Federica Matta fait de la poésie avec les enfants

Lune-soleil, Feu-follets, farfadets, fleurs-totem, sirènes géantes, tortues marines ont transformé de la base sous-marine de Bordeaux. Jusqu’au 8 juillet, avec son armée de la paix, Federica Matta entraînait ses visiteurs en voyage imaginaire dans ses Mondes Nomades. Pendant toute l’année scolaire, elle a accompagné 450 jeunes des quartiers Bacalan et Grand-Parc de Bordeaux pour préparer l’exposition qui anime et colore le U-Bunker construit par les Nazis entre 1940 et 1944. Son travail personnel inspiré par toutes les mythologies du monde se mêle aux oeuvres qu’ils ont réalisées. Au centre de la première alvéole qui recevait les sous-marins semeurs de mort, un immense mandala signe leur présence. Les écoliers y ont peint leurs “chamanimaux”, des silhouettes vertes, colorées, lumineuses qui  allument des points de lumière partout sur le béton noir. Ce bestiaire merveilleux parsemé de poèmes et proverbes venus du monde entier se visite comme un immense jeu de piste et réussit l’incroyable pari de semer dans cette forteresse de béton armé des fleurs d’amour et d’humour.

La Yemanja chasse les peurs

Quand elle vivait au Brésil, Federica Matta a été fascinée par la Yemanja, sirène mythique que les Brésiliens vénèrent. A Bordeaux, comme à Saint Nazaire où sa statue de 8 mètres trône toujours devant la base sous-marine, la déesse aquatique est reine de son univers. Avec les écoles primaires, Federica Matta a imaginé qu’elle guidait les bateaux des esclaves et chassait leur peur. Les enfants ont eux aussi réalisé leur sirène. Exposée dans l’une des alvéoles de la base, cette sculpture en papier mâché est entouré d’une forêt de bandelettes multicolores qui portent leurs vœux secrets. Transformée en mystérieuse cathédrale, l’une des salles qui présente l’œuvre de l’artiste permet de découvrir la Yemanja sous ses différentes formes et illustre cette pensée d’Edouard Glissant : « délaisse l’écume et regarde avec l’œil de la mer ».


L’abécédaire de l’esclavage lave les cauchemars du passé

Dans les quartiers, les mots ségrégation, racisme, exclusion appartiennent au vocabulaire quotidien. Avec Federica Matta, les élèves du collège Edouard Vaillant et leurs professeurs Eric Frétel et Cécile Collet ont unis leurs talents pour se pencher sur le thème douloureux du commerce triangulaire. Ensemble, ils ont dessiné l’abécédaire de l’esclavage, fragile rempart d’encre et de papier, pour rêver, illusoirement peut-être, que de telles actes ne se perpétuent plus. De A comme Abolition à Z comme Zombie, en passant par F comme Femme ou L comme Liberté, il se dresse, saisissant, face à un mur noir, criblé de balles, au plus profond de la base sous-marine. Après l’exposition, Il rejoindra le musée d’Aquitaine.

 

Le labyrinthe et l’arbre à poèmes apprivoisent les mots

Albanais, tamoul, espagnol, peul, arabe, portugais, chinois, plus de 18 langues cohabitent dans les quartiers de Bordeaux. « Que fais-tu de ta langue si personne ne la comprends ? », a demandé Federica Matta à ses apprentis. Pour les aider à apprivoiser le français et l’écriture, elle a proposé des formules adaptées à chacun. Les plus petits ont dessiné des fresques exposées dans le labyrinthe des mots qui amène chacun à s’interroger sur lui-même. Les plus grand ont traduit en français des proverbes de leur pays qu’ils ont ensuite calligraphiés. Leurs œuvres forment les fruits merveilleux du grand arbre à poème, inspiré par les poètes Rumi et Fernando Pessoa. On peut y lire notamment cette devise tamoul : « Ne me dis rien qui fasse plaisir, mais dis moi seulement ce que tu vois » et aussi ce poème inventé par une petite fille : « Toutes les places seront celles où tu m’as donné la main »

« Les voyages imaginaires et les mondes nomades de Federica Matta » jusqu’au 8 juillet à la Base sous-Marine, boulevard Alfred Daney, 33300 Bordeaux. Tél. 05 56 11 11 50. ou www.bordeaux

 

 

 

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Beatiho, l’offrande

 

 

 

 

Etrange objet, les Béatilles… En avez-vous déjà entendu parler ? Moi, jamais, avant de rencontrer Guylaine Renaud, femme troubadour, et Benat Achiary.

Quelques mots sur eux, l’humilité et la volonté. Ils incarnent ce pays basque où les éléments nous façonnent. L’océan, la montagne, ici, plus qu’ailleurs, l’homme est pris entre deux infinis, mais c’est de lui, de lui seul que naît l’équilibre. Leurs voix planent, tel l’aigle qui tutoie les cimes et les abîmes. Du rien à la jubilation, à l’extase…

Ensemble, avec l’aide de Céline Salvetat, ils sont allés chercher au museon Arlaten, les Béatiho ou Béatilles, ces étranges boites de papier, de rubans, de bouts de ficelles, de dentelles, que fabriquaient jadis les Moniales cloitrées en leur couvent. On les appelle aussi Paperoles. Ces objets de dévotion étaient offerts aux familles pour les aider dans leurs prières. Très fragiles, ils ont rarement passé le temps. On en trouve les ultimes vestiges préservés au museon Arlaten et au musée d’art Sacré de Pont Saint Esprit.

Que faisait les sœurs ? Qu’est-ce qui nourrissait leur silence ? Ces questions ont fait naître Beatiho, merveilleux album, publié chez Actes Sud avec le soutien du museon Arlaten et envoûtant concert offert avec Dominique Regef et Gérard Siracusa.

Guylaine Renaud et Benat Achiary, ils ont écouté, ou inventé, les prières qui venaient peut-être aux lèvres des moniales sous le voile, dans le silence du cloître. Et par leur magie, ces mots, ces cris deviennent mélodie.  Flor dau Carmel (fleur de carmel), Del nacimiento (de la naissance), los Moniales, Tras de un amoroso lance (à la suite d’un élan d’amour),  Montecarmelo… Leur musique, où l’ombre frôle le jour, où la lumière irradie les ténèbres, fait revivre les âmes mystiques, exaltées, flamboyantes de Jean de la Croix et de Thérèse d’Avila. Pour les quêteurs de mystère, de piété baroque, de silence et de joie, une offrande scintillante comme un diamant noir.

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