Celle que l’on imagine discrète est une des très jolies fleurs de la parfumerie. Impériale, mais pas reine comme la rose ou le jasmin, elle s’épanouit en soliflore au début du XXè siècle. Aujourd’hui la violette chahute son souvenir rétro pour s’imposer avec délicatesse dans de nombreux nouveaux parfums.
Histoire
Depuis l’Antiquité est connue la violette. Appréciée par Zeus, la belle Io fut transformée en génisse pour échapper au courroux d’Héra. Ce sont ces deux voyelles (dans le mot grec iodes, violet) qui sont les racines des ionones, ces molécules odorantes qui caractérisent l’odeur de la violette. Bouquets et tisanes ont, de tout temps, toujours été appréciés. Henri IV (celui de la poule au pot) se parfumait, paraît-il, avec de la violette. Si elle est originaire d’Italie, de Naples ou de Parme, elle se vendait pendant la révolution en France. Est-ce un militaire toulousain qui l’a implanté dans sa région au point qu’elle devint une gloire locale avec une production au début du XIXè siècle de centaines d’exploitations ? En cuisine, en sirop pour adoucir la voix, en bonbon, elle se cristallise, délicieusement confite.
Toujours discrète la violette est mise en poème par Jean-Baptiste Rousseau : « Et la timide violette Se cache encor sous les gazons » Naturaliste, elle fleurit dans Paul et Virginie, cachée mais odorante : « Ainsi des violettes, sous des buissons épineux, exhalent au loin leurs doux parfums, quoiqu’on ne les voie pas. »
La violette devient impériale avec l’histoire d’une marchande de fleurs qui aurait prédit l’avenir de la future impératrice Eugénie et lui sauva la vie. En 1924 sort la première version du film Violettes Impériales avec des chansons et plus tard une opérette. Pour Luis Mariano, l’amour est à jamais un bouquet de violettes.
De l’eau de voilette à Quai des enfers
En 1921 Marcel Duchamp interprète avec humour une « Eau de voilette » à son effigie, déguisé en femme (une photo de Man Ray). Lors de la vente Bergé Saint Laurent, le flacon fut vendu plusieurs millions d’euros. Ce virtuel parfum est au coeur du premier roman policier d’Ingrid Astier, Quai des enfers (Série noire Gallimard, 2010). Si l’histoire plonge dans les eaux troubles de la Seine, l’Eau de voilette aussi y coule. Elle signe de son nom ambigu le grand succès du parfumeur Camille Beaux (hommage à Ernest Beaux, auteur du N°5 de Chanel), un des personnages clefs inspiré par Jean-Michel Duriez (aujourd’hui parfumeur pour Patou et Rochas).
Camille Beaux explique aux policiers son Eau de voilette :
-La violette ?
-Oui, je l’ai entièrement déconstruite, gardant son ossature, son squelette si vous préférez…
…
-La violette flotte dans ce parfum comme une ombre. Une réminiscence en quelque sorte, un spectre.
De l’odeur au parfum
C’est la feuille qui donne son odeur si caractéristique tandis que la fleur, rebelle aux techniques d’extraction classique, demeure muette. Aujourd’hui joliment recomposée chimiquement avec les ionones découvertes en 1893, l’odeur de violette est essentiellement donnée par l’alpha ionone et la beta ionone, plus “framboise”.
Fleur de jardin de curé, campagnarde modeste, la violette est timide et fut longtemps désuète, associée à des parfums de grand-mère.
« Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées… O violettes de mon enfance ! « décrivait Colette qui appréciait la fleur et sa couleur. La couleur joue aussi un rôle : impériale au Japon, elle s’associe en Occident au deuil.
Le début du siècle voit quelques parfums de violette à une époque où règnent les soliflores. Ensuite les violettes laisseront poindre leur délicate odeur parfois avec une timide discrétion, mais aussi en puissante dominatrice.
Carte d’une tendre violette
-Après l’ondée de Guerlain en 1906 se dessine autour d’une violette entourée d’un délicat iris et d’une suave vanille. Une douceur exquise accompagnée de la “guerlinade”, signature Guerlain par excellence.
-En 1913, Caron lance une Violette précieuse qui a été reformulée en 2006 (éphémère édition pour Sephora) mêlant des notes feuilles et fleurs avec ajout d’iris et de fleur d’oranger.
-Berdoues (maison fondée en 1902 à Toulouse) continue d’incarner le parfum à la violette de nos grand-mères. Composée en 1936, Violettes de Toulouse est un poudré délicat qui ne s’oublie pas. Impériale, la violette est enrichie de notes santal, iris, bergamote, fleur d’amandier, jasmin, framboise, musc, fève tonka, héliotropine. Pour célébrer l’immortalité de la fleur en parfumerie a été composée par Berdoues une Violette chérie (2009) avec des notes florales de muguet, néroli, lilas, mimosa et miel.
-Au masculin, la violette habille superbement l’homme fleur de Dior qui porte avec éclat le subtil Fahrenheit composé en 1988. La tête hespéridée (mandarine, bergamote) se fond sur un coeur puissant de feuille de violette, muscade, oeillet.
-En1992 Serge Lutens imagine une merveille : Féminité du bois où le bois est paradoxalement féminisé, une note violette se dessine. La variation Bois de violette amplifie ce côté fleur discrète, mais avec opulence et sensualité. Un loukoum oriental et capiteux, une petite merveille.
-Le premier parfum de Lolita Lempicka en 1997 joue en tête anis, citron sur un coeur floral muguet, réglisse où s’imagine une violette. Une variation Caprices (2007) a mis l’accent sur la Violette.
-Pour Annick Goutal est composée en 2001 une Violette soliflore. Pour le parfumeur Isabelle Doyen : “Cette violette est sauvage, cachée aux creux des chemins de campagne. Rebelle à toute technique qui tenterait d’en capturer le délicat parfum, le nez sait en décrypter l’odorant secret et « recompose ». D’abord quelques ionones pour jouer les jolis coeurs poudrés et framboisés, une touche d’Absolu volé aux feuilles de l’insoumise pour apporter verdure et fraicheur et enfin un rien de rose lui donnera son air penché.”
-Lipstick Rose chez Frédéric Malle en 2003 est une création de Ralph Schwieger. Autour de l’idée d’un rouge à lèvres parfumé de rose bonbon, une note violette chauffée de vanille, vétiver. Un étonnant parfum « cosmétique ».
-Violette Angel fleurit en 2005 dans le jardin de Thierry Mugler. Françoise Caron a présidé au mariage réussi avec le patchouli. En tête un vert de violette, des notes gourmandes de sucre cristallisé sur fond boisé.
-Jean Charle Brosseau en 2005 orchestre une jolie rencontre Violette Menthe.
-Insolence est la violette surdosée composée en 2006 par Maurice Roucel pour Guerlain.
-Tom Ford imagine en 2007 l’improbable, la violette noire mythique avec Black violet qui s’épanouit sur un fond boisé et mousse.
-Stephen Jones avec Comme des garçons lance son parfum serti dans une mini boîte à chapeau. Pour créer sa fragrance le chapelier fou voulait traduire l’idée d’ « une violette percutant une météorite ». Antoine Maisondieu a superbement réussi la collision, la fragrance est une magnifique composition autour d’une violette piquante tandis que l’idée de météorite est donnée par des notes stridentes d’aldéhydes sans oublier des épices : cumin et la traduction volcanique d’un « magma ».
-Féerie de Van Cleef se dessine en 2008 autour d’un bouquet de violette ajoutant rose et jasmin après un départ vert cassis et mandarine sur fond vétiver et muscs.
-Pour le retour de Balenciaga dans l’univers du parfum (ère Nicolas Ghesquière en association avec Coty), en 2010, on s’attendait à une vision quasi futuriste de la parfumerie, à de l’audace et… délicieuse surprise, c’est la violette qui a été élue. Parmi les propositions du parfumeur Olivier Polge, il y avait une odeur de violette qui a séduit le couturier. Dans un flacon classique et élégant aux allures de cape, la fragrance florale très violette ajoute des accents verts, du poivre, et des notes boisées poudrées, des muscs.
-Francis Kurkdjian a lui choisi de faire des bulles à la violette en Chine. Le pavillon Lille 3000 (sorte de Off de l’expo universelle à Shanghaï) sera parfumé à la violette. Les bulles délicatement colorées de mauve peuvent se découvrir également dans la boutique du parfumeur. Après une visite chez le pâtissier Mert à Lille qui a notamment créé un bonbon à la violette, Francis Kurkdjian a choisi la fleur : « Je trouvais que c’était très français comme odeur/goût. En plus la couleur est très « orientale » sans oublier Luis Mariano. Ce thème de l’amour est d’autant plus important que le thème global de l’exposition universelle est « Better City Better Life ».
Impériale, divine, la violette n’est plus discrète, mais s’épanouit tendrement. Qu’elle demeure timide ou s’affiche audacieuse, elle est magnifique à suivre à la trace.
[…] Anti Blog Mode Impériale La Violette " Serge Lutens in 1992, imagine a marvel: the wood is, paradoxically, Femininity in the feminization of wood, a violet note emerges. The variation of the wood grain side Violeta increases this quiet but with the opulence and sensuality. … […]