On commence à le savoir maintenant, Jean-Vincent Placé est né à Séoul, puis adopté par des parents normands, ce qui lui a valu l’attribut de “Coréen National” par le député Alain Marleix. Les adoptés d’origine coréenne sont près de 200 000 dans le monde, et plus de 11 000 en France selon le ministère de la santé coréen. Ceci fait de la France le deuxième pays d’accueil d’adoptés d’origine coréenne en nombre absolu, les pays scandinaves étant devant en pourcentage de la population.
Cette vague d’adoption commence au milieu des années 50, où la guerre de Corée déverse dans les ruelles boueuses d’un pays exsangue des milliers de bébés abandonnés, aux premiers rangs desquels des métisses issus de liaison entre GI ou casques bleus occidentaux et coréennes. Ces bébés métisses attirent tout autant la compassion du public américain qu’ils suscitent le rejet par une société coréenne qui ne saurait accepter de voir sa race souillée par du sang blanc ou pire noir.
Dans un élan de générosité et d’humanité – il est vrai fortement soutenu par la doctrine américaine du containment et de l’atmosphère du baby boom – les premiers coréens furent donc adoptés par l’Amérique. Figure emblématique de cet élan, le couple Holt, Harry et Bertha, américains et chrétiens évangélistes qui émus du sort des orphelins coréens suite à un reportage, s’envolèrent en Corée pour adopter huit enfants en 1955. Dans la foulée, ils créèrent la Holt International Children’s Services, agence d’adoption internationale dont l’activité en Corée a été centrale jusqu’à nos jours.
Mais l’histoire des adoptés d’origine coréenne ne se limite pas aux bonnes oeuvres chrétiennes pour sortir quelques misérables de la pauvreté, car le flux d’adoptés se serait alors tari au fur et à mesure que la Corée sortait de cette pauvreté. Or la Corée a été le premier pourvoyeur d’enfants à l’adoption internationale jusque la fin des années 80, époque où son niveau de vie avoisinait déjà celui des pays d’Europe du Sud. Si l’offre de Coréens à l’adoption n’a pas diminué avec la courbe de la pauvreté c’est que rapidement, les difficultés matérielles, bien qu’il ne faille pas les sous-estimer, ne furent pas les raisons principales aboutissant à l’abandon, puis le départ d’enfants coréens vers l’étranger.
En réalité, deux raisons majeures expliquent pourquoi la Corée a été jusqu’à une époque toute récente le plus grand pourvoyeur d’enfants à l’adoption. D’abord parce que ce pays a longtemps poussé le conservatisme confucéen jusqu’au bord de l’archaïsme. Aujourd’hui encore, la virginité de la femme est un critère placé haut dans la liste des conditions requises pour le mariage, surtout entre gens de bonne famille. Bien sûr dans la réalité les rapports sexuels avant mariage sont fréquents, mais même aujourd’hui il faut sauver les apparences, et il est extrêmement rare qu’un couple même fiancé, emménage ensemble avant le mariage. Dans ce contexte, le destin de la plupart des enfants nés hors mariage semble scellé.
D’autant plus scellé que l’adoption à l’international de ses ressortissants bébés a été depuis le début soutenu par le gouvernement de Seoul. Car quoi de plus efficace que les liens biologiques pour s’attirer les aides et faveurs de pays occidentaux? Encourager l’adoption internationale vers des pays “amis” a très vite été perçu par le gouvernement comme un moyen de renforcer les liens diplomatiques avec les pays soutiens indispensables, grâce aux liens affectifs véhiculés par des centaines de millers de ressortissants de pays occidentaux certes, mais dont les origines sont coréennes.
L’adoption internationale avait un autre avantage non négligeable: celui d’économiser les coûts liés au financement de ces orphelins qu’il fallait bien nourrir, loger, puis éduquer. L’adoption à l’international fut donc une économie de charges sociales, un transfert d’Etat providence en quelque sorte, qui expliquent peut-être pourquoi la France et les pays scandinaves furent les principaux pays d’accueil des adoptés d’origine coréenne, aux côtés des Etats-Unis, l’allié historique. De fait les autorités sud-coréennes mettaient un grand soin à sélectionner les familles d’accueil en fonction du revenu, mais également du statut social afin que leurs futurs ex-ressortissants bénéficient du meilleurs cadre possible pour s’épanouir.
Dès les années 60 c’est donc un véritable dispositif national de recrutement d’enfants à l’adoption qui fut mis en place. Les femmes enceintes isolées étaient accueillies dans quelques centres de maternité et d’adoption, leurs accouchements pris en charge et l’adoption présentée comme la meilleure solution à leurs problèmes. Et dès la fin des années 60, chaque vol en provenance de Corée atterrissant dans un aéroport américain ou d’Europe de l’Ouest, dont Orly puis Roissy, comprenait son lot d’enfants coréens faisant leurs premiers pas sur leur nouvelle patrie et sur le point de rencontrer leurs parents adoptifs.
Cette exportation humaine à des fins diplomatiques et économiques est-elle discutable? Elle est en tout cas culpabilisante si l’on en croit la réaction récente des Coréens eux-mêmes: c’est à la fin des années 90 que le gouvernement de Séoul se sensibilise au sujet des adoptés d’origine coréenne, notamment sous l’impulsion du président Kim Dae-jung qui en 1998 accueillit des représentants d’adoptés et leur exprima ses excuses pour l’incapacité de son pays à les avoir élevés. Lors d’une visite officielle en France en 2006, son successeur Roh Moo-hyun poursuivit cet effort de reconnaissance officielle des adoptés lorsqu’au cours d’une rencontre avec la communauté coréenne basée en France, il invita la Présidente de l’association Racines Coréennes, regroupant les Français adoptés d’origine coréenne, à venir s’exprimer à ses côtés à la tribune.
Mais les motivations ne sont pas uniquement de nature rédemptrice: à l’heure de la mondialisation, un réseau de quelques centaines de milliers adoptés d’origine coréenne répartis dans quelques unes des premières puissances économiques mondiales est vu avec beaucoup d’intérêt par le gouvernement coréen qui constate avec envie les bénéfices que son voisin chinois tire de sa diaspora internationale.
Au sein de l’opinion publique également le regard sur ces adoptés d’origine coréenne change. Longtemps occultée, la réalité des adoptés d’origine coréenne est redécouverte par les médias depuis les années 90, à coup d’émissions de type “Perdu de vue” et appels à témoins pour aider les adoptés revenus dans leur patrie d’origine à retrouver leurs parents biologiques. A coup de fictions-romances également mettant en lumière le destin d’adoptés “égarés” retrouvant finalement leurs racines en Corée.
Les Coréens ont donc certes un regard plus compassionnel envers les adoptés, mais n’en font pas pour autant des Coréens. Notamment parce que pour de nombreux Coréens, être Coréen c’est avant tout d’avoir des racines coréennes, une lignée d’ancêtres identifiables, reconnue comme de sang coréen et dont on peut revendiquer avec fierté l’appartenance. Demandez donc à un Coréen si les adoptés sont de “vrais Coréens”, beaucoup vous répondront par la négative: “parce qu’ils n’ont plus de racine”.
Décidément, il n’y a guère plus que Marleix pour penser que Placé est Coréen.
Corée. Une nouvelle ère pour l’adoption.
Ecrit par Jane Jeong Trenka (présidente de TRACK), Tammy Ko Robinson (professeur de l’ Université de Hanyang ) et Kim Stoker (Représentant Adoptee Solidarity Korea ASK), tous membres de la Coalition pour la Réforme de l’Adoption
http://abandon-adoption.hautetfort.com/archive/2011/07/29/coree-une-nouvelle-ere-pour-l-adoption.html
[…] : La gazette de Seoul » Adopté. Tags: Corée, […]
[…] (source : https://blog.slate.fr/la-gazette-de-seoul/2011/09/11/adopte/) […]
Bonjour Kim !
Je découvre avec plaisir votre blog, et trouve votre article intéressant et écrit avec style et justesse.
Au plaisir de continuer à vous lire !
Cordialement.
Julien ChAbAdA
Bonjour Pierre !
J’ai découvert cet article via le lien de Kim Sobong.
Je suivrais avec intérêt la gazette de Séoul.
Cordialement.
Julien ChAbAdA