Uniformité, une exposition du FIT à New York se plonge dans l’histoire du costume au travers de la notion d’uniformes explorant la variété des tenues afférentes au thème. Entre réalité concrète et source d’inspiration infinie pour la mode, quatre thèmes principaux ont été privilégiés : l’armée, le travail, l’école et le sport. Des fragments d’histoire et la réinterprétation des thématiques par les créateurs qui ont souvent puisé aux sources de l’uniforme nourrissent le propos au travers d’une sélection de 70 pièces issues des collections du FIT.
Autour de l’idée d’uniforme se dessine la question d’égalité, d’appartenance à un groupe, à une communauté, à une armée, sans se distinguer, pour mieux se fondre. L’interrogation autour du genre se dessine aussi au travers des options masculin-féminin tout en conservant des codes de séduction avec la jupe, la robe dans le cadre du travail.
L’armée
L’uniforme des militaires possède ses codes, ses couleurs. Si le kaki (khaki = poussière en persan puis en Inde où le terme est repris par les Britanniques) habille les militaires, c’est le terme olive qui revient souvent aux Etats Unis pour désigner la couleur verte qui signe nombre d’uniformes. Ainsi le blouson Ike (pour Eisenhower) ou le modèle Jeep. En mode contemporaine, tenue déstructurée chez Comme des garçons.
Camaïeux de verts pour se fondre en camouflage et mieux disparaître dans la nature. Le néo camouflage resplendit chez John Galliano ou Claude Sabbagh.
La marine se pare évidemment d’un code couleur bleu et se trame de l’iconique rayure récupérée par l’esthétique balnéaire. Si le couturier Mainbocher a oeuvré pour l’uniforme naval des femmes, la postérité en mode se retrouve chez Chanel, Yves Saint Laurent, Perry Ellis, Jean Paul Gaultier, Sakai… Une vague sans fin.
L’école
Inspirée de l’armée, les uniformes scolaires sont souvent l’apanage des « bonnes » écoles, les plus chics, les plus chères. Dans certains pays, l’uniforme scolaire est quasi omniprésent comme au Japon. Rudi Gernreich a imaginé une mini robe en hommage à l’idée que l’on peut se faire d’une écolière japonaise… Blazer, boutons dorés, casquettes, chemisettes, jupes plissées … tous ces éléments se retrouvent aussi en mode avec une allure pas toujours sage voire ambiguë.
Travail
Emplois de services, uniformes de magasins, le personnel doit facilement être repéré pour s’occuper de la clientèle. Tenue Mac Donald de serveur avec le code couleur rouge et jaune et sa réinterprétation mode avec la tenue créée pour Moschino par Jérémy Scott.
Travail aussi pour les infirmières avec les tenues en période de guerre et le sigle de la croix rouge.
Hôtesses de l’air à l’uniforme strict mais féminin. Signes reconnaissables, attributs, barrettes, chapeaux, bonnets (infirmières, hôtesses..) complètent la panoplie. Pour le service s’ajoutent aussi souvent le tablier à poche pour le carnet de commande. Chanel autour du thème de la brasserie avait organisé un défilé et des modèles en références à l’esprit du lieu.
Sport
Chaque sport a sa tenue exigée pour une pratique professionnelle ou pour l’occupation de terrains. Évolution à suivre aussi en fonction des époques, ainsi les jupes qui raccourcissent sur les courts de tennis. La présence de numéros et de noms des équipes sur les tenues ont aussi influencé les marques qui se sont mises à brander leurs noms sur leurs vêtements de façon démesurée.
À l’opposé de la mode, l’uniforme gomme les différences. Conçus pour être pratiques et fonctionnels, les uniformes ne s’embarrassent pas, en principe, de trop de superflu, de détails inutiles et pourtant que ce soit les boutons dorés, les galons, la multiplication des poches… l’uniforme lui aussi participe à une aventure de mode hors du commun. Paradoxe de l’idée de se fondre dans un groupe, de s’y assimiler et aussi de se distinguer par rapport à l‘ensemble de la population. Le temps joue aussi un rôle, l’uniforme est fait pour durer, il évolue peu tandis que la mode suit un rythme de vie effréné se renouvelant (ou essayant de…) tous les six mois. L’uniforme a souvent un côté un peu raide, rigide, plus masculin alors que la mode s’exprime plus aisément avec des codes de féminité, plus souple, plus fluide.
L’exposition du FIT effleure un sujet tellement vaste qu’il mériterait une gigantesque exposition avec analyse des influences de ce vêtement codifié et ses avatars en créations de mode, mais c’est déjà une très jolie plongée.
Les réseaux sociaux bruissaient et les commentaires y allaient bon train. En route pour la ligne 9, Havre-Caumartin et Chaussée d’Antin, territoire des grands magasins. Sur les quais, un affichage haut en couleurs et des slogans directs avec vue sur le produit. Loin des codes du glamour, sans égérie inaccessible, une campagne Chanel beauté au graphisme simple (trop ?) et souvent à l’impératif.
-Ne soyez pas belle soyez sublime (Soin Sublimage).
-Soyez égoïste (Parfum Égoïste).
-Libérez le naturel (Fond de teint).
-L’intelligence au pouvoir (Soin Lift).
-Défense de ne pas afficher le rouge (Rouge à lèvres). La phrase reprend l’inversion très mai 68 de la célèbre inscription d’une loi du 29 juillet 1881.
Le message est simple, direct et avec un zeste d’humour.
Alors pourquoi une vague de « critiques » ?
-Ne dites plus madame dites Mademoiselle (Parfum Coco Mademoiselle).
Est-ce le mot mademoiselle qui peut perturber ? Considérée comme sexiste, cette dénomination sur les documents officiels fut violemment critiquée par les féministes qui oeuvrèrent à sa suppression dans les formulaires.
-Un chance pour tous (Parfum Chance).
Est-ce l’allusion au mot chance qui trouble ? Parler de chance alors que beaucoup n’en ont pas (sans oublier un président qui n’a pas de bol) et vivent de façon précaire, est-ce vraiment offusquant ? Franchement grotesque, les affres du politiquement correct vont-elles systématiquement tout envahir ? Parler de chance pour une loterie, un tiercé ne pose de problème à personne. D’un côté on prône la liberté absolue pour Charlie Hebdo et l’on tique lors de l’utilisation du simple mot Chance sans doute simplement parce qu’il s’agit d’une marque de luxe.
Différente, en dehors du formatage classique des codes du luxe, cette campagne se remarque, c’est sa vocation première. En ce sens, autour de la beauté Chanel, la mission est pleinement réussie.
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Prodige tardif de la mode, Thom Browne n’a créé sa propre marque qu’à près de 40 ans en 2003. Vite remarqué et remarquable, son style classique a rapidement eu du succès. À New-York au musée Cooper Hewitt, la créateur a choisi des objets pour l’exposition « Thom Browne selects ».
À ses créations sous son nom, il ajoute d’autres collaborations : une ligne chez Brooks Brothers (Black Fleece), Bleu pour homme chez Moncler, des bijoux pour Harry Winston… Parmi les différents prix reçus, celui de styliste pour homme de l’année du CFDA (Council of fashion designer of America). Si son style est relativement classique, ses défilés eux sont originaux et spectaculaires. Un choix qui participe à la perception de la mode de Thom Browne et qui donne un twist à ses créations. Il dit : « Je veux que le public expérimente quelque chose qu’il n’a pas vu auparavant et qu’il sache qu’il y a une véritable pensée derrière la collection, le concept de la présentation et le show. Ce n’est pas juste un show pour le show. » Combat de boxe, lieux atypiques, esthétique travaillée, les propositions sont toujours étonnantes. Mais le style renoue avec un classicisme et un sens de la coupe très construit, retour au « costume ». « L’idée de costume ne semblait pas d’avant-garde aux jeunes. Il y a une aversion pour l’uniformité, mais en réalité, les gens qui marchent dans la rue sont pour la plupart avec le même style, ce que la tendance dicte… C’est ironique qu’ils pensent que l’uniformité ne libère pas assez ».
Jeux de miroir dans une installation pour homme en juillet 2015 où la perception semble uniforme, seuls les détails distinguent les vêtements. Au printemps 2016 sa collection pour femmes, inspirée du nom de l’exposition du MET « Through the looking glass » est moins sous l’influence de la Chine que du Japon qui intéresse Thom Browne pour la perfection de son artisanat. Là, l’idée de l’uniforme s’inspirait des écolières du Japon, mais aussi des écoles privées des États Unis et de la poussière des Raisins de la colère de Steinbeck.
De l’uniforme à la multiplication des objets, Thom Browne a dans son exposition au Cooper Hewitt sélectionné des miroirs historiques et des cadres dans les collections. Pas un choix de textiles, mais plutôt travailler sur l’idée de reflet. Uniformité d‘apparence et détails différenciants pour ces miroirs la plupart européens, de France, d’Italie, d’Espagne ou aussi de Turquie, depuis le XVIIIe siècle.
Mobilier argent, éclats aluminium et sol jonché de paires de chaussures argent bien ordonnées. Dans la salle aux reflets métalliques où l’argent futuriste domine, les miroirs sont le brillant reflet du passé.
Miroir anglais ca 1760 Bequest of Mary Hayward Weir.
Matt Flynn ©
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Fashion in the age of technology
Main et machine, une confrontation passionnante au MET de New York juxtapose la dextérité du travail artisanal aux possibilités infinies d’une nouvelle technologie qui participe à la construction d’une mode d’avant-garde étonnante.
Inspirée par Metropolis de Fritz Lang et l’épigramme : « The mediator beween the HEAD and HANDS must be the HEART », l’exposition joue sur deux tableaux. Quelques pages de l’encyclopédie de Diderot, qui déjà valorisait ces métiers au même titre que les arts ou les sciences, donnent le ton.
Confrontée à la simple machine à coudre, la main demeura la garante des broderies les plus délicates, des finitions les plus précises, des coupes ajustées « sur mesure ». Elle continue de signer les tenues les plus extraordinaires de la haute couture représentées dans l’exposition avec des modèles de Chanel, de Dior, de Boué Soeurs…
Posant avec précision des éclats de paillettes, dessinant des broderies précieuses, la main fut souvent associée à la qualité, à l’individualité. L’ère des premières machines mit la mode sur la voie du prêt-à-porter avec production de masse et qualité moindre.
Aujourd’hui le paysage s’est modifié, les nouvelles techniques en pleine évolution sont désormais utilisées pour une nouvelle couture ou un prêt-à-porter d’exception. Modélisation par ordinateur, tissus intelligents, coupe au laser, impression 3D propulsent la mode dans une sphère où le champ des possibles se révèle vertigineux.
(Dé)construction
Hommage à la construction d’un vêtement avec un exemple de toile de Charles James et des réinterprétations « work in progress » où le vêtement fini semble être encore une ébauche que ce soit chez Martin Margiela, Hussein Chalayan pour Vionnet, Alber Elbaz pour Lanvin, Yohji Yamamoto, Galliano pour Dior, Comme des garçons… Tout un questionnement autour de la déstructure donne à voir (à admirer) ce qui auparavant était caché. Noblesse des coulisses de la mode avec ses différentes étapes pour inscrire le mot fin à une silhouette inachevée à l’allure déconstruite.
Plis/Plissés
Du plissé de jadis fait à la main en repassant le tissu avec précaution à aujourd’hui, la technique a réalisé des bonds prodigieux. Mario Fortuny a travaillé d’exquises soies finement plissées notamment dans son modèle iconique qu’est la robe Delphos. Invention du plissé permanent par Mary Mc Fadden aux Etats-Unis et son procédé Marii déposé en 1975. Avec Issey Miyake et l’invention des Pleats Please, la mise au point d’une technique de plissage après la construction du vêtement a rendu l’usage pratique tandis que la création multipliait les propositions. Quant à la collection 132 5 qui se déplie tout en géométrie, elle ajoute une modélisation par ordinateur étonnante.
Drapé
Travail exquis en couture avec notamment les prodigieuses créations de Madame Grès, mais aussi des modèles plus contemporains comme Balenciaga ou Helmut Lang. Issey Miyake avec sa « Colombe » crée un vêtement moulé et drapé en polyester et coupe au laser. Mouvement du vent et drapé figé immobile pour Hussein Chalayan avec les moulages en polyurethane.
Broderies, dentelles, plumes…
Du passé les superbes broderies de la couture chez Poiret, Dior, mais aussi des créateurs plus contemporains comme Christopher Kane.
Contemporaines, les dentelles découpées au laser sur du cuir, de la silicone composent un travail incroyable. Threeasfour a réalisé une robe blanche avec des broderies en résine et nylon et impression 3D.
Plumes avec un travail artisanal comme chez Louise Boulanger, Yves Saint Laurent ou Chanel. Aujourd’hui les tenues en silicone d’Iris Van Herpen ont pour certaines une apparence aussi légère que des effets de plumes.
Technologie
Avec les vidéos emblématiques de ses défilés Hussein Chalayan ajoute une touche de technologie dans la présentation. Vêtements télécommandés qui s’ouvrent, se déplient à distance. Robe bustier en organza et plaques d’aluminium (en écho à une robe de Paco Rabanne en métal). Iris Van Herpen, sans doute la créatrice la plus représentative de l’option avant-garde utilise de façon optimale la technologie. Elle dit : « La dichotomie entre main et machine présente souvent la main comme imparfaite et la machine comme parfaite. Cela impliquerait que la main est expressive et spontanée… J’aime ce dialogue parce que en réalité, les vêtements faits par la machine ne sont pas parfaits ». L’impression 3D est particulièrement spectaculaire dans le travail de la jeune Noa Raviv qui oppose le noir au blanc.
Au final, l’exposition ne dessine pas une opposition entre deux univers mais une complémentarité qui dresse des passerelles entre deux « époques » et donne définitivement d’exquises lettres de noblesse à la machine. Si les robes du passé sont sublimes, celles d’aujourd’hui sont époustouflantes. Un choix de mode où l’exceptionnel est la norme. Une magnifique exposition dont l’épigramme pourrait être : « Le médiateur entre la main et la machine : le cerveau ».
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