Je profite d’une escapade à Hawaii pour faire la connaissance d’oncles et tantes éloignés qui y sont nés. Car Hawaii a depuis longtemps été terre d’accueil des peuples d’Asie venus chercher là-bas ce qu’ils ne trouvaient pas chez eux: l’espoir de sortir de la misère et de vivre librement en accord avec leurs valeurs et leur foi; les mêmes motivations qui poussent sûrement les hommes de tous bords à l’exil.
Les premiers Coréens sont partis du port d’Inchon pour arriver à Hawaii en janvier 1903 : une petite centaine d’immigrants recrutés pour travailler dans les plantations de cannes à sucre, comme avant eux de nombreux Chinois et Japonais, et après eux, de nombreux Philippins. En deux ans, ils furent plus de 7000 Coréens à tenter l’aventure à Hawaii.
On imagine que les espoirs de ces aventuriers furent mis à mal tant les conditions de vie dans les plantations étaient proches de l’esclavage. D’ailleurs, le recours par les propriétaires fonciers à une main d’œuvre multiethnique n’était pas anodin : il permettait de maintenir le rapport de force en faveur des Blancs en empêchant les ouvriers agricoles d’organiser une opposition efficace.
Parmi ces premiers Coréens figurait donc l’un de mes arrières grands oncles. Impossible de connaître les raisons précises de son départ vers l’inconnu : sûrement un mélange entre le refus d’une vie de misère et la rencontre avec quelques missionnaires chrétiens américains. Ce qui est certain, c’est qu’il aura passé sa nouvelle vie d’immigré à tenter d’accomplir le rêve américain à la sueur de son front.
Un siècle a passé et je me retrouve attablé avec ses deux filles (92 et 89 ans) et trois de ses petits-enfants pour constater que mon arrière grand oncle a bel et bien accompli le rêve américain. Car si mes hôtes se définissent comme « second and third generation Korean Americans », et disent avoir parfois souffert de discriminations, ils sont avant tout des citoyens américains modèles parfaitement intégrés dans la classe moyenne supérieure. Symbole de cette réussite, l’un des petits enfants a exercé deux mandats en tant que « Chief of Justice » de la Cour Suprême de l’Etat de Hawaii. L’ascenseur social américain a bien marché pour eux, comme pour des milliers de foyers « Korean American » qui peuplent la bourgade de Wahiawa à une cinquantaine de kilomètres de Waikiki.
La soirée se passe agréablement, à comparer les approches américaine et française de l’immigration ou du système de santé (pour eux, le système de santé Français est “socialized”, je crois que c’était une formule diplomatique pour dire communiste, et j’ai en vain tenté de leur expliquer que oui, les Français pouvaient également choisir leurs médecins), à comparer les modes de vie hawaiien, parisien et séoulite. Surtout, à échanger sur le fait d’être Français ou Américain, mais d’avoir la Corée comme terre de nos ancêtres.
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