures en noir et blanc” (Jonathan Richman, “Velvet Underground“). Huit ans après, le leader des Strokes boucle la décennie avec un premier album solo d’une beauté foudroyante, spleen et digital, parsemé de citations early eighties (Ultravox, New Order voire les Talking Heads de Fear of Music sur le meilleur morceau, “Tourist”) que le dernier album des Strokes laissait déjà pressentir. En huit ans, il a montré comment passer d’un futur rétro au retour vers le futur, mais c’est l’instant présent qui transpire de sa voix qui n’aura jamais été aussi élégamment fêlée : celle d’un chanteur qui veut faire craquer les sutures de son groupe et met son coeur à nu.
[Spotify] [Deezer]

44. The Go ! Team – Thunder, Lightning, Strike [Memphis Industries, 2004]

“Ian Parton veut écouter The My Bloody De La’s Youth 5, produit par Spector, mais ça n’existe pas”, écrivaient Les Inrocks. On ne saurait mieux résumer l’ambition folle, absurde et en même temps singulièrement mineure du leader du groupe. Chez Go ! Team, comme dans un iPod, tout se vaut, les montées de cuivres de la Blaxploitation valent bien une rasade d’electroclash ou de shoegazing. Et comme dans un iPod, tout déborde, tout dégorge, de l’extase jusqu’à l’écœurement. Autre point commun avec le MP3, une certaine esthétique du cheap sonore: produit avec les pieds, ou avec des mains un peu paresseuses, Thunder, Lightning, Strike reste légèrement en-dessous de la ligne de flottaison du “grand disque”. Mais ne serait-ce qu’en souvenir des prestations scéniques dantesques du groupe (une fausse Kelis survitaminée au chant, deux batteries qui se battent en duel derrière), on ne peut s’empêcher d’aimer passionnément ce disque.
[Spotify]

43. Plush – Fed [After Hours, 2002]

Un nom de prophète soul couplé à un prénom de frère Gallagher, une chanson (“Found a Little Baby”) sacrée meilleure face B de tous les temps par le magazine Mojo, un rôle de backing band de luxe chez Smog ou Palace, une apparition fugace au piano dans le High Fidelity de Stephen Frears… Entre classe et effacement, il y a là-dedans toute la carrière de Liam Hayes, alias Plush. Et la même combinaison dans le deuxième album de cet artiste de Chicago, Fed, sorti après… sa version maquettes (Underfed) et en ayant épuisé quelques dizaines de milliers de dollars et cinq producteurs, dont le grand Steve Albini. Derrière sa déco de cabaret luxueux, dans le plus pur style Randy Newman, Harry Nilsson ou Scott Walker, Fed n’arrive pas à cacher longtemps ses poches vides, sa chemise froissée, sa mélancolie et ses regrets. Très Las Vegas, et presque parano.
[MySpace] [Site officiel]

42. Hot Chip – The Warning [DFA/Astralwerks, 2006]

Comme il y a le bleu Klein, il y a le vert Hot Chip. Inventé par le clip d'”Over and over”, mini-tube de ce disque, le vert Hot Chip matérialise la musique du quatuor britannique: un vert synthétique, libidineux, collant aux baskets, mais dévoilant à l’usage un certain tragique. Comme ce vert qui arracherait des larmes à une miss météo, le groupe electro-pop est contraint à la mélancolie: trop vieux pour sa musique et trop geek pour sa coolitude, Hot Chip plombe invariablement l’ambiance de ses hymnes dancefloor. Le deuxième single de l’album restera comme leur chef-d’œuvre, une complainte soul qui semble incarner toute la nostalgie du monde en un intitulé parfait, universel: “And I was a boy from school”.
[Spotify] [Deezer]

41. Beach House – Teen Dream [Sub Pop, 2009]

Le destin du premier grand disque de la prochaine décennie — sortie le 26 janvier 2010 — résume tellement bien les années 2000 qu’on est obligé de le rétrograder en 2009 (#mauvaisefoi). Depuis quatre ou cinq ans, tous les albums indie un tant soit peu attendus sont disponibles sur Internet plusieurs mois à l’avance, alimentant une bulle médiatique qui souvent a déjà éclaté quand le disque sort vraiment. Concernant le troisième album de Beach House apparu sur le net début novembre, la bulle (qui inonde Hype Machine de MP3) a de quoi tenir encore plusieurs mois. Après deux disques beaux mais chiants, le duo de Baltimore a enfin osé un peu de luxuriance instrumentale, un peu de démesure vocale jusqu’à atteindre avec “Norway” une forme de perfection dans le tube pour teenagers rêveurs . Le reste de l’album est quasi parfait, rendant orgiaque une séance de contemplation du plafond.
[Hype Machine][MySpace]

>> Suite du classement avec les disques classés de la 40e à la 31e place

Jean-Marie Pottier et Vincent Glad.

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