Le mariage récent de l’un de mes cousins fut l’un des rares moments offerts à la famille élargie de se retrouver: oncles et tantes venus de province ou d’Amérique, famille plus éloignée qu’on convie pour l’occasion, ou plus simplement, frères, soeurs ou enfants que le quotidien surchargé de Seoul empêche de réunir fréquemment. Alors que les jeunes mariés sont déjà en route pour leur lune de miel, le reste de la famille se retrouve comme il est de tradition chez les parents du marié, pour un grand dîner familial.
tandis qu’en cuisine, on s’affaire sous la direction de la maîtresse de maison entourée des femmes et des jeunes, une chose assez étrange pour un Français non averti arrive dans le salon: le père du marié, qui trône au milieu des hommes et de la génération des grands parents, s’empare de la télécommande et allume la télévision. Bientôt, tous les invités profitent de ce moment rare et précieux pour diriger leurs attentions vers cet écran plat dernier cri qui diffuse un talk show abrutissant ou la rubrique chiens écrasés du journal télévisé qu’ils pourraient regarder à n’importe quel autre moment.
Ma famille est-elle un peu particulière, où couvent l’un de ces secrets si traumatisants qu’il est préférable de faire diversion avec la TV plutôt que de se parler? Ou bien est-ce la société coréenne toute entière qui se lobotomise progressivement à coups d’émissions débiles diffusées partout, tout le temps? Car ici aucun restaurant, salon de coiffure ou autres salles d’attente en tout genre n’oubliera de mettre à disposition une TV (Samsung ou LG bien entendu) pour ses clients.
On est facilement tenté, moi le premier, de porter un jugement négatif et désolé sur l’omni-présence de la télévision qui remplace ces moments d’échanges précieux que sont les discussions en famille. Pourtant ce jugement ne peut pas être aussi catégorique, car si en France le partage passe par la conversation et que par conséquent il est important d’y accorder du temps, notamment lors des repas de famille, les Coréens ne ressentent pas nécessairement le besoin de se parler pour partager des moments qu’ils considèrent de qualité.
En réalité, les Coréens ont une culture beaucoup plus dominée par l’écrit que par l’oral. Et l’on s’en rend compte au fur et à mesure que l’on est confronté aux tâches de la vie de tous les jours, résolues à l’écrit en Corée, alors qu’elles le seraient à l’oral en France: un message à communiquer à un ami dont le portable ne répond pas? Là où nous laisserions un message vocal, les Coréens enverront tous un SMS, au point que personne ici ne personnalise son message de répondeur et que je n’ai moi-même pas reçu un seul message vocal sur mon portable depuis mes 1 an et demi de présence en Corée. Une réunion business importante ? Toutes les décisions seront souvent prises en amont par échanges d’email, la réunion ne servant souvent qu’à une cérémonie protocolaire pour entériner les décisions. Et même si la réunion est de moindre importance ou moins préparée, les participants discuteront souvent autour d’une feuille A4 où ils peuvent dessiner schémas, tableaux, ou plus simplement écrire les quelques mots clés. Appréhension d’une langue étrangère? Beaucoup de Coréens sont champions du monde du TOEFL, TOEIC, et autres tests d’évaluation écrits d’Anglais, mais les mêmes sont souvent incapables d’aligner deux mots.
Derrière cette façade un peu déprimante de dîner de mariage englué devant la télé se cache donc peut-être une forme de partage peu discernable pour ceux d’entre-nous à qui l’on a toujours appris qu’il était malvenu d’allumer la télé lors du rituel dîner en famille.
L’utilisation énorme de l’écrit est un élément agréable pour travailler avec des Coréens par fois, cela permet de passer outre les difficultés de communication et la timidité fréquente des collégues.
Ceci dit en France je ne serais pas supris de voir des familles se réunir devant une télé aussi !