On est dans la tête de Rose, dans les rêves de Rose.
Et au fil d’une écriture saillante, on navigue à vue parmi les espoirs, les certitudes et, au fond, parmi les fragilités de cette petite fille d’une dizaine d’années qui attend le moment où la vie d’adulte lui sera autorisée. Elle appelle ça « avoir des tracas ». Et le plus gros, pour elle, c’est la vie. C’est pas parce qu’on a que dix ans, qu’on passe à côté !
Alors, du haut de sa toute maturité, elle nous fait part de ses peurs. Et de comment elle s’en protège : en se réfugiant dans la maison aux cloisons amovibles de Jac, son frère imaginaire : « Là-bas, tout est clair , facile et léger, tout se passe comme je veux ». Car Rose est victime de ses questionnements mais aussi de sa timidité. C’est une petite fille mais une grande timide. Une très grande timide. Qui considère qu’elle n’est pas responsable de son comportement. Non, le responsable, c’est le sphinx qui est en elle. C’est lui le gardien de « l’énigme Rose » Lui qui l’empêche d’être vue telle qu’elle est. Qui l’empêche de dire ce qu’elle pense au garçon dont elle est amoureuse, comme de parler avec les filles de sa classe, Sophie, Christelle, Maïté… D’ailleurs, qu’aurait-elle à leur dire à ces filles-là ? Au fond, Rose se sent très DIFFERENTE. Il n’y a que son chien, Pépère, « fin psychologue » (comme son père) qui l’ait compris. Le reste… Va falloir attendre que ça passe, ou plutôt que son canard grandisse. Oui, parce que Rose a développé une théorie très personnelle, après avoir regardé « Le Vilain Petit canard » de Garri Bardine. A partir de ce moment du récit, sa réflexion suit un cheminement très particulier, celui de l’enfance vue par une enfant à qui il ne déplaît pas d’être enfant mais qui se projette dans la vie d’adulte par le prisme du questionnement permanent. Jouissif. Qu’elle nous parle des « bords de la vie », de certains qui ont un fil « tendu depuis la naissance jusqu’à quand ils seront grands », de sa vie qui « est un secret très protégé », de sa sœur qui lui dit « Ta Gueule » quand elle chante, de son institutrice qui la dévalorise sciemment, on suit Rose, on aime Rose, qui nous emmène jusqu’au bout de son propre chemin, celui qui va la conduire à l’incroyable boum de Maïté.
C’est fou comme l’écriture de ce petit roman est vivifiante, moderne, subtile et pleine des joyeux déséquilibres de la jeunesse.
C’est drôle comme ce texte écrit pour les enfants à partir de 8 ans devrait plaire aux parents de ceux qui les liront.
C’est merveilleux comme on fait le voyage inverse de celui de Rose, à travers la campagne de notre enfance, peut-être pas celle qui fut la plus gaie mais certainement la plus verte.
Qui a commis ce petit trésor d’écriture ?
Géraldine barbe, une canadienne, née à Montréal et qui vit désormais à Paris. Elle avait commencé par écrire des livres pour les grands (des romans, aux éditions Léo Scheer) puis elle s’est lancée dans l’écriture pour les enfants. Son premier roman en littérature jeunesse remonte à 2012 : « L’invité surprise », toujours dans la collection dacodac aux Éditions du Rouergue. Elle est aussi comédienne.
L’INTERVIEW HERO-Hic.
Quand Rose interviewe son auteur Géraldine Barbe...
C’est pas trop dur quand on est une fille de s’appeler Barbe ?
Quand j’étais enfant, m’appeler Barbe n’a jamais été un problème, pas de moqueries à l’école (la blague est déjà faite, pas de détournement possible à part quelques « Barbe, tu nous barbes », mais ça c’était plutôt les profs). J’ai été actrice dans une première vie et là je me suis posée la question du pseudo mais François Florent et ensuite les metteurs en scène m’en ont dissuadé. Le plus énervant c’est pour l’administration: quand je donne mon nom, on me demande presque toujours de l’épeler comme s’il était très compliqué. J’ai pris l’habitude d’enchainer immédiatement: « Barbe, comme une barbe. » Souvent, on continue de m’appeler Barbé.
Quand tu avais 10 ans, est ce que tu pensais comme moi ?
Quand j’avais dix ans, non seulement je pensais exactement comme toi Rose, mais j’avais le projet de noter ces pensées pour plus tard, pour ne pas les oublier et me souvenir de ça quand je serai grande. Je tenais à ce que la grande Rose soit fidèle à la petite Rose.Aussi pour comprendre mes enfants plus tard.
C’est quoi ton secret pour te mettre dans la tête d’une petite fille ?
La petite fille est très très présente en moi. Parfois trop. Mon petit garçon qui aura bientôt 9 ans me l’a dit: « c’est super de parler avec toi Maman parce que tu es une adulte qui comprend les enfants « : larmes aux yeux quand il m’a dit ça…Donc pour me mettre dans la tête d’une petite fille, j’ouvre la porte à la petite fille toujours quelque part dans mon esprit.
Où est-ce que tu as écrit mon histoire ?
J’ai commencé à écrire cette histoire chez moi, après avoir vu le film dont il est question dans le livre, « le vilain petit canard » que je n’avais pas vu puisqu’il n’existait pas à l’époque. Ce film a été le déclencheur, mais au départ, je n’avais pas d’histoire, juste les réflexions de Rose. Ensuite je suis partie en suisse, en Résidence d’écriture au château de Lavigny et grâce à quelques conseils éclairés démon éditrice Sylvie Gracia, j’ai construit ton histoire.
Est-ce que tu as un sphinx qui te protège des autres, toi aussi ?
Pour le sphinx, (c’est mon instit, comme pour toi, qui m’avait dit que j’étais un sphinx), j’en ai de moins en moins besoin car en grandissant, puis murissant puis vieillissant, j’ai de moins en moins envie de me protéger des autres, au contraire. J’ai pris confiance en moi et j’ai accepté la timidité qui peut surgir n’importe quand. Je suis toujours confiante dans la rencontre et je ne me force pas à fréquenter des gens que je n’ai pas envie de fréquenter. Cela fait que j’ai peu de relations, et beaucoup d’amis. Par exemple avec mes différents éditeurs, j’ai besoin d’une affection, d’une confiance au delà du professionnel, en tous cas pour un travail commun au long terme. Ce n’est sans doute pas très rentable financièrement, mais ça l’est énormément pour ce qui est le plus important pour moi: la rencontre réelle avec les autres, l’amitié, l’amour, le sentiment d’appartenance à l’humanité.
Est-ce que tu penses encore à moi ?
Je pense donc toujours à toi, bien sur. Avec beaucoup d’affection.Il m’arrive de me dire « ouf, 43 ans, et je ne t’ai pas encore trahie…combien de temps je peux réussir encore à tenir? » Comme toi mes obsessions sont toujours la liberté et l’amour.
Dis-moi la vérité, est-ce que c’est dur d’être adulte ?
Est ce que c’est dur d’être adulte: oui. Mais c’est tellement dur aussi d’être enfant, ça, je m’en souviens très bien, même si j’ai eu une enfance globalement heureuse.
La principale différence, maintenant que j’ai expérimenté les deux, c’est que l’enfant a tout à gagner à la rêverie. Surtout ne mettre aucuns freins aux rêves.Par contre adulte, il faut passer à l’action, ne pas se contenter de rêver, ne pas craindre de se planter, sous peine d’avoir des regrets ce qui me semble le seul échec possible. Mon fils à le projet d’inventer une potion magique lorsqu’il sera grand, puisqu’il veut être inventeur, qui nous permettrait de choisir l’âge auquel on voudrait rester toute notre vie.Je compte sur lui pour y arriver. Moi je choisis l’âge que j’ai maintenant, 43 ans, donc. Je veux aussi te dire que deux de mes meilleurs amis ont 75 et 80 ans, j’ai passé une soirée de fête avec eux il y a deux jours.Ils sont plus jeunes que pleins de copines que j’avais à 10 ans.Donc l’âge en fait, on s’en fout.
Propos recueillis par Rose en juin 2015 avec Pépère à ses pieds.