LE CADEAU DE SAMSON FRANCOIS

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Il y a des gens qui appellent la musique, qui incarnent la musique. Le pianiste Samson François est de ceux là. Le 22 octobre 1970, il est mort dans un éclair, et pourtant, depuis, il est toujours avec nous.

Il est né le 18 mai 1924. Son enfance fut européenne, son éducation musicale parisienne, grâce à la rencontre avec Alfred Cortot. Sa carrière de pianiste le fit voler, toujours généreux, toujours entier, toujours pressé sur toutes les scènes de France, d’Europe, du Monde. Samson François avait pour principe de ne jouer que ce qu’il aimait : Chopin, Debussy, Ravel

Quarante ans après sa mort, ses interprétations réchauffent toujours la toile. Sa maison de disque Emi Classics vient de rééditer un coffret réunissant l’intégralité de son œuvre. Sur France Musique, nous lui avons consacré une semaine dans Grandes Figures qui a vu remonter chaque jour, par centaines les témoignages de ses amis, de ses proches, toujours fidèles à rendre hommage à sa mémoire.

L’homme qui s’est envolé à 46 ans, en pleine force de l’âge, a vécu, et vit toujours, mille vies. Quel est son secret ? Une philosophie de la vie serrée une dizaine de pages, emmêlées, virtuoses et inachevées que nous offre son fils Maximilien dans la biographie, “Histoire de mille vies… ” qu’il lui a consacrée.

En voici juste quelques envolées, quelques traits brillants, complexes, provocateurs pour à méditer  en cette fin 2010 pour faire éclore l’an neuf en écoutant Samson François

– « être créé, c’est recevoir la possibilité de vivre. Il appartient à nous seuls de choisir si nous voulons animer ou non le mouvement infini qui nous est donné et par lequel nous sommes créés ; c’est à nous seul qu’il appartient de savoir si nous voulons vivre ou mourir ; si nous acceptons le pouvoir de vivre ou si nous le refusons. »

– Notre vie est composée de deux éléments : la forme et le mouvement. Le malheur des  hommes provient généralement de ce qu’ils attribuent leur existence à la forme ; de telle façon qu’ils cherchent à être dans leur nature intrinsèque (la forme) et non dans le mouvement, qu’ils sont amenés ainsi à refuser. »

– Que faut-il faire pour atteindre le mouvement et par conséquent exister ? Que faut-il faire pour vivre ? Par quels moyens matériels peut-on s’animer davantage ? Nous devons constamment faire ce que nous aimons. En faisant toujours, c’est-à-dire absolument ce qui nous plaît, je dirais plus, ce qui nous amuse, nous nous animons forcément, par-là nous faisons ce qui est utile.”

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Merci, la pluie !

Venise Acqua Alta

Venise Acqua Alta

Depuis dix jours, pluie et frimas, sont les compagnons familiers de l’Hexagone… Le silence écrasant des flocons, le cliquetis de la pluie sur nos toits, nos vitres, nos pare-brises… Piétons, automobilistes, voyageurs, nous tous devons (ré)apprendre à  compter avec ces variables dont nous avions imaginé nous abstraire : les intempéries.

Combien de rendez-vous manqués, combien de soirées annulées, ensevelies sous les trombes d’eau et les pelletées de neige ?

Eh bien non, les avions, les trains ne décollent pas par tous les temps, les livraisons n’arrivent pas toujours en « 48  heures chrono ». Eh bien oui, les routes sont parfois impraticables et les veillées au coin du feu demeurent encore l’une des activités les plus recommandées à l’entrée dans l’hiver.

A force de croire que nous contrôlons tout, du changement climatique à l’évolution des espèces, nous oublions que l’espace et le climat sont les éléments qui ont eu raison de notre dernier empereur, Napoléon Bonaparte pendant sa grande campagne de Russie.

Pourtant, alors que Zeus, seigneur du Ciel, du Tonnerre et de la Pluie, menace de continuer à nous clouer au sol dans les prochains jours, ne sombrons pas dans la neurasthénie des jours maussades et goûtons plus que jamais, si nous faisons partie de ces privilégiés, le plaisir de dormir sous un toit sec et chauffé.

La médecine chinoise traditionnelle met en garde ses adeptes contre la vulnérabilité au climat. Pour éviter les douleurs musculaires ou digestives, pour ne pas entraver la circulation des fluides et des énergies, il convient à tout prix de chasser le froid et l’humidité de nos cœurs. La musique sait mieux qu’une autre nous consoler de tous les maux et nous prémunir d’en inventer nous-mêmes de nouveaux.

Après les deux surprises cachées dans ce texte, voici donc deux modèles pour comprendre comment on peut aimer les jardins sous la pluie avec Claude Debussy ou avec Arvo Pärt. Et aussi un dernier exemple pour nous donner envie d’aimer l’hiver tout entier, en relisant le texte qui accompagne le célèbre concerto n°4 en fa mineur, op 8, RV 297, d’Antonio Vivaldi. Nous entrons dans l’Hiver. Accueillons-le en musique !

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Trop de 3D tue l’imagination

le Carnaval des animaux - photo Alvaro Yanez

le Carnaval des animaux - photo Alvaro Yanez

Mercredi 15 décembre, le Théâtre des Champs Elysées accueille six écoles primaires de région parisienne grâce au soutien de la Caisse des Dépôts et Consignation. Au menu, le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saens, dans la mise en scène des humoristes Shirley et Dino. Depuis septembre, les écoliers de douze écoles de Zone Sensible en Ile de France travaillent avec leurs instituteurs. Ils ont dessiné des fresques aquatiques, des cor-poules, des ânes-piano, qui sont aujourd’hui exposés, à leur grande joie, dans le hall.

Noir dans la salle. Les lumières magiques de Jacques Rouveyrollis éclairent le fond de scène et une étagère d’entomologistes, peuplée d’un bestiaire coloré. La musique, revue par Albin de la Simone, ne s’apparente que de loin à la version originale. Quatre musiciens (3) sont assis côté jardin. Deux magiciens talentueux (Bertrand Crimet et Carmelo Cacciato) occupent les deux tiers de l’espace avec leurs farces et attrapes. Poètes tout autant que magiciens, ils font voler les partitions, évoquent les animaux dans un subtil ballet d’apparitions drolatiques et d’ombres chinoises.

Les écoliers sifflent, hurlent, gesticulent à tout bout de champ. « On voit les fils ! » ; « c’est quoi cette daube ? » – le thème du cygne de Camille ! ; « Quel blaireau, ce type ! ». Insatisfaits, avant d’avoir rien compris, ils cherchent la faille, l’erreur, le truc. La magie du théâtre n’opère plus, balayée par les prouesses technologiques de la 3D.

Depuis quelques mois sur les écrans de cinéma, les chimères d’Avatar, les « Minions » de “Moi, Moche et Méchant”, et bientôt les superhéros de Mégamind bombardent les jeunes cinéphiles d’images, de sons, de mouvements colossaux. Facile, il suffit de chausser ses lunettes « de sept lieues », et c’est parti pour le grand huit ! A force de voir dans les salles obscures des effets spéciaux parfaits, l’innocence, la crédulité peut-être, se perd. Ce qui les amuse, c’est de tirer sur le pianiste ! Tout doit être parfait. La gentillesse, la naïveté n’ont plus leur place.

Pour apprendre aux enfants à apprécier le spectacle vivant, sa magie, sa fonction merveilleuse d’éveil au rêve, la tâche des enseignants, des parents, des musiciens est immense : les préserver des médias qui envahissent chaque parcelle du cerveau ; éveiller en eux la sensibilité, le respect du silence et de l’autre. Noël, c’est le moment idéal pour ouvrir les esprits et les coeurs. Alors, enfant ou pas, allez rêver avec le Carnaval des animaux, courez dans les salles de spectacle, car écouter, s’émerveiller des choses les plus simples, cela s’apprend !

Le Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saens, au Théâtre des Champs Elysées, du 15 au 23 décembre. Mise en scène de Shirley et Dino, musique de Camille Saint-Saens, arrangée par Albin de la Simone.

(1) Le pianiste Vadim Sher, la violoncelliste, Marie Gremillard, le guitariste, François Lasserre, la chanteuse-percusionniste, Lorraine Tisserant.

Et aussi…

– Le cygne de Saint-Saens par Yo Yo Ma : juste l’émotion

– Walt Disney Home Entertnainment a sorti le 1er décembre en DVD et Bluray Fantasia 2000, le dessin animé musical de Disney qui inclut le final du Carnaval des Animaux, ici animé par des flamants roses. Désopilant !

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Philippe Jaroussky est-il seulement un chanteur à la mode ?

Philippe Jaroussky  ® Simon Fowler licensed to Virgin Classics

Philippe Jaroussky ® Simon Fowler licensed to Virgin Classics

« La mode se démode, le style jamais. »

Coco Chanel

Philippe Jaroussky, 33 ans, est à la mode, c’est une évidence. Son beau visage fait la couverture de tous les magazines. Depuis Opium en 2009, les albums du Contre-Ténor (1) s’envolent en tête des ventes. En Europe, aux Etats-Unis, ses récitals sont pris d’assauts et Sa « Carte Blanche », les 1er, 11 et 17 décembre, au Théâtre des Champs Elysées (2), éclipse même la venue à Paris, le 19 décembre, salle Pleyel de Cecilia Bartoli, la diva jusqu’alors intouchable.

Philippe Jaroussky surfe sur la fascination pour les castrats, ces chanteurs que l’on privait à l’adolescence de leurs attributs virils afin qu’ils conservent une voix d’enfant, une voix d’ange. Notre société trouve en lui l’incarnation parfaite d’un idéal virginal et androgyne,

Une mode qu’il n’a pas lancée, mais qu’il récupère avec la facilité des surdoués, grâce aux opus qu’il a consacrés aux airs oubliés pour castrats et à Carestini, le rival oublié de Farinelli. Après les pionniers que furent Alfred Deller, René Jacobs, Gérard Lesne, David Daniels, les Contre-Ténors ont pris pied sur les places lyriques. Exhumées des bibliothèques italiennes, les épopées tragiques de L’Arioste ou Métastase, mises en musique au écrites au XVIIe siècle par Haendel, Caldara ou Vivaldi, leur ouvrent des boulevards.

Mais Philippe Jaroussky est-il seulement à la mode ? Comme disait Cocteau, « La Mode, c’est ce qui se démode ». Fragiles, volatiles, les voix de falsettistes ternissent vite, vite. Dix ans, quinze tout au plus, et il faut céder la place à plus jeune, plus brillant, plus virtuose. Daniels, Scholl, Bowman, di Falco, Lesne, Visse, Sabata, Cencic, Mehta (Bejun, neveu de Zubin), les princes du printemps deviennent les martyres de l’automne. La pression du succès permettra-t-elle au jeune héros de décembre de tenir le cap ? Aujourd’hui, Philippe Jaroussky est à la mode, mais c’est à lui et à lui seul qu’il tient de créer son style.

Pour son premier rendez-vous, avenue Montaigne, l’émotion était en tout cas palpable. En chemise immaculée et costume sombre, très sobre, on l’imaginerait pourtant tout juste revenu du quartier d’affaires de la Défense. Mais ne vous fiez pas à ses traits encore presque enfantins, sur scène, il sait donner sans compter.

Philippe Jaroussky domine en seigneur les arias d’Antonio Caldara (1670-1736), ce compositeur rival de Vivaldi. Son diaphragme maîtrise les cascades de vocalises les plus ardues. Seules, quelques perles de sueur à son front lisse en signalent les périls. Et quand vient le temps du lamento, son souffle s’exhale comme une fleur dans ses mains ouvertes en corolle. Son plaisir de chanter, s’affiche sans détour. Sa sensualité assumée, son abandon affole tous ceux qui l’aiment, filles et garçons, toujours plus nombreux.

Avec sa carte blanche en trois volets, Michael Franck, le directeur du Théâtre des Champs Elysées lui offre cette chance. Il s’y engage avec ardeur. Après les vocalises de Caldara avec le Concerto Köln, il sera le 11 en compagnie de l’ensemble Artaserse qu’il a créé en 2002 et d’Andreas Scholl pour une Nuit Purcell. Et enfin, le 17, il partagera la scène dans un concert « Surprises and friends » où se retrouvera la fine fleur de la jeune génération musicale française.

Dans ses projets, un opéra contemporain composé par Suzanne Giraud sur le thème du peintre, le Caravage, qu’il incarnera en 2012, de nouvelles recherches musicologiques, l’apprentissage de la direction d’orchestre, voire lyrique, des alliances avec d’autres musiques, comme le très réussi Teatro d’Amore avec l’Arpeggiata de Christina Pluhar (3). Et un break d’un an en 2013 pour faire le point. N’en déplaise aux dévoreurs d’étoiles éphémères, Philippe Jaroussky sait où il va et il voit loin.

Frédérique JOURDAA

(1) Un contre-ténor ou un haute-contre est un chanteur qui utilise la voix de fausset, émise par le pharynx pour monter dans les aigus.

(2) Les 1er, 11 et 17 décembre à 20 heures. www.theatrechampselysees.fr

(3) Teatro d’Amore, L’Arpeggiata Christina Pluhar, Virgin classics. www.arpeggiata.com

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Première !!!

La musique classique est partout, en tous lieux. On la joue, on la pratique sous toutes ses formes. Mozart, Bach, Beethoven, Pavarotti, La Callas, Lang Lang et quelques autres sont des stars planétaires. Avec la banalisation des équipements mobiles, elle s’est installée dans toutes les maisons.

Concerts, festivals, productions exceptionnelles se multiplient, du mythique Palais Garnier au Stade de France, sans oublier les arènes de Nimes, les jardins de Versailles ou la plage d’Arcachon. Mais les initiés la dégustent trop souvent entre eux. Les places dans les Conservatoires sont chères et convoitées. Les salles qui l’accueillent sont souvent inaccessibles. Alors comment se repérer dans cet univers merveilleux, et secret ?

Chaque jour, sur France Musique, je raconte le destin et les choix de Grandes Figures qui ont marqué, et marquent toujours de leur empreinte, le monde et l’histoire de la musique : de Samson François à Sir Simon Rattle, d’Emmanuelle Haïm à Yo Yo Ma.

Sur Slate, je vous mets la puce à l’oreille pour aller de l’avant : où aller ? Quels albums écouter ? Quels spectacles voir ? Quels livres et revues lire ? Sur quels sites récupérer les meilleurs sons et images ? Mais aussi, par-delà l’air du temps, les coups de cœur et les coups de griffe du jour,  quelles nouvelles tendances observer et anticiper ?

Car, n’en déplaise au proverbe populaire, la musique sait tout aussi bien exacerber les passion qu’adoucir les mœurs.

NB. Avoir la puce à l’oreille : le premier sens de cette expression populaire traduisait le désir que l’on ressent pour une personne, puis bien plus tard, une forme d’inquiétude, d’alerte au sujet d’un événement, d’un comportement ou d’un individu. Depuis Feydeau, elle signifie « se douter de quelque chose »…

Notre blog filera les trois sens de cette piquante métaphore animale….

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