Philippe Jaroussky est-il seulement un chanteur à la mode ?

Philippe Jaroussky  ® Simon Fowler licensed to Virgin Classics

Philippe Jaroussky ® Simon Fowler licensed to Virgin Classics

« La mode se démode, le style jamais. »

Coco Chanel

Philippe Jaroussky, 33 ans, est à la mode, c’est une évidence. Son beau visage fait la couverture de tous les magazines. Depuis Opium en 2009, les albums du Contre-Ténor (1) s’envolent en tête des ventes. En Europe, aux Etats-Unis, ses récitals sont pris d’assauts et Sa « Carte Blanche », les 1er, 11 et 17 décembre, au Théâtre des Champs Elysées (2), éclipse même la venue à Paris, le 19 décembre, salle Pleyel de Cecilia Bartoli, la diva jusqu’alors intouchable.

Philippe Jaroussky surfe sur la fascination pour les castrats, ces chanteurs que l’on privait à l’adolescence de leurs attributs virils afin qu’ils conservent une voix d’enfant, une voix d’ange. Notre société trouve en lui l’incarnation parfaite d’un idéal virginal et androgyne,

Une mode qu’il n’a pas lancée, mais qu’il récupère avec la facilité des surdoués, grâce aux opus qu’il a consacrés aux airs oubliés pour castrats et à Carestini, le rival oublié de Farinelli. Après les pionniers que furent Alfred Deller, René Jacobs, Gérard Lesne, David Daniels, les Contre-Ténors ont pris pied sur les places lyriques. Exhumées des bibliothèques italiennes, les épopées tragiques de L’Arioste ou Métastase, mises en musique au écrites au XVIIe siècle par Haendel, Caldara ou Vivaldi, leur ouvrent des boulevards.

Mais Philippe Jaroussky est-il seulement à la mode ? Comme disait Cocteau, « La Mode, c’est ce qui se démode ». Fragiles, volatiles, les voix de falsettistes ternissent vite, vite. Dix ans, quinze tout au plus, et il faut céder la place à plus jeune, plus brillant, plus virtuose. Daniels, Scholl, Bowman, di Falco, Lesne, Visse, Sabata, Cencic, Mehta (Bejun, neveu de Zubin), les princes du printemps deviennent les martyres de l’automne. La pression du succès permettra-t-elle au jeune héros de décembre de tenir le cap ? Aujourd’hui, Philippe Jaroussky est à la mode, mais c’est à lui et à lui seul qu’il tient de créer son style.

Pour son premier rendez-vous, avenue Montaigne, l’émotion était en tout cas palpable. En chemise immaculée et costume sombre, très sobre, on l’imaginerait pourtant tout juste revenu du quartier d’affaires de la Défense. Mais ne vous fiez pas à ses traits encore presque enfantins, sur scène, il sait donner sans compter.

Philippe Jaroussky domine en seigneur les arias d’Antonio Caldara (1670-1736), ce compositeur rival de Vivaldi. Son diaphragme maîtrise les cascades de vocalises les plus ardues. Seules, quelques perles de sueur à son front lisse en signalent les périls. Et quand vient le temps du lamento, son souffle s’exhale comme une fleur dans ses mains ouvertes en corolle. Son plaisir de chanter, s’affiche sans détour. Sa sensualité assumée, son abandon affole tous ceux qui l’aiment, filles et garçons, toujours plus nombreux.

Avec sa carte blanche en trois volets, Michael Franck, le directeur du Théâtre des Champs Elysées lui offre cette chance. Il s’y engage avec ardeur. Après les vocalises de Caldara avec le Concerto Köln, il sera le 11 en compagnie de l’ensemble Artaserse qu’il a créé en 2002 et d’Andreas Scholl pour une Nuit Purcell. Et enfin, le 17, il partagera la scène dans un concert « Surprises and friends » où se retrouvera la fine fleur de la jeune génération musicale française.

Dans ses projets, un opéra contemporain composé par Suzanne Giraud sur le thème du peintre, le Caravage, qu’il incarnera en 2012, de nouvelles recherches musicologiques, l’apprentissage de la direction d’orchestre, voire lyrique, des alliances avec d’autres musiques, comme le très réussi Teatro d’Amore avec l’Arpeggiata de Christina Pluhar (3). Et un break d’un an en 2013 pour faire le point. N’en déplaise aux dévoreurs d’étoiles éphémères, Philippe Jaroussky sait où il va et il voit loin.

Frédérique JOURDAA

(1) Un contre-ténor ou un haute-contre est un chanteur qui utilise la voix de fausset, émise par le pharynx pour monter dans les aigus.

(2) Les 1er, 11 et 17 décembre à 20 heures. www.theatrechampselysees.fr

(3) Teatro d’Amore, L’Arpeggiata Christina Pluhar, Virgin classics. www.arpeggiata.com

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Première !!!

La musique classique est partout, en tous lieux. On la joue, on la pratique sous toutes ses formes. Mozart, Bach, Beethoven, Pavarotti, La Callas, Lang Lang et quelques autres sont des stars planétaires. Avec la banalisation des équipements mobiles, elle s’est installée dans toutes les maisons.

Concerts, festivals, productions exceptionnelles se multiplient, du mythique Palais Garnier au Stade de France, sans oublier les arènes de Nimes, les jardins de Versailles ou la plage d’Arcachon. Mais les initiés la dégustent trop souvent entre eux. Les places dans les Conservatoires sont chères et convoitées. Les salles qui l’accueillent sont souvent inaccessibles. Alors comment se repérer dans cet univers merveilleux, et secret ?

Chaque jour, sur France Musique, je raconte le destin et les choix de Grandes Figures qui ont marqué, et marquent toujours de leur empreinte, le monde et l’histoire de la musique : de Samson François à Sir Simon Rattle, d’Emmanuelle Haïm à Yo Yo Ma.

Sur Slate, je vous mets la puce à l’oreille pour aller de l’avant : où aller ? Quels albums écouter ? Quels spectacles voir ? Quels livres et revues lire ? Sur quels sites récupérer les meilleurs sons et images ? Mais aussi, par-delà l’air du temps, les coups de cœur et les coups de griffe du jour,  quelles nouvelles tendances observer et anticiper ?

Car, n’en déplaise au proverbe populaire, la musique sait tout aussi bien exacerber les passion qu’adoucir les mœurs.

NB. Avoir la puce à l’oreille : le premier sens de cette expression populaire traduisait le désir que l’on ressent pour une personne, puis bien plus tard, une forme d’inquiétude, d’alerte au sujet d’un événement, d’un comportement ou d’un individu. Depuis Feydeau, elle signifie « se douter de quelque chose »…

Notre blog filera les trois sens de cette piquante métaphore animale….

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