C’est une petite allée baignée de soleil aux marges de la rue de la Tombe Issoire, vestige du vieux Paris. Serrées comme le grains d’un maïs, les maisons conservent une modestie presque ouvrière sans trahir la renommée de ceux qu’elles ont un temps abrités : Chaïm Soutine, Henry Miller, Marcel Grommaire et aussi Jean Lurçat, l’un des artistes le plus méconnu et le plus oublié du siècle dernier.
Comme l’affichiste Georges Mathieu, un peu trop exporté par Air France sur les ailes des Caravelle dans les années 1960, cet artiste engagé, blessé à Verdun, résistant dès 1942, communiste de toute son âme, a trouvé ici son refuge pour la vie en 1925 dans cette maison construite par son frère André sur le modèle des sept autres qui l’entoure. Le succès n’était pas encore au rendez-vous, mais il avait déjà présenté ses premières expositions personnelles à Paris avec, déjà, des tapisseries exécutées par sa mère au point de canevas.
Avec sa porte haute, étroite, ouvrant sur un jardinet dépouillé et ses volumes tout en rectangle, c’est l’image d’une société idéale, des pièces longues et étroites, où la lumière pénètre à flot, des meubles dessinés par le frère et les amis, des matériaux nobles (marbres et bois de Makassar) récupérés sur les chantiers des maisons bourgeoises réalisées rive droite pour les riches clients. Matières et couleurs froides où dominent le jaune, le noir et le bleu, dominantes de l’œuvre de Lurçat. Depuis 2009, à la mort de Simone, sa dernière épouse, elle est restée dans son jus.
En entrant, juste sur la gauche, un premier atelier au niveau de la rue au murs demeurés nus. Un petit escalier aux formes droites monte à l’étage où se tenaient les deux seules chambres de la maison, puis à un deuxième où Jean Lurçat vivait et travaillait. Un long mur aveugle porte Villa Seurat, l’immense tapisserie conçue sur mesure par l’occupant des lieux, où rayonne dans un foisonnement astrologique et végétal un immense soleil noir. Le petit canapé en velours de Pierre Chareau y règne avec discrétion face au grand bureau en marbre vert des Pyrénées dessiné par le frère André. Au fond de la pièce, la cuisine, minuscule, dorée comme un astre, et ses céramiques ensoleillées.
Un troisième étage est venu ouvrir la maison vers le ciel en 1928 grâce aux subsides retirés d’une exposition à New-York. L’atelier y remplit tout l’espace baigné de lumière. Il y retrouvait ses amis, entre deux voyages en Europe, Etats-Unis, Japon, et les tours Saint-Paul à Saint Céré, son imposante forteresse lotoise où Rossane Timoteef, sa 2e épouse, s’éteignit en 1954.
S’il fut un peintre, un céramiste renommé à ses heures, la tapisserie fut toute sa vie, son choc à Angers où il découvrit l’Apocalypse en 1937, son credo dans l’utopie communiste des années 1960-70. A l’aube de l’exposition qui présente quelques unes des ses œuvres monumentales au musée des Gobelins à Paris, la découverte de cette maison dont l’Académie des Beaux Arts et la Fondation du Patrimoine initient la restauration dans l’idée de la rouvrir au public en 2017 est une invitation intime et émouvante à pénétrer la pensée d’un homme ardent à croire, malgré la noirceur du monde, dans l’aube des lendemains qui chantent.
Ville Seurat, Maison de Jean Lurçat, Paris 14e.
Exposition Jean Lurçat (1892-1966) « Au seul bruit du soleil » Galerie des Gobelins, du 4 mai au 18 septembre 2016. www.mobiliernational.culture.gouv.fr
L’Hôtel Biron rouvre ses portes dans une muséographie entièrement revisitée qui révèle, plus que jamais, un Rodin chercheur, précurseur, facétieux, passionné, amoureux…
Le Baiser, le Penseur, Iris, Balzac, l’âge d’airain, Eve, et les autres, ils sont tous là, mais démultipliés, expliqués, comme si, soudain, nous étions transportés au coeur de l’esprit, de la main, du sculpteur.
Catherine Chevillot, directrice du musée et ses équipes, présentent les grandes oeuvres, bien sûr, mais valorisent aussi les ébauches, les travaux préparatoires, les plâtres, les sources d’inspiration (Hugo, Carrière, Monet, Van Gogh) nombreuses et variées qui ont nourri l’appétit artistique de cet ogre créateur. La salle Assemblage et variation permet ainsi de comprendre comment des poteries cassées inspiraient le socle d’un futur marbre.
Un air de Rome, et d’ailleurs
Une collection d’antiques achetées alors au poids sur les chantiers entoure l’Homme qui marche, visages, mains, bras, corps tronqués. Rodin les prenait, les manipulait, les observait pour faire mieux, et plus fort.
Corps en mouvement, danse, étirements impossibles, fascination pour les muscles tendus, l’effort, Rodin exprime la transe de la vie, met à nu les les sentiments, dans un courant d’érotisme continu.
L’on découvre ainsi que Rodin s’amusait à étirer, fragmenter, agrandir à l’infini ses propres créations. Visage déformé des Bourgeois de Calais, mains, courbes féminines, positions insensées et troublantes, statuettes de danseuses en arabesque, grand écart, déformation des corps, poids des ans qui peu à peu tire, affaisse, outrage, Beauté de la jeunesse, de la fermeté, du mouvement.
La Muse et l’Amante
Camille Claudel s’expose aussi, muse et amante, entre ses rêves d’amour et la réalité de sa relation trouble avec l’homme de sa vie.
Entre L’äge mûr qui figure Rodin et son épouse, s’éloignant de Camile mplorante, et la Valse, mouvement perpétuel des Amants merveilleux, tout est dit, comme un espoir sublimé de l’amoureuse inspirée, comme un chemin entre la réalité et le rêve,
Délices et surprises encore dans les jardins, après l’effrayante et fascinante porte de l’Enfer. Les marbres et les bronzes colorent le tapis vert, où l’on cherche Orphée, tapis sous les feuilles, avant de trouver, sur la pelouse, celui qui s’enfuit, un lapin…
entre Eve et la Vierge à l’Enfant
Tout comme cet esprit étrange, dieu de la longévité japonais, que Rodin avait acquis en 1911 auprès d’un marchand d’art et qu’il gardait près de lui dans l’hôtel Biron, entouré d’Eve et d’une Vierge à l’enfant..
“Vous devriez, cher grand ami, voir ce beau bâtiment et la salle que j’habite depuis ce matin. Ses trois baies donnent prodigieusement sur un jardin abandonné, où on voit de temps en temps les lapins naïfs sauter à travers les treillages comme dans une ancienne tapisserie”. Rainer Maria Rilke à Auguste Rodin, le 31 août 1908
L’homme qui marche, déjà
Et pour finir, se jouant des perspectives, entre les ors et les boiseries de cet hôtel Biron qu’il avait sauvé de la démolition et où il recevait les journalsites, admirateurs, marchands et collectioneurs, cet Homme qui marche, décrié en son temps, honni par la critique et le public, tellement fort et vivant, prémonitoire.
Musée Rodin de Paris, 77, rue de Varenne, Paris VIIe. www.musee-rodin.fr
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