Un bronze qui vaut de l’or

C’est un ami de visite en Corée qui eut la description la plus juste des JO vus de Corée: “ça n’est pas les JO de Londres qu’on voit à la télé, mais la Corée aux JO de Londres!”

En France aussi les médias ont tendance à braquer les projecteurs sur les chances françaises de médaille. Mais il suffit de suivre les retransmissions coréennes pour se rendre compte à quel point même le plus chauvin des commentateurs de France télévision ne serait pas de taille face au militantisme patriotique de son confrère coréen. Ici l’esprit olympique de fraternité des peuples par le sport laisse beaucoup sa place à la volonté de la Corée de montrer aux yeux du monde à quel point elle est maintenant une puissance sportive.

Mais il ne serait pas très juste d’arrêter là cette observation et de conclure au nombrilisme de la Corée. Oui elle a tendance à contempler ses performances et à se délecter de ce qu’au classement des médailles d’or, elle a battu le voisin japonais. Mais, Japon excepté, ça n’est tant de battre les autres nations dont on se réjouit ici, mais de mesurer le chemin parcouru par la Corée. Et il est vrai que les JO sont un bon reflet des progrès immenses accomplis par ce petit pays depuis moins d’un siècle. Aux JO de Berlin en 1936, la seule médaille d’or de la Corée aurait pu être remportée par le marathonien Son Ki-chon. Celui-ci termina bien premier de la course, mais la Corée étant à cette époque simple colonie du Japon, c’est le drapeau de l’Empire du Soleil Levant qui fut hissé pour saluer la victoire de Son, qui se tint sur la plus haute marche du podium mais tête baissée lorsque retentit l’hymne japonais. 52 ans plus tard, c’est ce même Son qui fut choisi pour allumer la flamme olympique des JO de Seoul de 1988, consacrant la réussite d’un pays en plein essor économique et démocratique.

Rien d’étonnant donc que le summum de cet élan patriotique aux JO de Londres fut atteint lors du Corée – Japon match pour la medaille de bronze de la compétition de football des JO Londres. Pour ajouter un peu plus de piment à l’affaire, la prime prévue pour les footballeurs sud-coréens en cas de médaille olympique n’était pas sous la forme d’espèces sonnantes et trébuchantes, mais d’une exemption de service militaire qui dure deux ans et demi ici. Autant dire que la défaite n’était envisageable ni du point de vue de toute une Nation face à son puissant voisin et rival, ni du point de vue personnel de chacun des joueurs professionnels, dont les deux ans et demi à porter les armes constitue un handicap certain dans leurs carrières professionnelles. Et c’est donc la Corée qui emporta par 2 buts à rien ce match pour une médaille de bronze qui valait tout l’or du monde.

 

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Roches Liancourt

Les roches Liancourt, ces quelques îlots qui émergent à mi-chemin entre les côtes coréennes et japonaises symbolisent toute la complexité des relations entre les deux pays, et parfois tout le ridicule dans lequel peuvent se draper Coréens et Japonais pour se disputer un petit bout de territoire. L’enjeu de cette bataille diplomatique se résume à deux gros cailloux aujourd’hui occupés par quelques policiers sud-coréens et un couple de pêcheurs amené sur l’île à grands coups de subventions en 2006. Dans les faits, ces roches Liancourt, qu’il est ici déconseillé d’appeler autrement que par son nom coréen “Dokdo”, sont donc un territoire sud-coréen.

Mais vous l’aurez deviné, les Japonais ne sont pas du tout d’accord. D’ailleurs, n’allez pas parler de Dokdo aux Japonais, qui ne connaissent ces îlots que par leur dénomination japonaise “Takeshima”. Injustement occupées par les Coréens, ces îles seraient partie intégrante de la préfecture de Shimane, qui depuis 2005 célèbre un “Takeshima day” afin de mobiliser l’opinion nationale  contre cette injustice.

L’appartenance des roches Liancourt est un sujet aussi controversé que l’origine de la rivalité entre Corée et Japon et quiconque tenterait une explication serait aussitôt accusé par l’un des deux camps de favoriser le camp adverse. Pour les Coréens, Dokdo, dont l’appartenance à la Corée serait prouvée par des archives historiques coréennes et japonaises, n’est rien d’autre que le premier bout de territoire national annexé par les Japonais en 1905, avant d’annexer le reste quelques années plus tard. Que le Japon conteste ce bout de terre est donc une provocation grave car en plus de mettre en cause l’intégrité territoriale du pays, il tend à légitimer le passé impérialiste de l’Empire Nippon.

Pour les Japonais, l’histoire est différente: ils auraient certes annexé l’île au début du 20ème siècle, mais alors qu’elle n’appartenait à personne. Tandis que dans le traité de San Fransisco de 1951 ces fameuses roches Liancourt ne figureraient pas nommément dans la liste des territoires Coréens pour lesquels le Japon déclare renoncer toute ambition.

Aujourd’hui cette querelle est donc forte de symboles: pour les Coréens c’est une preuve supplémentaire que le Japon n’a pas complètement renoncé à son ambition impérialiste, tandis que pour les Japonais, il s’agit de dépasser le complexe de sa défaite de 1945 et de pouvoir faire valoir ces droits comme n’importe quelle autre nation souveraine.

C’est ainsi que chaque petit fait et geste de l’un est scruté et interprété par l’autre et vice-versa. Chaque sortie de manuel scolaire Japonais est contrôlé par les Coréens afin d’y détecter toute mention de ces îles comme appartenant au Japon.  Chaque auteur de mappemonde où ces fameuses îles seraient décrites sous la mention Takeshima (ou Dokdo) ferait l’objet de protestation officielle de la Corée (ou du Japon). Dernier épisode en date: un vol de démonstration de son nouvel airbus A380 effectué par Korean Air au dessus de Dokdo. Forcément, ça n’a pas plu au gouvernement japonais qui a demandé à ses fonctionnaires de boycotter la compagnie aérienne pendant un mois.

– “Les Coréens auraient pu boycotter à leur tour les compagnies japonaises, mais ils ne les prennent jamais de toute façon parce qu’elles sont trop chères,” me dit une amie coréenne.

La cour de récré vous dis-je…

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Fighting, rapidité, harmonie, sécurité

Ces appartements de Seoul résisteraient-ils à un tremblement de terre de l'ampleur de celui du Japon?

Comme les Français, les Coréens se demandent si face aux catastrophes dont les Japonais sont les victimes, ils réagiraient de manière aussi admirable.

Ils se posent cette question avec un peu plus d’intérêt dans la mesure où en Corée comme au Japon, la collectivité prime sur l’individu. Cette ressemblance est le résultat d’un héritage culturel et philosophique commun, mais également d’un pragmatisme basique car dans ces deux pays qui figurent parmi les plus densément peuplés au monde, le principe du chacun pour soi ne marcherait tout simplement pas. Les files bien ordonnées qui se forment pour attendre le métro au Japon et en Corée sont donc une expression de civilité, mais avant tout une nécessité pour arriver à l’heure au travail sans périr dans un mouvement de foule incontrôlé.

Ceci n’enlève rien au mérite des Japonais dans leur admirable réaction face aux catastrophes dont ils sont les victimes. Admiration ressentie aussi par les Coréens généralement peu enthousiastes à reconnaître les mérites de leurs puissants voisins. Ainsi peut-on voir à la télévision coréenne des reportages tournés dans des centres de réfugiés japonais mettant en valeur l’ordre impeccable et la dignité qui y règnent, notamment au cours d’un reportage où l’on voyait des réfugiés dans une salle communale manquant de de tout, mais triant quand même leurs déchets scrupuleusement.

Certes les Coréens ont également fait preuve de courage et abnégation par le passé, notamment lors de la crise asiatique de 97, où pour renflouer les caisses de leur Banque Centrale, des milliers de contribuables firent la queue au guichet des banques pour donner leurs bijoux de famille. Mais beaucoup de Coréens reconnaissent que face à une crise de l’ampleur de celle du Japon, leur réaction ne seraient sûrement pas aussi sereine et maîtrisée. Car au-delà de certains codes culturels communs aux deux pays, il y a le caractère respectif des peuples, et en la matière, on ne peut pas faire plus différent que Coréen et Japonais.

Un Français connaissant bien les deux pays pour y avoir vécu et travaillé me résumait tout ce qui sépare les Coréens des Japonais en ces termes très pertinents: là où le Coréen privilégie le “fighting” (terme adopté par la langue coréenne exprimant un mélange de courage, tenacité et combativité) et la rapidité, le Japonais privilégierait l’harmonie et la sécurité.

Bon, pour ce qui est de la sécurité, les défaillance de l’opérateur de la centrale de Fukushima n’en est pas un parfait exemple. Toujours est-il que pour de nombreux Coréens, si un tremblement de terre d’un telle ampleur avait touché Séoul, “c’est très simple, on serait tous morts”…

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Tsunami et réactions coréennes

Appel aux dons sur un portail coréen

La Corée entretient avec le Japon une relation ambivalente: tantôt un concurrent craint et méprisé pour son rôle d’occupant brutal (1910-1945), dont les blessures ne sont pas tous cicatrisés, tantôt un partenaire diplomatique, commercial et culturel, voire même modèle à suivre dans la voie de la prospérité. Bref, tout ce qui arrive chez le puissant voisin nippon ne laisse pas indifférent ici, et lorsque vendredi dernier, celui-ci fut touché par les violentes secousses puis le tsunami, les Coréens furent les premiers à s’en préoccuper. Et comme souvent, les réactions furent mitigées.

Le sentiment ultra majoritaire est la sympathie et la solidarité. Signe le plus révélateur de ce sentiment, les “netizens” qui sont généralement les premiers à défendre les intérêts coréens face au Japon ont mis de côté leurs causes militantes et se mobilisent pour aider leurs voisins. Dans sa section d’appels aux dons, le plus grand portail coréen Naver a ainsi mis en place une campagne pour les victimes du tremblement de terre et du tsunami. Le site a recueilli 180 000 euros en deux jours.

Les “People” coréens s’y mettent aussi et annoncent des dons privés pour aider leurs voisins, car de nombreux chanteurs ou acteurs coréens connaissent une grand succès auprès des Japonais. Le gouvernement coréen s’active également. La Corée a été l’un des premiers pays à dépêcher une équipe de secouristes tandis qu’à partir de fin mars, une partie de son approvisionnement en gaz naturel sera redirigé vers le Japon. Cet élan de générosité n’est pas complètement innocent: le Japon est un partenaire commercial majeur pour la Corée, notamment pour ses approvisionnement en composants stratégiques pour ses industries électroniques ou automobiles, et un ralentissement significatif de l’économie japonaise aurait une incidence directe sur l’économie coréenne. Toujours est-il que cette volonté d’aider un peuple voisin avec qui les relations passées furent souvent brutales est un signe encourageant des relations bilatérales à venir.

Mais cette manifestation de sympathie n’a pas été unanime. A l’instar de quelques farfelus Américains qui voient dans cette catastrophe naturelle une punition divine suite à Pearl Harbour, certaines réactions coréennes osent avancer des absurdités de même nature, liant ce qui arrive aujourd’hui aux crimes passés du Japon Impérial. Mais la plus énorme ânerie fut certainement l’oeuvre du chef de la congrégation Pentecôtiste “Sunbogeum”, la plus grande congrégation protestante au monde, pour qui ce qui arrive est une punition divine contre un Japon pas assez chrétien. J’eus d’ailleurs le plaisir d’avoir la visite chez moi de l’un des membres de cette Eglise m’invitant à me convertir avant le Jugement Dernier. “Parce qu’il arrive déjà au Japon, vous le savez?”

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Identité Nationale et Extrême-Orient

Credit photo: candidlee

Pour les Français, je suis Français. Rien de plus logique lorsqu’on est né à Paris, éduqué à l’école de la République et nourri aux sandwichs rillettes-cornichons. Parfois je tente de faire valoir ma particularité coréenne. Mon entourage français l’acceptera bien volontiers, mais ponctuera mes revendications coréennes par un : “oui, mais tu restes quand même Français, regarde comment tu descends ton verre de Morgon…” en me resservant un verre de Morgon.

Pour les Coréens, je suis Coréen. Rien de plus logique lorsqu’on a des parents coréens et que par conséquent, du “sang coréen” coule dans mes veines. Parfois je tente de faire valoir ma particularité française. Mon entourage coréen l’acceptera bien volontiers, mais ponctuera mes revendications françaises par un : “oui, mais tu restes quand même un Coréen car ton sang est coréen que tu le veuilles ou non…” en me resservant un verre de Soju.

Cette conception de la nationalité est la même au Japon, dont le Ministre des Affaires étrangères Maehara vient de démissionner pour endosser la responsabilité du financement illégal d’une de ses campagnes électorales. En cause, un financement étranger (interdit par la législation japonaise) d’un montant de 500 euros. Ce don étranger proviendrait d’une connaissance d’enfance du Ministre de nationalité coréenne. Jusque là rien d’anormal même si l’on pourrait penser que vu le montant, ce financement étranger n’a pas dû jouer un rôle majeur dans le déroulement d’élection en question.

Cette “connaissance coréenne” du Ministre est en fait l’un des 670 000 coréens résidant au Japon, et qui représentent aujourd’hui sa plus importante minorité ethnique. Ces Coréens sont ce qui reste des quelques 5,4 millions de Coréens ayant immigré au Japon ou y ayant été enrôlé dans le cadre de travaux forcés, lorsque la Corée était sous occupation japonaise entre 1910 et 1945.

Théoriquement, ces Coréens étaient donc des (sous-)Japonais, qui lors de l’indépendance de la Corée sont subitement devenus des étrangers. Toujours est-il que la plupart ont vécu au Japon une grande partie de leur vie, voire y sont nés pour les générations récentes. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ne parlent même plus la langue coréenne et viennent en Corée pour prendre des cours de langue durant les vacances d’été. Bref la plupart sont aussi Japonais que moi-même je me considère Français, et pourtant ils ne peuvent pas participer normalement à la vie politique du pays où ils résident.

Bien sûr, les Coréens vivant au Japon dénoncent leur situation de citoyens de seconde classe et revendiquent les mêmes droits civiques que les Japonais. Il faut également noter que l’assimilation de cette communauté coréenne à la société japonaise s’accélère, notamment au travers de mariages mixtes. Mais ici, cette récente affaire et le fait que le financement ait été “étranger” ne fait que peu de controverse. Car pour être Japonais ou  Coréen il faut que ses ancêtres le soient.

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Sake – Soju : 3-0

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Jour de déprime aujourd’hui à Séoul, au lendemain d’une défaite après tirs au but de la Corée, en demi-finale de la coupe d’Asie à Doha. Ca n’est pas tant le rêve déchu d’être en finale de ce tournoi qui a poussé un collègue à descendre trois bouteilles de Soju (sorte de vodka allégée nationale) jusqu’à trois heures du matin, mais l’idée de s’être incliné contre le seul adversaire contre qui la défaite est une humiliation : cette petite île au large de la Corée du nom de Japon.

Un match de foot Corée – Japon, c’est un peu plus qu’un simple match, car s’y expriment les rivalités de deux voisins trop proches pour n’avoir été qu’en bons termes au cours de l’Histoire. L’Histoire très contemporaine même, car pendant 35 ans, de  1910 à 1945, le Japon a été un occupant brutal de la Corée.  Si aujourd’hui les deux pays sont des partenaires diplomatiques et économiques proches, toutes les plaies du passé ne sont pas cicatrisées. Et même si elles l’étaient, il suffit de voir la tension qui réside lors d’un match de rugby France – Angleterre pour se rendre compte que de telles rencontres sportives sont les exutoires (salutaires?) de rivalités entre peuples voisins.

Jour de déprime donc en Corée et le scénario du match n’a pas aidé non plus. Alors que le temps réglementaire s’achevait sur un score de 1-1, le Japon entamait les prolongations de la plus belle manière en transformant un penalty discutable lui permettant de prendre l’avantage. Mais perdre contre le Japon n’est tout simplement pas envisageable et les Coréens se ruèrent à l’assaut du but adverse de sorte que finalement, le miracle tant espéré se produisit: à quelques secondes de la fin des prolongations, le Coréen Hwang égalise suite à un cafouillage sur la surface de réparation.

En Corée, on imagine alors se réaliser le scénario idéal: le “fight spirit” des “Taeguk Warriors” (nom donné aux footballeurs coréens) venant à bout des Japonais trop sûrs de leur victoire.

Sauf que le but égalisateur n’a donné le droit qu’à une séance de tirs au but. Et qu’aucun des trois premiers tireurs Coréens n’a pu marquer. Trois buts manqués pour trois bouteilles de Soju donc…

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