La langue française multiplie les avatars, transforme les mots, abrège façon SMS, même les parfums plongent, mutant le C originel en nouveau K, graphique et géométrique.
Jean Paul Gaultier, souvent Male en parfumerie, ajoute aujourd’hui une nouvelle fragrance au masculin, un séduisant oriental joyeusement épicé. Au bruissement du tambour (en forme mythique de boîte de conserve) se lance un nouveau cri de guerre : le chant du coq revisité en Kokorico ! Pourquoi un K à la place du C ? Plus graphique, plus masculin, plus marquant, plus frappant… expliquent les responsables du projet. Le nouveau mot amuse, interpelle. Mais si le coq français bombe le torse et agite ses plumes en rouge et noir au son d’un puissant cocorico, ses cousins n’usent point du même langage. Au Japon le coq chante kokekokko ; en allemand, il s’époumone avec kikeriki ; plus connu est le quiquiriqui espagnol. En turc, il chante kuk-kurri-kuu ; en italien, il chuinterait presque avec chicchirichi (pourrait sembler corse !) ; en néerlandais kukeleku ; en tagalog, sur les rizières se lève le kukaok ; en chinois co co co (ou encore un curieux wa wo wo.); en hébreu, il lance kukuriku… Dans ces variations aviaires se dessine ainsi la ressemblance phonétique entre ces deux lettres (avec un zeste de Q et une majorité de K) qui se partagent dans le monde les faveurs du cri du coq dont l’onomatopée serait à l’origine de l’étymologie du nom de l’animal. Dès l’aube Babel chante dans l’arche de Noé.
Autre avatar avec L’Eau d’Ikar, premier parfum masculin de Sisley. La fragrance s’envole, s’inspire du premier homme volant, autre histoire de plumes, avant la chute de celui qui du soleil s’est trop approché. Sans exactement nommer le héros sorti du labyrinthe autrefois habité par le minotaure, il est évoqué en homophonie avec une orthographe différente. Un esprit de légèreté aérienne et de fraîcheur souffle sur une fragrance aux senteurs de lentisque.
Le choix de ces décalages ajoute une touche d’originalité avec des néologismes particuliers même si, en regardant à la loupe Google, on trouve déjà mention de ces avatars avec une discothèque en Belgique du nom de Kokorico ou encore une communauté juive baptisée Ikar !
Dans la jungle des noms déposés, il est extrêmement difficile aujourd’hui de trouver un nom vierge. La majorité des mots simples ont été déposés (même s’ils ne sont pas utilisés) dans la plupart des catégories à l’INPI. Le dépôt d’un mot avec une modification de l’orthographe se révèle ainsi plus simple.
La cas du C en K
-Graphiquement le K en lieu et place du C ajoute un côté plus géométrique, plus rigoureux, voire plus masculin alors que le C, arrondi, en courbe se caresse presque en cercle (pour Ionesco et sa chauve cantatrice, il suffisait de le caresser pour qu’il devienne vicieux).
-Mais ce cas du C en K participe aussi à l’évolution du langage, la mue qui se produit notamment avec le phénomène des SMS (Short Message Service) qui utilisent différentes techniques d’abréviation comme la suppression des voyelles ou l’utilisation de la prononciation de simples lettres (G = j’ai) en mot ou encore l’utilisation des chiffres en lieu et place de mots (9 = neuf, 2 = de). Ce phénomène de rajeunissement (appauvrissement en parallèle avec l’orthographe oblitérée par la seule phonétique ?) du langage parle probablement mieux aux jeunes, cible convoitée de nouveaux consommateurs.
Quant à la consonne C loin du K mais sifflante en S, elle a inspiré à Maïwenn le titre de son film Polisse qui, avec cette nouvelle orthographe, n’empiète pas sur le territoire de Pialat.
C le K du C.
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