En mode belge, une fois

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Devenu un des grands viviers de la mode en une trentaine d’années, le plat pays doit son rayonnement à ses créateurs, la plupart issus de l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers. À Bruxelles une exposition met en scène les noms les plus remarquables qui ont jalonné la mode depuis désormais trois décennies.

En 1982 six jeunes diplômés de l’Académie d’Anvers (dès 1965 fut lancée une section mode) partirent vers Londres montrer leurs créations. Les « six d’Anvers » furent ainsi désignés par la presse britannique : Dirk Bikkembergs, Ann Demeulemeester, Walter van Beirendonck, Dries van Noten, Dirk van Saene et Marina Yee. S’ils se sont présentés en groupe à leurs débuts, ils se sont très vite dispersés et distingués. Leurs carrières ont eu des fortunes diverses, mais le talent était, pour tous, présent. Diplômé à la même époque, Martin Margiela serait un peu le d’Artagnan du groupe.

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Si un style belge existe, comment le définir ? La théorie des climats pourrait, sans doute, opposer une mode en Italie dans le registre de la séduction d’une féminité exacerbée aux créateurs du Nord dont le style prône une forme de sobriété, voire d’austérité. Mais, là aussi, il y a d’exquises exceptions.

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L’imagination d’un Walter van Beirendonck aurait la truculence des fêtes de Brueghel mâtinées des fantaisies de Jérôme Bosch avec les couleurs d’aujourd’hui et un côté high tech. Jamais défilés de mode n’ont été aussi (d)étonnants qu’à l’époque de la marque W.& L.T. (Wild and Lethal Trash) qui avait pour accroche : « Kiss the future » et pour héros le Puk Puk inventé par Walter. À l’humour de la mode s’ajoute celui de la communication : un des premiers portraits officiels du créateur le présentait de dos. Aujourd’hui Walter van Beirendonck défile à Paris avec des collections pour hommes d’une tonitruante fantaisie.

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L’arrivée des Belges sur la scène de la mode prolonge aussi l’influence déjà exercée par les Japonais qui avaient bousculé les codes occidentaux, imposant la déstructure, l’asymétrie, le non fini… Les Belges sont sans doute dans le droit-fil de cette famille de mode radicale, ajoutant une forme de minimalisme, des touches conceptuelles et une palette moins sombre, moins noire.

Martin Margiela pourrait être le fils spirituel de Comme des garçons (les deux ont d’ailleurs organisé un défilé en commun, une fois). Il a ajouté aussi la notion de récupération, commençant par des assemblages de chaussettes de l’armée, composant des vêtements en sacs de plastique… recyclant, imaginant des modèles non finis, en construction. En choisissant de communiquer de façon assez conceptuelle : jamais de portrait, une signature de groupe (Maison Martin Margiela), des étiquettes vierge…, le créateur a réussi le paradoxe de devenir une des figures majeures de la mode contemporaine. Après son départ, son style a été continué par ses équipes avec la partie atelier, version « haute-couture », dans un esprit de recyclage cher à la maison.

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Dries van Noten a, lui, su créer un style au départ assez sobre dans les formes, mais dans une exubérance de couleurs raffinées, plongeant dans des influences ethniques (l’Orient, les broderies, les drapés saris,…) pour réussir un parfait métissage d’inspirations d’une mode exquise qui semble toujours en voyage.

Ann Demeulemeester a débuté sa marque en 1987 et a défilé à Paris chaque saison depuis 1991. Elle a trouvé son style très androgyne (notamment inspiré de Patti Smith dont elle a utilisé des poèmes brodés sur ses vêtements). Entre austérité et décontraction s’est dessinée une mode très noir et blanc avec une touche rock. Aujourd’hui elle a passé la main à ses équipes.

S’il a commencé par des chaussures devenues signature, Dirk Bikkembergs s’est spécialisé dans la conception de collections pour homme très adaptées à l’air du temps et a aussi laissé vogué son navire.

 

Après la première génération de stylistes est apparue une deuxième vague, aussi talentueuse, mais un peu moins connue.

Raf Simons est passé par la case design industriel (mobilier, décoration) et a collaboré chez Walter van Beirendonck avant de choisir sa véritable voie : la mode. En 1995, il présente sa marque, une collection homme dans un style épuré, très personnel. En 2005 il devient le directeur artistique de Jil Sander avant d’être nommé chez Dior.

Le duo A.F. Vandevorst a fait ses premiers pas à Paris en 1997 avec une déjà prometteuse collection qui rendait hommage à Joseph Beuys avec un tissu en feutre épais de couleur marron-kaki et l’esprit survie. Intéressé par les dessous, le duo a lancé une collection de lingerie, intimiste : Nightfall. Leur signature s’accompagne d’une croix rouge.

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Véronique Branquinho présente sa première collection également en 1997 avec un style féminin empreint d’une certaine douceur et légèreté. Elle fut aussi créatrice pour Ruffo Research avec Raf Simons et directrice artistique de la mythique maroquinerie belge Delvaux.

Le spectaculaire Bernhard Willhelm, diplômé en 1998, a créé sa marque dans la foulée, en 1999. Avec humour et fantaisie, il affiche un goût pour le folklore, la poésie, les couleurs… Il a aussi signé quelques saisons pour Capucci en Italie. Ses présentations hommes et femmes, souvent unisexes, constituent des événements atypiques avec parfois un joyeux poil de provoc.

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Diplômé de l’Académie en 1999, Kris Van Assche devient styliste chez Yves Saint Laurent avant d’entrer chez Dior. Promu à la direction artistique, il a su imposer sa propre écriture au masculin avec notamment les costumes quatre pièces et travaille à la construction de basiques intemporels.

Christian Wijnants a été lauréat du prix Dries van Noten en 2000, un prix à Hyères, le prix Woolmark en 2013… Des collections à son nom et un goût particulier pour la maille.

Tim Van Steenbergen est un artiste depuis sa collection de fin d’études travaillée sur des ombres projetées. Parfois vêtements tableaux surdimensionnés.

Si les académiciens d’Anvers tiennent le haut du pavé de la mode, quelques talents ont émergé aussi de Wallonie et de Bruxelles (Ecole de la Cambre).

Véronique Leroy est la vaillante Wallonne qui présente ses collections à Paris ; elle est d’ailleurs diplômée du Studio Berçot. Passée par l’atelier d’Azzedine Alaïa avec qui elle a sans doute développé son goût pour les formes du corps. Très construite, sa première collection en 1991 se dessinait de découpes quasi anatomiques dans une vision audacieuse et hors tendances. Elle poursuit avec énergie son chemin, dessinant une femme plutôt sexy, mais décalée. Attirée par l’esthétique des années 80, Véronique Leroy a été une des premières à marquer le retour des épaules, de la carrure. En parallèle à sa marque Véronique Leroy a collaboré plusieurs saisons au style de la maison Léonard. Un talent à part.

Elvis Pompilio, également Liégeois, travaille du chapeau avec humour.

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Jean-Paul Knott est le Belge diplômé du FIT de New York. Avec son écriture sobre et minimaliste, il a exploré les recoins de la simple géométrie, attachant ses pièces de tissu de liens de cuir. Il a défilé quelques saisons à Paris et a signé quelques collections pour Cerruti, mais c’est aujourd’hui à Bruxelles qu’il a sa boutique.

Venu de Liège, Jean-Paul Lespagnard s’est notamment distingué au festival d’Hyères en 2008 avec un hommage rendu aux frites et à ses baraques et défile désormais à Paris avec des collections où l’humour bonhomme toujours affleure.

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Autre électron libre, mais Bruxellois, Christophe Coppens a malheureusement arrêté sa marque en tant que créateur d’accessoires et de chapeaux extraordinaires. S’il a travaillé pour Yohji Yamamoto ou Lolita Lempicka, c’est dans son travail personnel (aussi artiste) qu’il s’est le mieux exprimé avec une écriture poétique et fantaisiste ainsi ses collections “zoo”.

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Né en Hollande, Josephus Thimister est passé par l’académie d’Anvers. Il a créé pour Balenciaga avant de se lancer sous son nom dans un style épuré. Après une interruption de quelques saisosn il était revenu sur le devant de la scène avec une collection étonnante : « 1915 Bloodshed and opulence » Le vêtement militaire y subissait l’assaut de trainées rouges sang spectaculaires. À l’œuvre dans différentes maisons : Genny, Charles Jourdan…. On espère son retour sous son nom.

Olivier Theyskens n’a pas poursuivi un cursurs scolaire, mais a fait preuve de talent dans ses collections personnelles souvent spectaculaires, romantique destroy. Happé par la couture, il a créé pour Nina Ricci, Rochas et Theory. Sa prochaine étape ?

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Aux Etats-Unis s’est installé Diane de Furstenberg, célèbre pour sa vie et l’invention de sa robe wrap.

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On peut aussi se souvenir de Jurgi Persoons et de ses vêtements rapiécés, un peu grunge. Angelo Figus et ses quelques collections monacales et poétiques. Bruno Pieters aujourd’hui eco friendly avec Honest By. Xavier Delcour, au masculin noir et blanc….

La vague belge englobe ceux qui sont passés par l’académie : Peter Pilotto (très talentueux, le duo défile aujourd’hui à Londres),  Anthony Vacarello et l’exceptionnel Haider Ackermann.

L’exposition donne à voir ces talents, avec des pièces de défilés et de petits espaces consacrés à des univers particuliers sans oublier les créateurs de demain.

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Le succès des « Belges » s‘explique évidemment d’abord par leur talent, mais aussi par la qualité de la formation des écoles. La France devrait se poser des questions si elle veut que de potentiels talents hexagonaux émergent sans passer par les cases incontournables que sont les écoles de Londres et d’Anvers.

Entre minimalisme austère comme les gens du Nord et esprit de fête (le carnaval !), les créateurs belges osent aussi une fantaisie débridée et teintent leurs vêtements d’une inspiration parfois joyeusement saugrenue, le surréalisme n’est pas loin.

La Belgique, l‘autre pays de la mode vu par une ancienne Belge.

 

Bozar Palais des Beaux Arts Bruxelles. Les Belges. Une histoire de mode inattendue. Jusqu’au 16 septembre.

Intéressant catalogue, mais sans index.

Service de presse surréaliste !

 

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