C’est la saison des vacances en Corée aussi. Mais des vacances à la coréennes, c’est à dire sensiblement différentes de celles que passent la plupart des Français.
Certes des employés de bureau doivent poser quelques jours ici et là pour que Haeundae, la plus grande plage du pays, se remplisse de plus de 100 000 baigneurs chaque été. Mais dans les rues de Seoul, la circulation de désemplit pas, comme ce soir vers 22h30 sur les quais du fleuve Han, où l’ambiance est moins festive qu’à Paris Plage.
Pour les lycéens, les cours sont terminés pour un mois environ, mais la plupart continuent à se rendre au lycée tous les jours en salle d’étude pour révisions quasi-obligatoires. Par ailleurs leurs cours privés eux, ne connaissent pas de vacances, surtout pour ceux qui préparent les concours d’entrée aux universités.
Quant aux commerces de proximité, je vous renvoie au message affiché sur la porte du restaurant en bas de chez moi qui sert un bon barbecue de porc 24h/24 et 7 jours/7, et qui explique qu’en raison de “congés nocturnes” l’établissement fermera à 22h pendant trois jours, entre les 27 et 29 juillet.
Bonnes vacances donc!
lire le billetAhn Cheol-su, c’est peut-être le prochain Président de la République de Corée et pourtant, à 5 mois des élections, il n’a ni expérience politique, ni équipe de campagne connue, ni programme politique bien défini. Il n’est d’ailleurs membre d’aucun parti politique et n’a pas clairement déclaré sa candidature à la fonction suprême.
Si en France un tel retard au démarrage serait un handicap insurmontable, tout va bien pour Ahn car nous sommes en Corée, pays où l’opinion publique possède une propension marquée à l’engouement collectif et une capacité incomparable à se mobiliser en un temps record pour une cause nationale. Il suffit parfois même d’une demi-journée pour qu’une mobilisation en masse change la tournure d’une élection présidentielle: lors des élections de 2002, tous les sondages donnaient le candidat du parti progressiste Roh Moo-hyun perdant. Le matin-même des élections celui-ci se trouvait sans surprise en mauvaise posture, notamment à cause d’un taux de participation trop faible des jeunes. Se mettait alors en place une campagne de bouche à oreille relayée par SMS sans précédent pour inciter les jeunes à aller voter. Une demi-journée plus tard, c’est Roh Moo-hyun qui remportait les élections au nez et à la barbe des conservateurs.
Tout est donc possible pour Ahn, d’autant que depuis cette semaine, la campagne de communication en vue de sa déclaration de candidature s’est accélérée. Samedi dernier paraissait l’ouvrage “Pensées d’Ahn Cheol-su” sous la forme d’un entretien permettant à ce dernier d’étayer son parcours et sa vision de la Corée. Signe de l’attente énorme de l’opinion publique, cet ouvrage a battu le record des ventes lors du premier jour de parution. On est encore loin d’un programme de campagne et le lecteur ne retiendra rien de très concret de cet ouvrage, si ce n’est que Ahn prône plus d’Etat providence, de justice sociale, de paix et la lutte contre les excès des Chaebols, ces conglomérats coréens qui dominent tous les aspects de la société coréenne. Mais ce recueil de généralités n’entame en rien l’espoir des soutiens, pour la plupart jeunes, de Ahn. Mardi soir, il était l’invité d’un talk show où il put se dévoiler davantage à l’opinion: son parcours, sa personnalité, et sa vision pour la Corée, sans toutefois confirmer sa candidature à l’élection présidentielle. Il se contenta d’affirmer qu’il prendrait sa décision bientôt en précisant qu’il convenait avant tout de dévoiler sa personnalité et expliquer ses convictions à ses supporters afin de connaître leur avis. Aucune information concrète n’est donc sorti de cette émission qui a néanmoins battu des records d’audience.
Si l’attente est aussi forte, c’est d’abord parce que le parcours d’Ahn Cheol-su est atypique. Né à Busan et 1962, Ahn décroche un doctorat en médecine à la prestigieuse Seoul National University, mais en parallèle, se passionne pour l’informatique et crée une start-up de logiciel antivirus Ahnlab. Très vite l’entreprise devient leader dans les logiciels de sécurité informatique, détenant 65% de part de marché en Corée, au détriment des leaders mondiaux du secteur.
Même si le fait d’avoir réussi dans les logiciels, domaine traditionnellement faible des Coréens comparé au hardware, lui confère une aura particulière, la popularité de Ahn ne s’explique pas par son parcours d’excellence et son succès en affaires. Certes ils sont retentissants, mais le développement économique fulgurant de la Corée a permis à beaucoup de s’enrichir. Par contre, rares sont ceux qui ont eu le comportement exemplaire de Ahn une fois leurs fortunes faites. En 2005, celui-ci quitte les commandes opérationnelles de Ahnlab et se consacre surtout à l’enseignement. Il est toujours aujourd’hui doyen de la faculté des sciences et technologies de la convergence de la Seoul National University.
Surtout, Ahn cède au début de cette année la moitié de sa participation de 37% dans Ahnlab à une fondation de bienfaisance dédiée à la lutte contre les inégalités sociales en Corée. Tel un Bill Gates coréen, Ahn fait ainsi don de la coquette somme de 155 millions d’euros, ce qui fait de lui l’un des plus généreux donateurs de la Corée, et ceci à partir d’un patrimoine qu’il s’est constitué à la sueur de son front et par son talent: un contraste flagrant face aux plus grosses fortunes de Corée, c’est à dire à peu d’exceptions près les familles propriétaires des Chaebols, qui elles sont assises sur un patrimoine obtenu par héritage souvent bien supérieur à celui de Ahn, et qui font parler d’elles plutôt pour leurs tentatives de fraudes fiscales ou d’abus de bien social que pour leurs actes de générosité.
Bien sûr tout ou presque reste à faire pour Ahn: se déclarer candidat, formuler un programme, former une équipe et surtout, ne pas décevoir les espoirs qu’il est arrivé à susciter. Mais voilà pourquoi parmi tous les candidats potentiels, Ahn est aujourd’hui le seul capable de barrer la route à la candidate conservatrice Park Geun-hye, qui elle est depuis longtemps en campagne. Parce que Ahn n’a pas besoin de promettre le changement pour susciter l’espoir, vu qu’il l’incarne. Même s’il n’a ni programme, ni équipe, ni expérience politique particulière, sa fraicheur, son talent passé à l’épreuve de son parcours académique et professionnel ainsi que son comportement d’une probité et d’un altruisme exemplaires parlent plus que n’importe quelle profession de foi enflammée de politicien aguerri.
lire le billetIl y aurait cinq types de preuves d’amour privilégiés tour à tour en fonction des cultures et des personnalités : les mots, les cadeaux, le temps consacré, les gestes d’affection et les services rendus. Lorsque j’observe les différences dans les relations parents-enfants entre la France et la Corée, je me dis que cette observation est pertinente. Car s’il est absurde de prétendre que les parents coréens aiment plus leurs enfants que les parents français ou vice-versa, il est flagrant de voir à quel point ces preuves d’amour diffèrent dans les deux cultures.
En France ce sont les mots d’affection et le temps consacré aux enfants qui priment pour témoigner son amour à ses enfants: quoi de plus banal pour une mère ou un père de dire à sa fille ou son fils “je t’aime”, ou de ponctuer ses phrases par un “mon coeur”. Quoi de plus naturel que de poser une demi-journée ou de rentrer plus tôt du travail pour un dîner en compagnie des enfants. Autant d’efforts de la vie de tous les jours qui mis bout à bout, créent un environnement d’amour et d’affection au sein duquel l’enfant pourra s’épanouir.
Ce qui semble aussi naturel pour nous est souvent ignoré par les Coréens. Peut-être les parents les plus jeunes sont-ils plus expansifs dans leurs manifestations d’amour envers leurs enfants. On voit également de plus en plus de familles réunies pour profiter d’une promenade dominicale. Mais pour nombre de Coréens, là n’est pas l’essentiel du devoir des parents envers leurs enfants. Il faut d’abord leur assurer, voire leur imposer, le meilleur des avenirs possibles.
Pour cela, aucun sacrifice n’est trop grand, et au coeur de ces sacrifices se trouve l’argent. L’argent pour l’éducation d’abord: consacrer tout le revenu du foyer pour payer les frais de scolarité exorbitants de son enfant est assez courant, car entre les cours privés auxquels tous les enfants ont droit dès leur plus jeune âge et les frais d’université dont les montants n’ont rien à envier à ceux de leurs homologues américains, les foyers coréens sont ceux qui dépensent le plus parmi les pays de l’OCDE pour l’éducation de leurs enfants. Il suffit de lire les titres des journaux pour s’apercevoir à quel point l’éducation des enfants passe avant tout: on y décrit des femmes au foyer appartenant à la classe moyenne, contraintes à faire des ménages afin de compléter le financement des frais d’université de leurs enfants. Le tout sur le ton de la louange plus que de la critique de cette obsession des études supérieures.
La partie n’est pas pour autant gagnée une fois le rejeton diplômé. Arrive le temps du mariage où traditionnellement les parents se doivent d’accompagner financièrement les premiers pas de la vie du jeune couple. Pour ceux qui ont une conception la plus conservatrice du mariage, on s’attendra à ce que les parents du marié financent l’achat du premier logement tandis que ceux de la mariée prennent à leur charge l’achat des meubles et équipements indispensables à la confection d’un nid confortable. Aussi n’est-il pas rare que toutes les économies d’un couple s’envolent avec le mariage de leurs enfants. Ceci sans regret aucun car c’est la conception normale du rôle des parents selon la société coréenne.
Sacrifice financier mais sacrifice aussi de la vie de couple, toujours sur l’autel de l’éducation des enfants. Car pour nombre de parents coréens, même la meilleure université coréenne n’est qu’un second choix quand il suffirait d’aller aux Etats-Unis ou en Angleterre pour accéder aux meilleures universités au monde. Le phénomène est connu sous le nom de gireoggi appa (기러기 아빠), ou “papa oie” car celui-ci est resté en Corée pour travailler et gagner de quoi financer l’expatriation et la vie de sa femme et de ses enfants afin que ces derniers puissent étudier à Harvard ou Stanford. Telle l’oie migratrice, il doit traverser continents et océans pour voir sa famille une à deux fois par an pendant quelques jours. Ils seraient près de 200 000 papas oies en Corée, offrant un cadre familial qui serait considéré comme déséquilibré, voire malsain pour la plupart des Français, mais perçu comme l’acte de dévotion parental suprême pour nombre de Coréens.
On comprend mieux pourquoi les paroles prononcées en priorité par les parents coréens à leur enfant sont : “tu peux et tu dois mieux faire”, ou “ne nous déçois pas”, plutôt que des mots d’affection. On comprend également pourquoi les parents coréens sont plus autoritaires pour décider de l’avenir de leurs enfants. Il ne s’agirait pas de voir tous ces sacrifices consentis pour un plan de carrière, ruinés par une soudaine passion farfelue de l’enfant. Les conflits entre parents et enfants existent mais souvent les sacrifices parentaux permettent un pacte auquel les enfants adhèrent dans un sentiment où se mêlent profonde admiration et respect des parents et de tous les efforts qu’il ont consenti pour leur avenir, mais également culpabilité à l’idée de devoir trahir les idéaux qu’ils ont placés en eux. Formule idéale pour la réussite des enfants, mais pas forcément pour leur bonheur.
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Pour comprendre les Coréens, il faut comprendre le Han. Pas le Han qui désigne l’ethnie majoritaire de Chine, ni le Han de “Hankook” qui signifie Corée pour les Sud-Coréens. Mais le Han qui habite l’esprit de tous les Coréens.
Malgré mes presque deux ans de vie en Corée et la proximité avec ma famille coréenne, je ne suis pas sûr d’avoir entièrement compris ce qu’est le Han. Justement parce qu’il n’y a rien à comprendre mais à ressentir: le Han est un sentiment qui mêle mélancolie, douleur, amertume, et injustice. Mais ne croyez pas avoir détecté une manifestation de ce Han chez la mine déprimée d’un Coréen ou dans ses yeux humides pour cause de chagrin passager. Ce qui fait la particularité du Han c’est qu’il habite au plus profond de l’âme des Coréens: une mélancolie toujours présente au fond de soi et qui au quotidien incite au silence plutôt qu’aux lamentations passagères.
Difficile de dire d’où vient ce sentiment et pourquoi il est partagé par l’ensemble des Coréens: est-ce l’histoire du pays, petite péninsule coincée entre de puissants voisins; ayant vécu l’invasion des Mongols, des Chinois, des Japonais, et qui aujourd’hui est encore séparée en deux du fait d’enjeux géopolitiques qui la dépasse? Est-ce dû à la société coréenne longtemps marquée par un féodalisme archaïque permettant l’opulence de quelques-uns grâce à la misère de beaucoup? Aujourd’hui encore la société coréenne souffre de disparités et d’un contexte hyper concurrentiel qui font que les enfants et adolescents coréens sont les moins heureux des pays de l’OCDE. C’est sûrement un peu toutes ces raisons qui au final créent le sentiment d’un bonheur impossible du fait de forces supérieures: une fatalité vécue pour sa propre destinée mais également pour celle son pays.
Mais fatalité n’est pas le terme le mieux choisi car ce Han comporte également une part de résilience face au poids du destin. Car si le Han s’installe dans le coeur des Coréens au fur et à mesure qu’ils subissent les affres de leur destin, c’est de ce même Han que naît la volonté de s’en libérer. Le Han est ainsi une sensibilité d’où naît une force de l’esprit qui permet de déjouer celle du destin pour in fine s’en sortir. Le Han s’incruste (Han-i maechida, 한이 맺히다) mais l’on peut dénouer le Han (Han-eul poolda, 한을 풀다). Est-ce pour cela que la Corée, pays sans ressource particulière et ruiné par la guerre est devenue la 11ème puissance économique mondiale en un demi-siècle?
Et pour ceux qui trépassent sans avoir pu dénouer leur Han, une danseuse chamane intercédera pour laver leurs âmes des mauvais esprits afin qu’ils puissent passer en paix dans l’au delà. Transition qui me permet de terminer en danse et musique, car au même titre qu’on ne peut comprendre le “Feeling blue” sans écouter BB King, ou le Spleen sans lire les Fleurs du mal, le Han n’a peut-être pas besoin de toutes ces explications, juste d’une illustration artistique:
lire le billetJe me souviens de mon premier séjour en Corée du Sud au milieu des années 80: la seule nourriture occidentale la plus largement disponible était le Donkatsu, l’escalope de porc pannée à la japonaise. Pas follement occidental… On pouvait trouver également quelques restaurants de fast food pour lesquels il fallait généralement faire un long trajet pour s’y rendre… Voilà.
Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Bien sûr la nourriture coréenne reste reine, mais la gastronomie internationale est représentée à Seoul, comme dans n’importe quelle autre capitale internationale. Une première vague est venue avec l’installation des steak houses ou family dining à l’américaine, comme prolongement plus qualitatif des fastfoods déjà présents. Le goût des Coréens pour la viande et leur fascination (à l’époque) pour tout ce qui est “Made in America” ont convaincu les acteurs locaux de la restauration qu’il existait un marché à fort potentiel si bien qu’aujourd’hui les artères de Seoul regorgent de restaurants américains où l’on mange un bon steak après s’être copieusement servis au salad bar.
Et la gastronomie venue d’Europe dans tout ça? L’Italie se porte très bien, bénéficiant de l’engouement des Coréens pour l’huile d’olive après qu’une série d’articles et reportages vantèrent ses bienfaits sur la santé et profitant également du goût des Coréens pour la pasta qui rappelle les nouilles de la cuisine coréenne. On peut ainsi manger d’excellents spaghetti alle vongole, vu l’abondance de palourdes et autres fruits de mer en Corée.
Pour la cuisine française, les choses sont un peu différentes. Bien sûr celle-ci bénéficie d’un prestige incomparable, comme l’illustre le nombre de Coréens qui partent tous les ans en France pour apprendre l’art culinaire au Cordon Bleu ou Le Nôtre. Mais pour les Coréens, cette cuisine est difficile, chère, inaccessible, et malheureusement médiocre pour la plupart des restaurants français présents à Seoul. Car la plupart des chefs locaux qui se lancent à l’aventure de la gastronomie française en Corée sont généralement confrontés à la difficulté majeure de trouver des ingrédients de qualité. Il leur reste donc pour justifier les prix élevés qu’ils proposent d’accueillir leurs clients dans un lieu qui en jette et d’y associer un service de haute volée.
L’intention est bonne mais au final le client se retrouve avec beaucoup de prétention et quelque chose sans grand intérêt dans leurs assiettes…
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