De mystérieux ronds de sorcières dans les marais salants de Guérande ?

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Aussi loin qu’il se souvienne, François Le Callo les voit toujours revenir à certaines périodes de l’année. Des formes étranges se dessinent tout seules. Ces anneaux de couleurs ocres ou bleutées se développent, se chevauchent les uns les autres, puis disparaissent d’un seul coup, aussi mystérieusement. Depuis toujours, on les appelle des ronds de sorcière, comme si les korrigans et autres créatures merveilleuses frôlant de leurs pieds menus la croute épaisse des salines étaient les auteurs de ces apparitions éphémères et incontrôlées.  « Bien sûr, je ne les cultive pas, sourit le paludier de Saillé, mais ils me fascinent tout de même. Ils apparaissent dans les derniers fares (*) quand la saline a commencé à donner déjà depuis un petit moment. C’est teinté dans la masse de vase, comme un carrelage. Si on gratte, on distingue les différentes couches. » A Belle Roche, aux pieds des côteaux, où il récolte chaque année l’or blanc et gris de Guérande, François Lecallo a pu observer au fil des ans leur évolution et l’arrivée progressive de scientifiques intrigués par ces phénomènes étranges et capricieux. Il y a bientôt quarante ans, les biologistes angevins, Sabine Castanier et Jean-Pierre Pertuisot scrutaient déjà les œillets en sa compagnie et attribuaient ces apparitions aussi poétiques qu’artistiques à des cyanobactéries (premières formes de vie sur terre) oscillaires qui vont vers la lumière et remontent des profondeurs de la vase. Les chercheurs se sont succédés jusqu’à la récente venue de paléontologues sibériens. Dmitry Grazdankhin et ses doctorants ont parcouru plus de 7.000 kilomètres de Novossibirsk à Guérande pour chercher les traces d’un stade évolutif de la croûte terrestre, l’Ediacarien, qu’ils situent à environ 550 millions d’années. Pendant une dizaine de jours, ils ont foulé délicatement les ponts d’argile édifiés par les paludiers pour ausculter l’argile originelle et y planter de drôles de petits drapeaux rouges destinés à calculer l’évolution des anneaux. « Nous avons observé des formations qui ressemblent à de très anciens fossiles, note Maxime Gommeaux, docteur en géologie à l’université de Reims. Leur similitude avec les tapis microbiens que l’on peut observer dans les forêts, nous permet d’évoquer l’influence de champignons sur le développement des cyanobactéries et des diatomées. Le tapis se reconstituerait ainsi à des vitesses différentes, ce qui entraînerait des changements de couleur. » Ces développements demeurent toujours mystérieux, y compris pour les chercheurs. La croissance des champignons dégrade-t-elle la couche superficielle du tapis microbien ? Les cyanobactéries et les diatomées se séparent-elles pour des raisons inexpliquées ? La réponse se trouve peut-être dans les laboratoires de Novossibirsk où des carottes d’argiles sont parties à l’étude. « Pour l’heure, aucun lien  n’est possible entre leur apparition et la récolte du sel, note Charles Perraud, mais  leur étude va permettre de mieux comprendre certains phénomènes vieux comme la formation de notre planète et d’une importance capitale pour l’air que nous respirons. » Le propriétaire de la saline Scoveno a accueilli récemment les jeunes chercheurs comme il avait reçu jadis le microbiologiste Wolfgang Krumbein qui avait mis en évidence les liens entre les fameux ronds de sorcières et la production des micro-émulsions de gaz. Les chercheurs sibériens poursuivent  un programme de cinq ans. Ils ont déjà prévu de revenir l’année prochaine après une première publication préve pour l’hiver. Car les marais salants de Guérande qui restitue fidèlement le cycle de la formation de la vie sur terre, depuis les éléments originels jusqu’aux premiers organismes vivants, les artémia salina qui teinte si délicieusement le sel de rosé, sont pour eux un terrain de recherche unique au monde. «  Ces cyanobactéries sont sans doute les premières apparues sur la terre, conclut François Lecallo. Elles ont commencé à exister dans un air qui était irrespirable pour nous et ont permis à des espèces comme la nôtre de se développer. » Raison de plus pour tenter de les comprendre et pour protéger le pays blanc qui les préserve.

(*) Bassins qui accélèrent la transformation de l’eau de mer en saumure avant la cristallisation du sel dans l’œillet)

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Les belles histoires d’un gars des villages…

Kervalet
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Dans un ouvrage présenté  le 2 août 2015 au salon de Kercabellec, Le kervaletin Marcel Lucas raconte avec humour et tendresse ses souvenirs de la Presqu’île de Guérande

 Dans le regard de Marcel, il y a toute la Presqu’île… Le bleu du ciel, de l’océan, le gris du granit, l’émeraude des miroirs d’eau dans les marais. Dans son sourire, il y a son grand cœur et sa générosité. Et l’étincelle, toujours intacte, de l’enfance. De Saint-Nazaire à la Roche-Bernard, il connaît son pays par cœur, du fond du cœur. En 86 ans d’une longue et belle vie, il l’a vu sous le soleil et dans la tempête. Il la raconte dans deux recueils de nouvelles, Histoires d’un gars des Villages et Limailles de vie, par petite touches, délicieuses, qu’il compare avec modestie, à la limaille, cet excédent de matière que l’artisans enlève avec sa lime. Ou comme le sel, or des paludiers, que l’on néglige parfois alors qu’il est, pour qui sait le récolter, le trésor de la vie.

Il garde pour Kervalet, où il est né en 1929 près de la Fontaine des Randouilles, une fidélité sans faille. Il en a mâchonné chaque brin d’herbe et conserve la mémoire des anciens, de Jean de Pen Nin Nin, le chantre du pays, à Ananie, la créatrice du premier musée du sel, en passant par Doralice, l’épicière et Jean-Marie Euchariste Guillaume, dit Cariste, son grand-père. Figure de légende que celui-là, mousse à la grande pêche, marin pour la royale, revenu sur son rocher kervaletin cultiver ses oignons, solide comme un roc jusqu’à ce crépuscule de septembre où une automobile le culbuta par derrière, à l’âge de 87 ans. L’école, il l’a connue au bourg de Batz, dans les années 30, à l’époque, on l’appelait « l’Asile ».

Souvenirs de la Poche…

« A l’époque, se souvient-il, le destin était bien tracé, soit paludier ou artisan, et pour les quelques meilleurs élèves réussir avec un peu de chance les concours d’entrée dans les chantiers de Saint-Nazaire ». Il a connu aussi les dortoirs des pensionnats pendant l’Occupation quand les soldats SS tenait captive la poche de Saint-Nazaire et que les parents avaient choisir d’éloigner leurs petits, pour les préserver et de peur de ne plus pouvoir les nourrir. Sur le guidon du vélo de son père, Emile, il a traversé le département sous les bombes des alliés, le 6 juin. Souvenir commun des déluges de feu qui ont détruit  Saint-Nazaire où vivait alors Monique, une petite fille qui allait devenir son épouse. Plus tard, même si les beaux yeux de son enchanteresse et son métier de moniteur auprès des apprentis de l’aérospatiale l’ont éloigné de son village, il est toujours revenu cultiver le potager familial et observer avec philosophie les tribulations des touristes dans ses venelles. Ne loupez pas son hommage aux bistrots de la Presqu’île, ses dialogues dignes des Tontons Flingueurs et le récit de ses balades amoureuses en Vespa sur les bords de Loire en 1955. Ces limailles de vie, c’est la vie même. Merci, Marcel !

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Histoires d’un gars des villages et Limailles de vie, par Marcel Lucas, Editions du Traict, 128 et 156 pages, 10 et 12 euros

Salon du Livre de Kercabellec, de 10h à 19 heures, à Mesquer. www.salondulivredekercabellec.sitew.com

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