C’est un ami Français de passage en Corée pour une conférence qui me fit la remarque en regardant les participants: “il y a moins de femmes dans l’assistance qu’en Arabie Saoudite!” Quelque peu surpris par cette réflexion, je regardai à mon tour les quelques 300 personnes réunis dans le “Grand Ball Room” de cet hotel 5 étoiles: effectivement pas une seule femme parmi les participants.
Pourquoi cette absence féminine ne m’avait-elle pas semblé flagrante? Sûrement parce que j’étais anesthésié par ces deux années passées en Corée ; aussi parce qu’en réalité, la présence féminine n’était pas nulle. Les femmes étaient même nombreuses, mais du côté des organisateurs ou de l’hotel et affectées aux tâches subalternes: hôtesses, serveuses, parfois quelques interprètes…
Finalement, cette conférence était un reflet assez fidèle de la situation de la femme en Corée: elles y sont visibles, offrant dans les rues une image épanouie, décomplexée même, si l’on se fie à la longueur des jupes qui rétrécit d’année en année et aux cigarettes fumées sans aucune gêne en public, alors que ceci aurait été impensable il y’a une quinzaine d’années. Mais lorsqu’on entre dans l’intimité des foyers et des entreprises, la réalité de la condition de la femme en Corée est plus inquiétante.
Une réalité qui rend assez pertinente la remarque de cet ami de passage: dans le dernier classement des 135 nations établi par le Word Economic Forum en fonction de l’égalité des sexes, la Corée du Sud se situe au 108ème rang, derrière les Emirats Arabes Unis. Une place de cancre malvenue pour un pays qui voue un culte immodéré aux classements en tout genre pour se féliciter des nombreux progrès accomplis en si peu de temps.
Le progrès épargne donc encore la condition de la femme dans ce pays imprégné de plus de 7 siècles d’un confucianisme qui aura été désastreux pour l’égalité des sexes. Aujourd’hui beaucoup d’hommes coréens ont encore une idée peu éloignée de la conception confucéenne traditionnelle selon laquelle si l’homme est le ciel, la femme est la terre. Pour eux, il ne fait pas de doute que la femme est l’inférieure de l’homme, son faire-valoir, dont l’existence n’a de sens que si elle est dédiée à la réussite et au bonheur de son mari et de sa progéniture. La femme coréenne doit ainsi être douce, docile, fertile, besogneuse, mais surtout pas cultivée, ni talentueuse, ni trop intelligente.
On comprend mieux pourquoi plus de la moitié des femmes coréennes en âge de travailler ne participent pas à l’activité économique du pays, et pourquoi lorsqu’elles le font, leurs salaires sont inférieurs de moitié à ceux de leurs collègues masculins à un poste équivalent. Pour la femme coréenne moderne, vouloir s’épanouir professionnellement relève du choix cornélien que me décrivait une amie occupant un poste dans le “middle management” d’un grand groupe: pour que sa carrière progresse, celle-ci doit faire preuve d’encore plus de zèle et de motivation que ses homologues masculins afin de convaincre ses patrons que sa dévotion à l’entreprise passe avant tout, et surtout avant un éventuel projet familial. Mais à trop vouloir exceller au travail, elle en vient à projeter sur ses collègues et ses patrons mâles une image de femme suspecte : trop carriériste, trop ambitieuse, trop indépendante, bref trop contraire aux valeurs confucéennes archaïques qui voudraient que la femme vertueuse ne s’épanouisse que par le succès de son mari.
Voilà pourquoi la réussite professionnelle de nombreuses femmes est au détriment de leur vie personnelle. Combien de fois ai-je entendu de la bouche de femmes ravissantes, intelligentes et à la situation professionnelle enviable: “je finirai vieille fille parce que ma réussite fait fuir les hommes!” Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes ne conçoivent pas le travail comme un moyen d’épanouissement personnel car pour être épanouie encore faudrait-il recevoir l’assentiment de la société coréenne. Or cette société est trop patriarcale et conservatrice pour ne concevoir la place de la femme ailleurs qu’en retrait de son mari. Les femmes coréennes travaillent donc, mais la plupart s’arrêtent au moment où elles se trouvent un mari. Pour lui faire des enfants, puis assurer la bonne marche de son foyer.
lire le billet