Etudier à en mourir

C’est l’histoire (vraie) d’une grand-mère inquiète de voir son petit fils de 6 ans occupé à tuer une par une les fourmis qui avaient eu la mauvaise idée de s’installer dans le coin du jardin où le petit garçon avait choisi de passer son dimanche après-midi. Bien sûr, il n’y a rien de grave à tuer quelques fourmis à cet âge, mais l’attitude du garçon a dû paraître suffisamment inquiétante, pour que la grand-mère s’approche et demande à son petit-fils pour quelle raison il s’évertuait à tuer chaque fourmi, méthodiquement, systématiquement, presque obsessionnellement.

– “C’est parce que j’ai envie de mourir comme elles…”

– “Mais pourquoi mon petit !!??”

– “Parce que c’est trop dur de vivre, entre l’école, les cours privés d’anglais, les cours privés de maths, les cours privés de piano, les cours privés d’informatique, les cours privés de taekwondo…”

Cette histoire à peine croyable en France est pourtant une réalité chez un nombre croissant de jeunes, voire très jeunes coréens. Une réalité telle qu’en 2009, 6 élèves de primaires coréens se suicidaient effectivement selon le ministère de l’éducation coréen. Et on ne peut pas dire que les choses s’arrangent avec le poids des années: le suicide est la première cause de mortalité chez les Coréens dans leurs vingtaines ou leurs trentaines.

Cette réalité est le côté sombre du système éducatif coréen dont souvent, nous ne connaissons que le côté séduisant: celui des meilleurs notes de tous les pays de l’OCDE lors des tests organisés par l’enquête PISA, ou encore celui des éloges faits par Obama ou Bayrou. Ces éloges ne sont pas infondés et si la Corée s’est sortie aussi rapidement de la pauvreté, elle le doit beaucoup à son système d’éducation qui a su donner un accès aux études supérieurs de qualité au plus grand nombre d’étudiants coréens dont la raison d’être des parents est bien souvent de leur assurer la meilleure éducation possible, au prix de tous les sacrifices possibles et imaginables.

Mais dans un contexte de plus en plus compétitif, la machine s’est emballée, au point qu’il est courant aujourd’hui d’imposer dès la maternelle des cours privés de toute sorte à son enfant pour ne pas voir celui-ci décroché par rapport à ses camarades de classe. Bien entendu, tous ses cours ont un coût et ça n’est pas par hasard si de tous les pays développés, les familles coréennes sont celles qui consacrent le plus gros budget à l’éducation.

Dans ces conditions, envoyer ses enfants étudier à l’étranger est le rêve de tout parent (est-ce vrai qu’en France l’université est gratuite? me demande-t-on souvent ici). Ou question encore plus basique: est-ce bien raisonnable de mettre au monde un enfant? Se demande la Corée, dont le taux de natalité est le plus bas au monde.

lire le billet

Bavure aérienne

Cette histoire ferait bien rigoler si l’on n’avait pas frôlé la mort de 110 passagers d’un vol civil entre la Chine et la Corée du Sud, et s’il ne s’agissait pas de l’une des armées les plus exposées au risque d’un conflit ouvert avec l’un des états voyous les plus dangereux de la planète.

Selon l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, des Marines sud-coréen en poste sur l’île de Gyodong, auraient confondu un Airbus A321 de la compagnie aérienne Asiana effectuant une liaison régulière entre la Chine et l’Aéroport de Séoul, avec un avion militaire nord-coréen. Deux Marines sud-coréens en poste de surveillance à 4h du matin le vendredi 17 juin auraient ainsi tiré 99 salves en 10 minutes en direction de ce qui s’avérait être un avion civil en phase d’approche normale de l’aéroport international d’Incheon. Heureusement, la myopie de nos deux soldats n’avait d’égal que leur incompétence: ils tiraient avec des fusils d’assaut d’une portée limitée et l’avion trop éloigné n’aurait pas été touché.

Rien pour l’instant n’explique cette bévue grave, car l’avion aurait emprunté son couloir de vol habituel sans en dévier significativement. Rien sinon la mise sous tension extrême de l’armée sud-coréenne qui depuis un an et demi, doit faire face aux provocations répétées du Nord, mais également à ses propres défaillances: en mars 2010, l’un de ses navires de combat, le Cheonan coule aux abords des côtes coréennes faisant 46 morts. Il faudra 2 mois pour seulement identifier les causes de ce drame: une torpille lancée par un sous-marin nord-coréen. Quelque peu embarrassant pour un navire dont la mission était la surveillance des côtes et la défense anti sous-marins.

8 mois plus tard, l’artillerie nord-coréenne pilonne l’île de Yeongpyeong, faisant 4 morts dont deux civils côté Sud. Là encore on critique le manque de réactivité de l’armée sud-coréenne, qui n’aurait pas su détecter et répliquer à temps aux tirs du Nord. Cette crise entraîne la démission du Ministre de la Défense de l’époque et la feuille de route de son remplaçant comprend notamment la simplification des règles d’engagement de l’armée, afin qu’elle privilégie la réactivité aux dépends du souci de limiter les risques d’escalade.

On peut dire que pour la simplification des règles d’engagement et l’amélioration de la réactivité, c’est réussi! Mais il faudrait peut-être rappeler de temps en temps à nos allumés de la gâchette que l’aéroport international de Séoul n’est qu’à quelques kilomètre de la frontière et des zones maritimes à forte tension entre les deux Corée.

Cet avion de ligne ressemble-t-il à un avion de l'armée nord-coréenne?

 

L’armée se veut elle très rassurante et déclare selon l’agence Yonhap, qu’elle va “intensifier ses efforts pour apprendre à ses soldats à reconnaître un avion civil, tout en demandant aux avions civils de ne pas dévier de leurs routes”.

Nous voilà rassurés.

lire le billet

Organigramme

La Corée accorde une importance majeure aux titres honorifiques. Quelles que soient les circonstances, il est très rare d’appeler quelqu’un Monsieur ou Madame Martin, mais plutôt Président Martin (dans le sens de “patron”, y compris d’un tout petit commerce) ou Docteur Martin (dans le sens de titulaire d’un doctorat, même si le diplôme a été obtenu il y a 50 ans), ou tout simplement Maître Martin (dans le sens de je ne sais pas trop ce que tu es ou ce que tu fais, mais tu dois bien être maître de quelque chose).

Si dans la vie de tous les jours, les titres honorifiques ont tant d’importance, je vous laisse imaginer ce qui se passe dans un contexte professionnel. D’ailleurs, ceux qui ont fait l’expérience de voyages d’affaires en Corée pourront en témoigner: pas une réunion ne commence avant ce rituel où chacun sera debout pour échanger (des deux mains) les cartes de visite, ces précieux sésames qui dévoileront le titre de son interlocuteur, en n’oubliant pas de montrer ostensiblement qu’on lit attentivement leurs contenus. On peut également ajouter une discrète exclamation pour montrer l’admiration que suscite le titre de son interlocuteur, celle-ci sera toujours la bienvenue.

Il existe en moyenne une dizaine de niveaux hiérarchiques au sein d’une entreprise. Lorsqu’on débute, on est “Sawon”, c’est à dire pas grand chose: une entité négligeable dont le salut viendra pas le travail, encore et toujours, sans protester, afin que d’ici quelques années (2 ou 3 ans en moyenne, mais cela peut varier en fonction des entreprises et des secteurs d’activité), s’ouvre l’accès à l’échelon supérieur.

L’échelon supérieur se nomme “Daeri”, un titre qui paraît bien peu de chose également lorsqu’on considère la dizaine de rangs hiérarchiques qui se situent au-dessus, mais qui consacre quand même la bonne intégration du collaborateur au sein de l’entreprise et surtout, la première promotion qui on l’espère ne sera pas la dernière. Comme partout ailleurs, plus les grades augmentent et moins les promotions sont acquises, tandis que la concurrence se fait plus rude. Et seuls quelques survivants parmi les plus talentueux, ambitieux et résistants des collaborateurs accèderont un jour à l’équivalent d’un poste de “isa”, c’est à dire de cadre dirigeant ou membre du comité exécutif.

En théorie, ce système de titres suit une logique assez simple: celle de l’organisation pyramidale de l’entreprise, avec à la base des petites équipes, elles-même chapeautées par de plus grands départements, eux-mêmes chapeautés par de plus grosses divisions, etc. Et en bout de chaîne, des filiales, elles-mêmes chapeautées par la holding. Plus on monte en hiérarchie, plus on devient chef (“jang”) d’une grosse entité. On est ainsi “”Gwa-jang”, ou chef d’un “Gwa”, qui est une petite unité, puis “Bu-jang”, soit chef d’un “Bu”, une division plus grosse, etc. Bien sûr on peut en être à un stade intermédiaire, car entre les rangs de chef  existent des rangs de sous-chef.

Au final ces titres constituent un gros mal de tête pour les occidentaux non initiés, mais un élément fondamental de l’identité des Coréens, dans une société où le travail constitue une des composantes majeures du statut social. Car au travers de ce titre figurant sur sa carte de visite, on dévoile quelques informations essentielles sur soi.

Ainsi en dévoilant qu’on est un “Bu-jang” au sein d’un Chaebol, on indique également combien d’années on a dû travailler au sein de cette entreprise pour en arriver là, et par conséquent quel âge on doit avoir. On donne également une indication de son salaire, et donc de son niveau de vie. Et au bout du compte, avec l’âge et le niveau de vie, on sait très bien imaginer la vie de ce Bu-jang dans ce pays au conformisme poussé et aux trajectoires balisées: marié, un, peut-être deux enfants de bas âge, habitant sûrement dans un appartement en location près de son bureau, donc dans tel quartier, projetant l’achat d’un logement, etc.

Bref, en Corée c’est vraiment: “donne-moi ta carte de visite, et je te dirai qui tu es”.

lire le billet

Batterie à plat

C’est en étant confronté aux problèmes de la vie courante qu’on en apprend le plus sur le lieu où l’on vit: en l’occurrence, une batterie de voiture à plat pour avoir laissé les veilleuses allumées toute une journée. Il est 23h, le parking sous-terrain est vide, et j’ai tout sauf envie de m’aventurer dans la quête d’une nouvelle batterie à cette heure tardive après une journée de travail. Je fais alors comme j’aurais fait à Paris, et je cherche quelque part dans la boite à gants ce porte-documents contenant tous les papiers relatifs à la voiture, l’objectif étant de trouver un équivalent de Renault Assistance à qui j’avais fait appel une fois à Paris dans de telles circonstances.

C’est là que je tombe sur ce qui semble être le début d’une solution à mon problème: une carte de visite avec le logo de la filiale assurance du groupe Samsung. J’ai dû faire comme des milliers d’autres Coréens et choisir cette marque tentaculaire comme assureur.

J’appelle donc le numéro qui figure sur la carte et tombe… sur un répondeur qui m’annonce que malheureusement, tous les assistants sont occupés et que je vais être mis en relation avec un serveur vocal pour répondre à ma demande. Je n’ai pas encore beaucoup d’expérience de serveurs vocaux coréens, mais s’ils ressemblent à leurs cousins français, je sens que je vais prendre directement un taxi pour éviter de perdre encore plus de temps.

– “Veuillez saisir votre numéro d’identification nationale puis appuyez sur dièse…” Je mets un peu de temps pour chercher mon “alien registration number” que l’on m’a attribué au moment de me délivrer mon visa longue durée et qui figure sur ma carte de séjour, mais je suis déjà soulagé qu’on ne me demande pas un numéro client qui figurerait sur le courrier de bienvenue que j’aurais jeté il y a des mois.

– “Si vous venez d’avoir un accident appuyez sur la touche 1, si vous êtes en panne appuyez sur la touche 2…” je n’attends pas la suite du menu vocal et presse la touche 2 de mon téléphone.

– “Si vous êtes en panne de batterie, appuyez sur la touche 1…” Tiens, cette déconvenue n’arriverait donc pas qu’à moi? Pensé-je en pressant la touche 1 de mon téléphone…

– “Si vous souhaitez être geolocalisé appuyez sur la touche 1…” Oui! Oui! Faites donc m’exclamé-je en pressant encore une fois la touche 1, surtout que les adresses à Seoul permettent peut-être aux lettres d’arriver à bon port, mais surtout pas aux gens de s’orienter.

– “Un dépanneur est en route et vous rappellera à ce numéro une fois arrivé à proximité. Merci de votre appel, blablabla.”

J’ai à peine le temps d’ouvrir le capot de ma voiture et de repérer la batterie que mon téléphone sonne. J’indique alors au dépanneur le nom du parking en précisant qu’il se situe derrière tel grand hôtel au niveau de tel carrefour. Il était en fait déjà au coin de la rue et nous raccrochons alors que je le vois s’approcher dans une voiture arborant fièrement la devise “Samsung Anycar”.

Un grand bonjour suffira en guise d’échanges d’amabilité, on devine que le bonhomme a une longue liste de patients. Il ouvre le coffre de sa voiture (de marque Renault Samsung) où se trouve une batterie secondaire d’où partent deux cables qu’il ne reste plus qu’à relier à ma batterie. Je mets le contact et le moteur démarre à mon grand soulagement.

– “Combien vous dois-je?”

-“Rien du tout, c’est compris dans votre forfait.”

Il me salue une dernière fois, et repart aussi vite qu’il est venu.

Et voilà comment on règle en moins de 20 minutes un problème de batterie à plat en Corée du Sud.

lire le billet

Heureux comme un Nord-coréen

C’est la nouvelle du jour: d’après le site web chinois sur la Corée du Nord Chaoxian.com.cn la télévision d’Etat nord-coréenne aurait récemment dévoilé le classement de 203 pays en fonction de leurs BNB: Bonheur National Brut (Gross National Happiness). Il y avait donc l’indicateur du bien-être lancé par l’OCDE il y a quelques jours, il y a dorénavant l’indicateur du bonheur selon le régime de Pyongyang. Mais lequel croire? Tant les deux classements diffèrent…

Il aurait été très intéressant de se pencher sur la méthodologie permettant de calculer cet indice du bonheur version nord-coréenne mais malheureusement aucune donnée n’est disponible à ce sujet. Attardons-nous donc sur le classement qui nous révèle que les plus heureux au monde sont les Chinois, avec un score parfait de 100/100, suivi de près par les Nord-Coréens avec une note de 98/100, puis viennent les Cubains, les Iraniens et les Vénézuéliens. La Corée du Sud arrive à une médiocre 152ème place, ce qui est toujours mieux que la performance de “l’Empire Américain” (quel joli re-branding), bon dernier avec une note de 3/100.

Tentons d’expliquer que la Corée du Nord, n’arrive pas en tête du classement: n’est-ce pas le paradis communiste? Comment dans ce cas ne pas récolter la note parfaite? Mais parce que la Corée du Nord n’en est pas encore là. Elle n’est qu’une république socialiste, qui la mènera sur la voie d’une société communiste qui pourra alors prétendre à la note parfaite de 100/100. La Chine y serait donc, elle? Ben oui voyons…

Que ce type d’annonce fasse rire la planète entière doit être le cadet des soucis du régime de Pyongyang, tout simplement parce que c’est vers l’intérieur qu’est destinée cette propagande. Et qu’elle est d’une efficacité redoutable dans un pays où il n’existe qu’une télévision d’Etat, où les radios sont bloquées sur quelques fréquences autorisées, où le nombre de connexions Internet dans tout le pays ne doit pas dépasser le nombre de connexions de l’immeuble de Seoul d’où je poste ce billet, et où certes les téléphones portables ont fait leur apparition, mais ne peuvent pas appeler l’étranger.

Quelle est la part des Nord-Coréens n’avalant pas cette propagande ridicule? Impossible de le savoir. Mais que le régime ose vanter à ce point sa réussite à un peuple qui n’a connu que la misère, la famine et les privations des libertés les plus élémentaires depuis les 30 dernières années, montre à quel point il est confiant dans sa capacité à contrôler son peuple malgré toutes les privations et souffrances, en le maintenant dans un isolement maximum.

Ce qui fait également réfléchir sur l’efficacité des sanctions économiques ou diplomatiques, n’aboutissant au final qu’à isoler toujours plus un régime qui cherche justement à conduire son peuple au bout de l’isolement.

 

lire le billet