« Je voulais être sculpteur. Pour moi, c’est la même chose de travailler le tissu ou la pierre » disait Madame Grès dont l’oeuvre est aujourd’hui exposée au Musée Bourdelle.
Hors les murs, l’expression est belle, le musée Galliera, avec son nouveau directeur Olivier Saillard organise une grande rétrospective du travail de Madame Grès. Couturière hors pair, elle a quasi sculpté ses robes sur les corps. A partir d’ébauches minutieuses sur un modèle humain, Madame Grès drape, construit, pose des épingles. Ensuite se déroule un long et patient travail à l’abri des regards.
Germaine Krebs a débuté dans les années trente, d’abord associée à Julia Barton avec qui elle ouvre Alix Barton qui devient en 1934 plus simplement la Maison Alix. Les robes inspirées de l’Antiquité assurent la renommé d’Alix. En 1935 la maison signe les costumes de La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux, mise en scène par Louis Jouvet. En 1939, à l’exposition universelle de New York, est présentée l’esquisse d’une robe sur un bas-relief antiquisant dessinant un corps féminin. Signée Willy Maywald, une magnifique photo reprend la même idée, mais avec un véritable mannequin au sein nu. Work in progress, jeu de corps en statuaire.
Essayage d’un modèle Alix de 1939. Photo Willy Maywald 1954 Assoc. Willy Maywald /ADAGP, Paris 2011
Esayage d’un modèle par Melle Alix 1933. Photo Boris Lipnitzki / Roger-Viollet
Après une mésentente avec ses partenaires et puis ensuite la guerre, Germaine Krebs crée en 1942 sa maison qu’elle baptise à partir de l’anagramme du prénom de son époux, Serge. Ce sera Grès. Pendant la guerre, elle raconte avoir créé une collection en hommage à la France avec des tissus bleu, blanc et rouge. Ces tons se retrouvent dans tous les dessins des années 43 et 44. En 1945, elle participe au petit théâtre de la mode qui présentait de façon itinérante la couture sur des mannequins de bois, en modèles réduits. Au cinéma, elle signe en 1945 une partie des costumes (avec Elsa Schiaparelli) de l’admirable Dames du bois de Boulogne de Bresson, en habillant Maria Casarès.
Déjà passionnée par l’Orient pendant sa période Alix, elle le retravaille encore, différemment, mettant à l’honneur une « manche kimono » à la fin des années 40. Plus tard, après un voyage en Inde en 1958, elle imagine une collection inspirée de ses découvertes orientales et se profileront des robes sari. L’Inde lui inspire aussi son premier parfum : Cabochard, un nom qui signe sa personnalité.
Madame Grès « travaille », selon une expression qu’elle affectionne. Elle construit de façon minutieuse et précise des robes de haute couture. Avec une paradoxale simplicité, ses modèles sont remarquablement travaillés. « Je ne crée jamais une robe à partir d’un croquis. Je drape le tissu sur un mannequin, puis j’étudie à fond son caractère et c’est alors que je prends mes ciseaux. La coupe est la phase critique et la plus importante de la création d’une robe ». La réalisation d’un plissé est une prouesse, ainsi le jersey dit Alix d’une largeur de 280cm se réduit à une largeur de 7cm, par effet de plissés minutieusement cousus dans le droit fil. Ce pli formé pendant la construction, puis ensuite cousu, portera le nom de la couturière : pli Grès. Si les drapés qualifient son emblématique signature, elle s’insurge parfois de leur importance : « On parle toujours de mes drapés ! Bien sûr, ils existent, mais il n’y a pas que cela. D’ailleurs, je n’en présente jamais plus de deux ou trois par collection sur soixante modèles. »
Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
En 1957, elle participe à l’évolution de la mode vers le prêt-à-porter et imagine Grès spécial, des vêtements aux lignes simples, épurées et plus tard en 1962 Grès Mademoiselle, pour les jeunes filles.
En 1986 elle réussit à coudre, à plus de 80 ans, une robe sans couture dans une pièce de tissu tubulaire à l’aide de ciseaux pour ouvrir des espaces pour le passage de la tête et des bras.
En 1988 elle offre une de ses dernières robes à Hubert de Givenchy qui raconte qu’elle lui confia : « J’adore tellement les robes que j’aurais voulu ne jamais les vendre, mais les donner. »
Madame Grès avait des rêves de sculpture et s’est particulièrement intéressée à la période hellénistique et aux chefs d’oeuvre de l’art indien.
Aujourd’hui son travail est confronté à un des maîtres de la sculpture. Présentées de façon très simple avec des supports de sculpture, ses robes composent une merveilleuse rencontre avec les oeuvres de Bourdelle. Dans un parcours enchanteur, le tissu répond à la pierre, au plâtre avec grâce. Si Bourdelle ne s’est pas véritablement intéressé à la mode, il appréciait les costumes traditionnels, les ballets russes, suédois… Dans la rue, le sculpteur observe, décrit. A Marseille, il imagine les femmes : « Cariatides du vent ». Il s’amuse à imaginer les lignes des vêtements sur les corps : « Leurs cuisses rondes en colonnes avec, en chapeau souverain, les hanches fortes toutes en lignes de douceur » ou encore : « Leurs jupes à mille plis à flots d’étoffe de laine, à raies verticales, rythmaient leurs reins ». Toute une collection de photographies est conservée au musée, clichés de vêtements drapés pour étudier leur tombé sur le corps. Le sculpteur a réalisé des oeuvres où le drapé, en pierre, s’exprime avec élégance. Là aussi la sculpture a rejoint la mode.
Modèle Alix 1934 Studio Dorvyne /FNAC/ Centre nat. des arts plastiques /Ministère de la culture
Magnifique, la rétrospective réussit à faire oublier la triste fin de la maison quand elle fut en partie rachetée par Bernard Tapie en 1984. La légende de madame Grès raconte qu’elle aurait dit à l’homme d’affaires : « Moi monsieur, je suis dans les musées, vous n’y serez jamais ». Il n’y eut guère de respect pour le patrimoine de la maison dans la suite. Les locaux furent vidés et une partie des documents jetés dans un camion poubelle ! Revendue à Jacques Esterel, la maison de couture finit dans les mains d’un nouvel acheteur japonais, Yagi Tsuho en 1988. Des créateurs, certains de talent, ont eu pour mission de relancer le nom de Grès. Ainsi de 1995 à 1998 Frédéric Molenac ou encore Koji Tatsuno en 2002. Mais il est parfois (souvent) difficile de relancer une belle endormie.
Il faut courir voir l’exposition d’une grande dame.
Modèle Alix 1938 Photo Arik Nepo /FNAC / Centre nat. des arts plastiques. Ministère de la culture.
Madame Grès. La couture à l’oeuvre. Musée Bourdelle. Jusqu’au 24 Juillet (Palais Galliera hors les murs)
Lègende première photo : Madame Grès posant à côté d’un modèle, 1964. Photo Eugène Rubin.