Ahn Cheol-su, c’est peut-être le prochain Président de la République de Corée et pourtant, à 5 mois des élections, il n’a ni expérience politique, ni équipe de campagne connue, ni programme politique bien défini. Il n’est d’ailleurs membre d’aucun parti politique et n’a pas clairement déclaré sa candidature à la fonction suprême.
Si en France un tel retard au démarrage serait un handicap insurmontable, tout va bien pour Ahn car nous sommes en Corée, pays où l’opinion publique possède une propension marquée à l’engouement collectif et une capacité incomparable à se mobiliser en un temps record pour une cause nationale. Il suffit parfois même d’une demi-journée pour qu’une mobilisation en masse change la tournure d’une élection présidentielle: lors des élections de 2002, tous les sondages donnaient le candidat du parti progressiste Roh Moo-hyun perdant. Le matin-même des élections celui-ci se trouvait sans surprise en mauvaise posture, notamment à cause d’un taux de participation trop faible des jeunes. Se mettait alors en place une campagne de bouche à oreille relayée par SMS sans précédent pour inciter les jeunes à aller voter. Une demi-journée plus tard, c’est Roh Moo-hyun qui remportait les élections au nez et à la barbe des conservateurs.
Tout est donc possible pour Ahn, d’autant que depuis cette semaine, la campagne de communication en vue de sa déclaration de candidature s’est accélérée. Samedi dernier paraissait l’ouvrage “Pensées d’Ahn Cheol-su” sous la forme d’un entretien permettant à ce dernier d’étayer son parcours et sa vision de la Corée. Signe de l’attente énorme de l’opinion publique, cet ouvrage a battu le record des ventes lors du premier jour de parution. On est encore loin d’un programme de campagne et le lecteur ne retiendra rien de très concret de cet ouvrage, si ce n’est que Ahn prône plus d’Etat providence, de justice sociale, de paix et la lutte contre les excès des Chaebols, ces conglomérats coréens qui dominent tous les aspects de la société coréenne. Mais ce recueil de généralités n’entame en rien l’espoir des soutiens, pour la plupart jeunes, de Ahn. Mardi soir, il était l’invité d’un talk show où il put se dévoiler davantage à l’opinion: son parcours, sa personnalité, et sa vision pour la Corée, sans toutefois confirmer sa candidature à l’élection présidentielle. Il se contenta d’affirmer qu’il prendrait sa décision bientôt en précisant qu’il convenait avant tout de dévoiler sa personnalité et expliquer ses convictions à ses supporters afin de connaître leur avis. Aucune information concrète n’est donc sorti de cette émission qui a néanmoins battu des records d’audience.
Si l’attente est aussi forte, c’est d’abord parce que le parcours d’Ahn Cheol-su est atypique. Né à Busan et 1962, Ahn décroche un doctorat en médecine à la prestigieuse Seoul National University, mais en parallèle, se passionne pour l’informatique et crée une start-up de logiciel antivirus Ahnlab. Très vite l’entreprise devient leader dans les logiciels de sécurité informatique, détenant 65% de part de marché en Corée, au détriment des leaders mondiaux du secteur.
Même si le fait d’avoir réussi dans les logiciels, domaine traditionnellement faible des Coréens comparé au hardware, lui confère une aura particulière, la popularité de Ahn ne s’explique pas par son parcours d’excellence et son succès en affaires. Certes ils sont retentissants, mais le développement économique fulgurant de la Corée a permis à beaucoup de s’enrichir. Par contre, rares sont ceux qui ont eu le comportement exemplaire de Ahn une fois leurs fortunes faites. En 2005, celui-ci quitte les commandes opérationnelles de Ahnlab et se consacre surtout à l’enseignement. Il est toujours aujourd’hui doyen de la faculté des sciences et technologies de la convergence de la Seoul National University.
Surtout, Ahn cède au début de cette année la moitié de sa participation de 37% dans Ahnlab à une fondation de bienfaisance dédiée à la lutte contre les inégalités sociales en Corée. Tel un Bill Gates coréen, Ahn fait ainsi don de la coquette somme de 155 millions d’euros, ce qui fait de lui l’un des plus généreux donateurs de la Corée, et ceci à partir d’un patrimoine qu’il s’est constitué à la sueur de son front et par son talent: un contraste flagrant face aux plus grosses fortunes de Corée, c’est à dire à peu d’exceptions près les familles propriétaires des Chaebols, qui elles sont assises sur un patrimoine obtenu par héritage souvent bien supérieur à celui de Ahn, et qui font parler d’elles plutôt pour leurs tentatives de fraudes fiscales ou d’abus de bien social que pour leurs actes de générosité.
Bien sûr tout ou presque reste à faire pour Ahn: se déclarer candidat, formuler un programme, former une équipe et surtout, ne pas décevoir les espoirs qu’il est arrivé à susciter. Mais voilà pourquoi parmi tous les candidats potentiels, Ahn est aujourd’hui le seul capable de barrer la route à la candidate conservatrice Park Geun-hye, qui elle est depuis longtemps en campagne. Parce que Ahn n’a pas besoin de promettre le changement pour susciter l’espoir, vu qu’il l’incarne. Même s’il n’a ni programme, ni équipe, ni expérience politique particulière, sa fraicheur, son talent passé à l’épreuve de son parcours académique et professionnel ainsi que son comportement d’une probité et d’un altruisme exemplaires parlent plus que n’importe quelle profession de foi enflammée de politicien aguerri.
un tout grand merci pour vos chroniques toujours intéressantes! continuez!
Merci pour ces encouragements!