À Tokyo, l’exposition consacrée à Issey Miyake a donné à voir toute la richesse créative de son oeuvre. Originalité, audace, mais aussi technologie. Des vêtements d’exception côtoient la simplicité et l’universalité du plissé réinventé par Pleats Please. Exposition magistrale, elle permet de mesurer l’importance d’Issey Miyake dans l’histoire de la mode contemporaine. D’hier à aujourd’hui, une oeuvre sans cesse tournée vers l’avenir et la création.
L’exposition se subdivisait en trois sections.
1° Le début autour des années 70.
2° Body, autour du corps, un double dialogue entre le corps et son enveloppe ainsi qu’entre Orient et Occident.
3° L’innovation avec Pleats Please et A-POC, technologies présentes avec leurs machines.
Vers la mode
Après des études d’art au Japon, Issey Miyake voyage. En France, il travaille auprès de Givenchy et de Guy Laroche, mais Paris est encore un peu à l’ère de la couture. Après un passage chez Geoffrey Beene aux U.S.A. pù il découvre aussi une mode « grand public », il retourne au Japon et opte pour la mode. Une voie passionnante se dessine déjà avec le titre de son premier ouvrage : « East meets West ».
Quand Diana Vreeland parlait de lui dans la préface, elle disait : « Issey est homme de nombreuses inspirations et un vrai fils de son pays qu’il aime profondément. Il aime le mysticisme des fables japonaises, la culture japonaise, sa justesse et son sens de la qualité. Il considère que le kimono est un vêtement parfait ; mais aujourd’hui réservé seulement aux festivals. ». À ses débuts, le créateur a exploré des techniques artisanales et les a intégrées à sa mode ainsi l’utilisation du papier japonais, washi ; du papier huilé, aburagami (1984) ou encore du shibori (technique de tie and dye par ligature du tissu, par noeud). La forme des lanternes traditionnelles peut aussi ressurgir dans ses robes lampions.
Le corps
Si l’approche japonaise globale du vêtement dans sa relation avec le corps est fondamentalement différente de l’Occident par une mise à distance (un espace est créé par le port du kimono), Issey Miyake a sans cesse interrogé cette notion. Avec ses vêtements tatouages (Tattoo 1970), le vêtement est seconde peau. Tribalité, mais aussi fusion Orient-Occident avec le choix de figures de la culture musicale : Janis Joplin et Jimi Hendrix.
Avec son bustier en FRP (fiber reinforced plastic) moulé de 1980-81, le « vêtement » se superpose dans une vision idéalisée d’un corps sublimé.
Cette illusion matérialisée du corps, Plastic Body, a été immortalisé par Robert Mapplethorpe sur le corps de Lisa Lyon. En 1981 carapace de bambou, Rattan body via l’artisanat met le corps à distance, en cage.
« Rien ne me donne plus de joie que travailler avec le corps et le vêtement en même temps. » Chez Miyake, le vêtement demeure vêtement, même s’il répond au mouvement du corps. Dès le départ, le vêtement est juste une simplification extrême, a piece of cloth, une pièce de tissu plus bras. Plus tard le concept deviendra A- POC, vêtement sans couture né d’un tissage tubulaire pré-découpé. Créative, la mode de Miyake est aussi en quête de minimalisme. « Peeling away to the limit » disait déjà Arata Isozaki à son propos.
Technologie
Recherche technologique pour découvrir un tissu pratique d’entretien, confortable et atteindre à une forme d’universalité ? Pari réussi avec le plissé permanent des Pleats Please nés en 1988. Ces vêtements, aussi parfaits pour le mouvement, sont mis en chorégraphie par William Forsythe dans Loss of small Detail en 1993. Idéal pour la femme active, pour l’artiste, les plissés peuvent ajouter aussi l’humour d’imprimés ainsi que dans des campagne de pub particulièrement poétiques et drôles (la série des animaux, des fleurs, des sushis…). Un savant jeu de 2D se transforme en 3D par la pose sur le corps. Techniquement, le vêtement est d’abord conçu, avant de passer à la presse où il est rétréci et devient plissé permanent (facile d’entretien). « Faire des vêtements que tout le monde puisse porter cela signifie faire des vêtements pour les gens qui vivent avec nous, les gens de notre époque. Je veux faire des vêtements pour tout le monde. Je ne désire pas que tout le mode porte mes vêtements, mais je souhaite que tous ceux qui ont envie de les porter puissent le faire naturellement. »
Les plissés ont aussi joué la carte de l’art avec les Art series. D’abord une collaboration avec Yasumasa Morimura et son magnifique travail sur La Source d’Ingres en y mêlant son corps. Nobuyoshi Araki en fleurs et avec un portrait de femme. Tim Hawkinson avec un motif d’oeil et une stylisation de corps. Cai Guo-Qiang lui mit en scène un motif issu de ses expériences sur le feu. Cette année une nouvelle collaboration a eu lieu avec l’oeuvre d’Ikko Tanaka, célèbre artiste graphique et le choix de trois motifs : Nihon Buyo (1981), un hommage au 200ème anniversaire de Sharaku (1995) et Variations of Bold Symbols (1992).
Avec A-POC s’est dessinée une nouvelle page de création. Les lettres reprennent l’idée première du créateur avec « a piece of cloth » dans un procédé de fabrication visant à éliminer les chutes de tissus et leur perte. Un tubulaire pré-découpé dessinait en pointillé les modèles à découper aux ciseaux (au début par le client). Lors d’une première présentation en défilé, les mannequins, reliées les unes aux autres, formaient une incroyable chenille processionnelle.
Avec 132 5, la science et les mathématiques jouent un grand rôle ainsi qu’une dimension écologique avec le choix de matériaux recyclés. Un travail mathématique sur le pliage, avec la collaboration de Jun Mitani et son travail sur « la modélisation des formes géométriques assistées par ordinateur ». Le choix du 1 pour a piece of cloth. 3, les 3 dimensions, résultat final quand le vêtement est déplié. 2 le pliage et retour en 2D à plat. 5 aller plus loin dans un nouvelle dimension et suggérer la métamorphose, la transformation.
Rêve éveillé, une exposition magnifique qui mériterait de voyager et de venir à Paris…
Photos de l’installation : Masaya Yoshimura.
Flying Saucer et N°10 Skirt. C Koji Udo
Tatoo Printemps été 1971 C Hiroshi Iwasaki
132 5 N°1 Dress C Hiroshi Iwasaki.