Je sais bien qu’il serait de bon ton d’écrire ici quelques lignes sur les tensions en Corée : l’angoisse qui doit régner à Séoul et ses environs où quelques 24 millions d’habitants vivent à un vol d’oiseau de la frontière nord-coréenne; la ruée vers les supermarchés à la recherche de produits de première nécessité; la présence militaire ou policière plus marquée dans les rues, les regards tendus et inquiets des passants.
Le problème, c’est qu’il n’en est rien, à part peut-être pour la présence militaire il est vrai un peu plus marquée. Pour le reste, les couples s’attardent devant les forsythias et les cerisiers en fleur qui annoncent enfin l’arrivée du printemps. Dans les artères de Gangnam ou près de l’Hotel de Ville, la circulation est aussi dense qu’à l’accoutumée. Et le fait que les restaurants ou bars paraissent un peu moins bondés s’explique avant tout par le ralentissement économique plutôt que par la crainte d’un bombardement. Bref, beaucoup sont dans l’état d’esprit de ce moine bouddhiste à qui l’on demandait comment il interprétait les menaces proférées par Kim Jong-Un et qui répondit : “comme un bâtard qui aboie dans une rue déserte…”
Si les Coréens du Sud semblent si immunisés contre les tensions avec leurs voisins du Nord c’est également parce que celles-ci ne sont que les dernières d’une longues séries de provocations, menaces et affrontements sporadiques qui ont jalonné le demi-siècle qui s’est écoulé depuis l’armistice de 1953. Et si pour l’opinion mondiale, les tensions semblent n’avoir jamais été aussi élevées cette fois-ci, c’est aussi parce qu’elle a oublié, à la différence de la plupart des Coréens, celles qui les ont précédés.
L’épisode de 1994 par exemple, sous l’ère de Kim Il-Sung, grand-père de Kim Jong-Un et père fondateur de la Corée du Nord. Lorsque soupçonné par la communauté internationale de conduire un programme nucléaire clandestin, le régime de Pyongyang décide de se retirer du Traité de non prolifération nucléaire, l’administration de Bill Clinton envisage sérieusement une attaque aérienne préventive contre les installations nord-coréennes, au risque du déclenchement d’une deuxième guerre de Corée que le secrétaire d’Etat à la défense de l’époque William Perry admet et assume publiquement.
De nombreux Coréens se remémorent cet épisode en avouant que cette fois-là, oui, ils y ont cru au début d’une nouvelle guerre, parce qu’attaquée par les Etats-Unis, la Corée du Nord n’aurait eu d’autre choix que celui de se défendre. Comme ils se souviennent (pour les plus âgés) du commando de 31 soldats nord-coréens qui s’infiltra en 1968, avec pour objectif d’assassiner le Président du Sud, pour être arrêté en plein Seoul, aux abords du palais présidentiel lors de combats de rue faisant 68 morts côté Sud. Ou plus récemment le bombardement de l’île de Yeongpyeong qui fit les première victimes civiles depuis la fin de la guerre de Corée.
Un ami à qui je demandais s’il n’était pas inquiet par la Corée du Nord, me répondit: “mais il n’y a aucune raison de s’inquiéter! parce que si la guerre éclate vraiment, alors on mourra tous ensemble et en même temps !” Voilà au cynisme près, l’autre raison majeure pour laquelle les Coréens du Sud ne s’en font pas trop : une sorte de fatalisme face à un voisin qui représente une menace réelle, mais contre qui l’impuissance prévaut. Et la nouvelle donne nucléaire n’ajoute finalement pas grand chose au sentiment d’insécurité d’une population sud-coréenne, dont une bonne moitié vit entassée depuis un demi-siècle, sous la menace de plusieurs centaines de pièces d’artilleries qui provoqueraient des dégâts considérables.
Du fatalisme et beaucoup d’indifférence aussi, en particulier chez les jeunes qui n’ont connu ni la guerre, ni la misère qui en a résulté, et pour qui la Corée du Nord évoque à peine plus qu’un turbulent voisin partageant la même langue et quelques vagues héritages historiques communs. Pour cette génération-là, une guerre semble tout simplement inconcevable justement parce que leurs parents en ont trop souffert et qu’ils ont oeuvré toute leur vie pour que leurs progénitures ne connaissent jamais ni les morts, ni la misère qu’eux-mêmes ont eu à subir.
Leurs efforts ont bien payé. Trop peut-être, car si aujourd’hui leurs enfants ne manquent de rien et peuvent se consacrer tout entier à leurs réussites personnelles, ils réinventent aussi une conscience nationale qui s’arrête au 38ème parallèle. Quel serait l’intérêt d’une réunification pour cette génération pour qui la réussite individuelle prime sur tout et qui ne se sent aucune affinité avec le Nord? Qui n’a connu la guerre qu’au travers des récits de leurs grands-parents, et qui n’est séparé d’aucun membre de sa famille par cette frontière infranchissable, à part peut-être pour le cas d’un grand-oncle éloigné ? Certains étudiants avec qui je discute n’hésitent pas à tenir un discours décomplexé sur la question et à rejeter ouvertement la réunification.
Les perspectives d’une réunification ne pourront que s’éloigner au fur et à mesure que cette génération arrive aux commandes. Déjà beaucoup semblent l’évoquer comme un voeu pieux : une réunification à condition qu’elle ne soit pas au détriment de la prospérité économique, à condition qu’elle ne signifie pas une marée d’immigrants venus du Nord prenant les emplois de ceux du Sud. 13 siècles d’unité nationale sont finalement bien peu de choses face à 20 ans de prospérité.
c’est pas inquiètant de ça alors qu tout le monde se fait du mourrons ici mais n’as tu n’as pas la possibilité de revenir en France,non?
je vis en Corée et constate exactement cela. Mais je ne note pas un chouïa de présence militaire renforcée. J’ai même entendu peu ou prou la même réponse sur la guerre par l’absurde. Très bien résumé.
C’est vrai que l’ambiance ici n’est pas différente de l’ordinaire par contre dire que la Corée du nord n’évoque qu’un voisins turbulent pour les jeunes ce n’est pas vraiment la réalité. Ils savent très bien pourquoi ils passent 2 ans de leurs vies au service militaire.