Chaud-froid à Molitor

Façade de la piscine MolitorSouvenir de Molitor où nous allions, enfant, faire nos plongeons scolaires et passer les fameux Tritons protocolaires…

Le granuleux du sol, où s’accrochaient la crasse et la poussière

L’étuve de la piscine d’hiver et la moiteur de son hall en céramique

L’eau gelée du grand bassin où l’on accédait l’été

Et surtout, surtout, l’intimité ombragées des cabines. On nous donnait une clef, un numéro, un garçon de cabine nous guidait vers la nôtre, on se retrouvait seul, frissonnant, dans cet espace clos, protégé seulement du brouhaha sportif par la légère porte de bois. Les pieds dépassaient par dessous, elle était à peine assez haute pour protéger nos visages des regards curieux, mais c’était chez nous. On  se déshabillait enfin, on laissait ses habits de ville, sortir, différent, dans le costume de bain pour gagner les étendues liquides de nos exploits du jour…

Le bassin de la piscine Molitor

Et voilà, cela n’est plus aujourd’hui. Rien n’a changé, ou presque, à Molitor, lieu d’élégance, d’exception, d’art et de folie légère. Par la magie du XXIe siècle, tout est revenu : les balustrades, les mosaïques, les coursives et les cabines, tout semble plus coloré, même le jaune tango, pourtant d’origine, qui recouvre à nouveau les façades… Porté par les générosités du groupe Accor, le grand Paquebot de Lucien Pollet est prêt pour de nouvelles aventures superlatives : événements artistiques, sportifs, rendez-vous mondains, soirées pétillantes et autres fantaisies…

Les cabines de la piscine Molitor

Une chose, une chose seulement, une chose infime, manquera peut-être, aux nostalgiques dans les coursives du Grand Bassin. Les chiffres, les portes bleues sont revenues, repeintes à neuf, embellies même (ah, les délicieux petits fauteuils colorés), mais leur poignée olive n’ouvre plus sur l’intimité illusoire des cabines. Derrière la porte, quelques espaces réservés à l’art, des gaines techniques… Belle, lumineuse, Molitor offre tout le confort moderne et au-delà… Adieu le banc humide aux fesses, le sol rugueux, mouillé,  où l’on était chez soi.

 

 

lire le billet

Daphnis et Chloé : A Bastille, Daniel Buren résout la quadrature du cercle

 

images-2

Béni par les muses, le Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, dirigé par Philippe Jordan à l’Opéra Bastille dans la chorégraphie de Benjamin Millepied et la scénographie de Daniel Buren est un chef d’œuvre.

Depuis le temps qu’il étudie cette impossible équation, Daniel Buren a fini par résoudre la quadrature du cercle. Cela se passe sur la scène de l’opéra Bastille qu’il emplit toute entière de rayures blanches et noire en guise de manifeste. Ainsi s’ouvre Daphnis et Chloé, ce ballet de Maurice Ravel et son œuvre la plus longue, créé le 8 juin 1912, il y a tout juste 102 ans, au théâtre du Châtelet par les ballets russes. Point du jour, aube du monde, le nouveau directeur du ballet de l’opéra, Benjamin Millepied ne pouvait choisir chef d’œuvre plus empli de sens pour ses premiers pas sur le plateau de Bastille. Avec ses 23 danseurs, il se confronte d’entrée à un géant des formes. Ballet humain, au sol, qui tente de s’élever au-dessus de la terre, chorégraphie des structures géométriques au ciel, la cohabitation pourrait, comme souvent, tourner à la confrontation, ainsi que le suggère l’argument du ballet : l’amour de Daphnis et Chloé mis au défi par la tentation de la troublante Lycénion, par les ruses ou la brutalité de Dorcon ou Bryaxis, mais heureusement sauvé par l’intervention sacrée des Nymphes et du dieu Pan.

 images-3

Philippe Jordan doit être l’avatar de cette divinité des bergers, de la foule collectives, mais aussi joueur de flûte, pour se glisser avec une telle aisance entre ces deux titans. Fluide et présent, il emmène la partition intégrale de Ravel, réalisant l’union rare de l’orchestre dans la fosse et du chœur en coulisse. Avec leurs élans et leur ressac, chanteurs et instrumentistes dansent un pas de deux virtuel d’où jaillissent parfois, la flûte ou le violoncelle, la clarinette ou les cymbales. L’orchestre et le ballet de l’Opéra de Paris se retrouvent avec bonheur pour cette production exceptionnelle, à la fois offrande au plasticien français le plus réputé, cadeau de naissance du jeune et futur directeur du ballet, Benjamin Millepied et consécration de son actuelle directrice, Brigitte Lefèvre qui a tout imaginé de cette improbable et merveilleuse rencontre. Tout comme de son association en première partie avec le Palais de Cristal, nouvelle production – et il faut là applaudir le travail des ateliers exceptionnels sur les tutus acidulés et rafraîchissants des ateliers de costumes-, de la scintillante chorégraphie de George Balanchine. Le lien est clair entre fondateur du New-York City Ballet et Benjamin Millepied qui fut l’une des étoiles de cette formation et le protégé de son directeur Jérome Robbins. D’ailleurs, même s’il se défie des trop évidents parallèles avec les chorégraphes américains, le Daphnis et Chloé de Millepied confesse une parentèle évidente avec West-Side Story, comme un hommage à son mentor. Sous les figures signaux, il n’y a pas loin des bergers et des pirates aux petites bandes du Bronx. Dieu merci, avec Ravel et Buren, c’est l’amour qui triomphe et Daphnis, enfin rougissant, peut enfin porter Chloé aux (septièmes) cieux.

 images-1

Georges Balanchinee Benjamin Millepied, le Palais de Cristal, Daphnis et Chloé de Maurice Ravel avec le chœur et l’orchestre de l’Opéra de Paris, dirigé par Philippe Jordan et Alessandro di Stefano. Jusqu’au 8 juin, le mardi 3 juin, retransmission en direct dans des cinémas de France et du monde entier et en différé sur France 3.

 

lire le billet