Il y aurait cinq types de preuves d’amour privilégiés tour à tour en fonction des cultures et des personnalités : les mots, les cadeaux, le temps consacré, les gestes d’affection et les services rendus. Lorsque j’observe les différences dans les relations parents-enfants entre la France et la Corée, je me dis que cette observation est pertinente. Car s’il est absurde de prétendre que les parents coréens aiment plus leurs enfants que les parents français ou vice-versa, il est flagrant de voir à quel point ces preuves d’amour diffèrent dans les deux cultures.
En France ce sont les mots d’affection et le temps consacré aux enfants qui priment pour témoigner son amour à ses enfants: quoi de plus banal pour une mère ou un père de dire à sa fille ou son fils “je t’aime”, ou de ponctuer ses phrases par un “mon coeur”. Quoi de plus naturel que de poser une demi-journée ou de rentrer plus tôt du travail pour un dîner en compagnie des enfants. Autant d’efforts de la vie de tous les jours qui mis bout à bout, créent un environnement d’amour et d’affection au sein duquel l’enfant pourra s’épanouir.
Ce qui semble aussi naturel pour nous est souvent ignoré par les Coréens. Peut-être les parents les plus jeunes sont-ils plus expansifs dans leurs manifestations d’amour envers leurs enfants. On voit également de plus en plus de familles réunies pour profiter d’une promenade dominicale. Mais pour nombre de Coréens, là n’est pas l’essentiel du devoir des parents envers leurs enfants. Il faut d’abord leur assurer, voire leur imposer, le meilleur des avenirs possibles.
Pour cela, aucun sacrifice n’est trop grand, et au coeur de ces sacrifices se trouve l’argent. L’argent pour l’éducation d’abord: consacrer tout le revenu du foyer pour payer les frais de scolarité exorbitants de son enfant est assez courant, car entre les cours privés auxquels tous les enfants ont droit dès leur plus jeune âge et les frais d’université dont les montants n’ont rien à envier à ceux de leurs homologues américains, les foyers coréens sont ceux qui dépensent le plus parmi les pays de l’OCDE pour l’éducation de leurs enfants. Il suffit de lire les titres des journaux pour s’apercevoir à quel point l’éducation des enfants passe avant tout: on y décrit des femmes au foyer appartenant à la classe moyenne, contraintes à faire des ménages afin de compléter le financement des frais d’université de leurs enfants. Le tout sur le ton de la louange plus que de la critique de cette obsession des études supérieures.
La partie n’est pas pour autant gagnée une fois le rejeton diplômé. Arrive le temps du mariage où traditionnellement les parents se doivent d’accompagner financièrement les premiers pas de la vie du jeune couple. Pour ceux qui ont une conception la plus conservatrice du mariage, on s’attendra à ce que les parents du marié financent l’achat du premier logement tandis que ceux de la mariée prennent à leur charge l’achat des meubles et équipements indispensables à la confection d’un nid confortable. Aussi n’est-il pas rare que toutes les économies d’un couple s’envolent avec le mariage de leurs enfants. Ceci sans regret aucun car c’est la conception normale du rôle des parents selon la société coréenne.
Sacrifice financier mais sacrifice aussi de la vie de couple, toujours sur l’autel de l’éducation des enfants. Car pour nombre de parents coréens, même la meilleure université coréenne n’est qu’un second choix quand il suffirait d’aller aux Etats-Unis ou en Angleterre pour accéder aux meilleures universités au monde. Le phénomène est connu sous le nom de gireoggi appa (기러기 아빠), ou “papa oie” car celui-ci est resté en Corée pour travailler et gagner de quoi financer l’expatriation et la vie de sa femme et de ses enfants afin que ces derniers puissent étudier à Harvard ou Stanford. Telle l’oie migratrice, il doit traverser continents et océans pour voir sa famille une à deux fois par an pendant quelques jours. Ils seraient près de 200 000 papas oies en Corée, offrant un cadre familial qui serait considéré comme déséquilibré, voire malsain pour la plupart des Français, mais perçu comme l’acte de dévotion parental suprême pour nombre de Coréens.
On comprend mieux pourquoi les paroles prononcées en priorité par les parents coréens à leur enfant sont : “tu peux et tu dois mieux faire”, ou “ne nous déçois pas”, plutôt que des mots d’affection. On comprend également pourquoi les parents coréens sont plus autoritaires pour décider de l’avenir de leurs enfants. Il ne s’agirait pas de voir tous ces sacrifices consentis pour un plan de carrière, ruinés par une soudaine passion farfelue de l’enfant. Les conflits entre parents et enfants existent mais souvent les sacrifices parentaux permettent un pacte auquel les enfants adhèrent dans un sentiment où se mêlent profonde admiration et respect des parents et de tous les efforts qu’il ont consenti pour leur avenir, mais également culpabilité à l’idée de devoir trahir les idéaux qu’ils ont placés en eux. Formule idéale pour la réussite des enfants, mais pas forcément pour leur bonheur.
Bonne déscription effectivement qui permet de bien comprendre la différence de conception de l’amour parental. Ceci dit, je suis toujours surpris de voir que beaucoup de jeune Coréen que je cottoye (moins de 30 ans disons) disent souvent avoir souffert d’un manque d’affection avec des parents pas assez présent, mais continue à perpétrer ce schéma ! Cela reste mystérieux pour moi.
Intéressant comme description de l’amour parental à la Coréenne. Mais je dirais que celà ressemble beaucoup aux autres pays asiatiques d’influence confucéenne, ce n’est pas forcément spécifiques aux habitudes coréennes.
Merci pour cet article, les Asiatiques sont très pudiques en général et, plutôt que montrer leur amour filial à travers des gestes d’affection, ils assurent un “devoir” et des sacrifices pour leurs enfants, et combiner cela à la culture de l’excellence, ça donne des parents aimants mais exigeants. Je pense que le schéma est aussi présent dans certaines cultures africaines où les services rendus priment sur les mots et les gestes d’affection. De pouvoir “réussir sa vie” (professionnellement du moins) est un geste d’amour et de reconnaissance d’un enfant pour les sacrifices de ses parents.
c’est vrai qu’en occident, les signes d’affection s’inscrivent plutot dans l’immediateté et la legerté contrairement à l’orient.
Cette distinction explique aussi, en partie, les récurrentes incompréhensions qui s’installent dans les couples mixtes