TACLONS COMME LA LUNE
L’avez-vous remarqué? On ne contredit plus Untel, on ne s’oppose plus à Unetelle, on ne se conduit plus en adversaire de Telautre, on le (la) tacle.
“Pied du pied, sécurité” affirme, à juste titre, l’un de mes excellents voisins de blog. Je lui répondrai: “D’accord, ami, mais ne néglige pas l’adage en vogue: si tu tacles, beau spectacle”.
Car ce tacler envahissant a bien entendu à voir avec la politique spectacle. Et les chroniqueurs de compter les points avec gourmandise: Frédéric Lefèbvre a taclé Ségolène Royal, Ségolène Royal a taclé Benoît Hamon (on se tacle plus facilement entre camarades), Benoît Hamon a taclé Jean-François Copé, Jean-François Copé a taclé Stéphane Guillon (à qui on va remettre illico la gidouille en plaqué toc et à chaînettes du même métal de Suprême Tacleur du règne, en attendant de lui décerner le hochet à vis péroxydée et niveau à bulle financière de Grand Truqueur Devant l’Éternel avec majuscules), Stéphane Guillon a taclé Nicolas Sarkozy, Nicolas Sarkozy a taclé Martine Aubry, Martine Aubry a taclé Frédéric Lefèbvre… et, hop, la boucle est bouclée!
Négligeons pour les besoins de la démonstration les tacles qui volent bas échangés entre Mme Pécresse et M. Huchon sous les yeux attentifs de Melle Duflot et les regards voraces, autant qu’ubiquitaires, de la tribu Le Pen – pour ne rien dire, élections aidant, du foisonnement des tacles provinciaux constatée sans joie par nos confrères de la PQR: pour jargonner à la mode d’aujourd’hui, on se tacle en régions aussi bien que dans la capitale et ses environs. Georges Brassens, dans “L’Assassinat”, le chantait déjà en précurseur:
“C’est pas seulement à Paris
Que le crime fleurit”.
Qu’ont donc dit tous ces éminents personnages lorsqu’ils taclaient à loisir? On n’en sait rien du tout, et, à la vérité, qui s’en soucie? Ils ont taclé, et cela seul importe, car le tacle, à l’analyse, se présente comme un outil médiatique à toutes mains qui supplante le débat et élimine la politique. On a taclé, circulez, y a plus rien à voir ni à faire. Nos voisins helvétiques le diraient fort bien: on se tacle parmi – comprenez: entre soi. Le tacle, en effet, n’appartient qu’au microcosme des gouvernants et de leurs rivaux, des vrais patrons de l’économie ou de ce qu’il en subsiste après la crise (“Deux salaires pour Proglio / Bon Dieu, que c’est rigolo!” auraient pu chansonner un Bruant ou un Montéhus), du Social (Chérèque tacle Thibaut qui, à son tour, tacle Jean-Claude Mailly et ainsi de suite), de la Culture et du Show-Biz.
Le bon peuple n’a jamais son mot à dire, pas plus ici qu’ailleurs. Mais il ne tacle guère. Il n’appartient pas au cercle enchanté où l’on se tacle autant que l’on s’embrasse (dans le genre baiser de Judas et patin de catcheur). Sans nul doute obéit-il à d’autres préoccupations. Le chômage ou le pouvoir d’achat, par exemple. L’AFP annoncerait, à propos de bien autre chose on le concède, que le tacle “supprime et remplace” la démocratie. “Je tacle donc je suis” aurait affirmé Descartes s’il avait eu la télévision dans son poêle également meublé d’un PC afin de surfer sur la Toile.
Et à propos de tacle, venons-en, non sans hardiesse, à un sujet pas encore abordé dans cette chronique bloguéante (rien à voir ici avec Claude G., “première gâchette chez Sarkozy” aurait ricané Michel Audiard) que nous aurions peut-être dû baptiser “poil à gratter” si la vulgarité, à notre avis parfois découragé, ne méritait pas d’être considérée comme un crime contre l’Humanité, ou – demeurons dans la pilosité – “à rebrousse-poil”. Raymond Domenech, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fut tenu, en son temps, pour un tacleur d’élite, adepte et praticien, selon les connaisseurs, d’un football “rugueux” – formule codée qui signifie, à la vérité, qu’il eut force tibias, péronés et chevilles à son actif. Tibias, péronés et chevilles des adversaires, s’entend, car, aux dires de l’Évangile, “il y a plus de joie à donner qu’à recevoir”. “Raymond, il mettait la godasse” ajouteraient les susdits connaisseurs. Il avait le verbe haut, en outre, mais dans le style “cœur sur la main, et main dans la figure du voisin”.
Du moins taclait-il au sens propre, “dans le cours du jeu” et “sans jamais se faire prendre par la patrouille” (se faire repérer et sanctionner par l’arbitre), à défaut de tacler proprement, ce que ses dirigeants et son entraîneur, de toute certitude, ne lui demandaient pas.
Il est aujourd’hui l’homme le plus taclé de France. Trente millions d’agités (encore ne compte-t-on que le sexe masculin, en négligeant les enfants qui ne parlent pas encore, et les vieillards sur leur devant, selon la belle expression du Midi, qui ne peuvent plus parler) le taclent tous les jours. Ils traitent de tous les noms “ce pelé, ce galeux”, ils exigent sa démission sur l’heure, ils requièrent à la Fouquier-Tinville sa démission, et ils proposent dix noms de remplaçants. Pour tacler, madame, ça tacle dans les chaumières! Sans négliger, de la part de certains, le coup de pied de l’âne dont il existe une variante tacligère.
Mais supposons, puisque c’est déjà arrivé, que Domenech conduise la France une seconde fois en finale au Mondial d’Afrique du Sud, dans quelques mois. Qui c’est-y alors qui se taclera la poitrine et clamera sans trêve à tous les échos “je vous l’avais bien dit”, à l’instar collectif de la rédaction de “L’Équipe” après le succès des Bleus d’Aimé Jaquet en 1998? Voyons, c’est l’agité de service, que nous avons nous-même bien du plaisir à tacler.
L’avez-vous remarqué? De bons esprits lancent aujourd’hui un appel pour une France “multiculturelle et post-raciale”. Pourquoi pas? Puisque l’on s’interrogeait, ces jours-ci, sur l’identité nationale, toutes les contributions , en particulier si elles posent le primat de la tolérance, doivent être les bienvenues. Bienvenues pour ceux qui ne refusent pas ce débat-là, il va de soi.
Mais une question se pose tout de suite: pourquoi multiculturelle et post-raciale? Une France multiraciale et post-culturelle n’aurait-elle pas aussi bien convenu à ces esprits éclairés? On avait cru comprendre que l’essence du Black-Blanc-Beur qui fit florès une bonne année durant, et même deux, au même titre que la si fameuse “grève par procuration” d’un Pierre Bourdieu jetant ses derniers feux – ou son ultime venin -, résidait dans la multiracialité et le syncrétisme culturel. Un Jack Lang ou un Jean-Jacques Aillagon, multicartes culturels patentés, ou bien Bernard-Henri Lévy et Luc Ferry, philosophes reconnus de l’école studiale (studial: qui a rapport avec les studios de télévision), ne seraient pas de trop pour débrouiller ce nœud gordien ou trancher cet écheveau.
D’ailleurs, pourquoi post-raciale (ou post-culturelle)? La mode, nous ne le savons que trop, est cette année au post-quelque chose, au post-ceci, au post-cela, voire à un post-n’importe quoi qui eût, n’en doutons pas, réjoui Vladimir Jankélévitch.
Au vrai, lorsque nous lisons ou entendons “post-moderne” dans des bouches non moins éclairées que les esprits précités, nous évoquons aussitôt la grosse voix de Jacques Perret, caporal épinglé pour l’Éternité, raillant “les avant-gardes qui marchent en queue de colonne”, ou nous remémorons le spectateur d’un sketch de Pierre Dac et Francis Blanche qui aurait sous peu, selon le Sâr Rabindranath Duval, “son avenir dans le dos”. C’est à croire que le futur du passé, à moins que ce ne soit le passé du futur, a de beaux jours devant lui. Ou derrière lui, c’est selon.
À beaucoup de braves gens sans malice ni méchanceté, nous souhaiterions marquer avec l’assurance du désespoir, au risque, assumé sans mollesse, du cliché et de la vulgarité: “Hé, y a pas écrit post, là!”. On voudrait, sans oser l’espérer, que ce post à toutes les sauces soit réservé désormais au galimatias – on y reviendra un de ce quatre – des marchands d’art, des critiques et des conservateurs, très occupés, chacun dans son coin, à spéculer sur sa valeur: Dans quelle proportion le post fait-il grimper la cote, cher ami? Combien le post, petite madame, se vendra-t-il chez…
On laissera ici des points de suspension pour ne pas risquer de se fâcher avec M. LVMH, pas davantage qu’avec M. PPR, propriétaires l’un et l’autre de maisons de vente célèbres et, par ailleurs, enragés collectionneurs des post- (cf. supra) que des conseillers leur dénichent sur les marchés. Rendons hommage à ces talentueux dégoteurs (tentons pour l’occasion ce néologisme de facture assez Belle Époque et profitons-en pour chanter les louanges du verbe dégoter, trop négligé de nos jours), puisque certains d’entre eux, plus secrets que Bernard Berenson – on entend ici: moins connus du grand public -, ont été quelquefois l’honneur de la Culture.
Si la tendance est à lancer des appels, nous préférerons cependant pousser un cri d’alarme (au risque assumé… etc. cf. supra bis). Il faut alerter les populations hexagonales, ultramarines et, plus généralement, voltaroglossophones (de la langue de Voltaire, bien entendu. Celle-ci, qui vient de sortir, il faut l’oser, hein!), sur la jargonnification bredouillifère de notre langue par emberlificité (Salut à Régis Debray), complexissitude (Nos hommages empressés à Sa Permanente Candidature Ségolène 1ère) et obscurcirage (Bien le bonjour, Henri Guaino) de notre langue.
“Bon Dieu, aux chiottes, le post-, et la quille, bordel!” n’aurait -il pas grogné, avec bon sens, devant cette invasion par la postité, un adjudant de notre connaissance?
L’avez-vous remarqué? Nous avons pu assister, en direct, jeudi soir, à la naissance d’un mot, fait suffisamment rare pour que nous nous en félicitions, quels qu’en soient, par ailleurs, le contexte et les conséquences.
Donc, grâce à Vincent Peillon, nous avons suivi, en temps réel, l’apparition de la peillonnade, sur le modèle de la populaire mais efficace couillonnade, bien entendu. Ce vocable désignera désormais une figure de style de la vie politique française – et, très bientôt, on en prend ici le pari, de la vie économique, de la vie sociale et, à coup sûr, de la vie culturelle. Tant il est vrai que nombre de gens brûlent de se rendre aussi médiatiquement notoires que Maurice Clavel, sans discerner qu’il n’est pas donné à tout le monde d’imaginer, puis de lancer, en prenant le pays entier à témoin, le “Messieurs les censeurs, bonsoir!” qui les fera entrer, d’un coup, dans l’immortalité.
Qu’est-ce que la peillonnade, au fait? On suggère ici de la définir, en première approximation, comme un action de communication dérivée de la conciliation des contraires (notion banale en philosophie depuis les penseurs allemands du XIXe siècle, à commencer par Hegel, et, de son état, Vincent Peillon est philosophe) qui vise à s’assurer plus de présence virtuelle – dans les médias et sur Internet – grâce à une absence réelle. De manière plus triviale, on pourrait dire que c’est mettre la dialectique au service de la Com.
La peillonnade, en effet, de l’aveu même de son créateur, se donne pour finalité de créer le scandale – entendons le buzz: “Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose sur le Web” écrirait Beaumarchais aujourd’hui. En bref, pour la faire courte ainsi qu’on a tort de le répéter dans une luxuriance de vulgarité dépassée seulement par l’innommable “rien que du bonheur”, peu m’importe que vous disiez du mal de moi, puisque c’est de moi que vous parlez. Guy Béart, naguère, le chansonnait: “Parlez-moi de moi, y a que ça qui m’intéresse”. Ce qui nous amène à relever que l’égocentrisme apparaît comme l’un des composants essentiels de la peillonnade. Tel qui se voudrait François (Mitterrand) n’est au fond que Ségolène (Royal).
Soyons justes. Il est clair, d’ores et déjà, que la peillonnade n’est pas l’apanage de la Gauche. Ou, plus exactement, que la Droite, depuis peu, en possède l’équivalent sous la forme, mille fois ressassée, jusqu’à la saturation, de la lefèbvrerie qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Peillon et Lefèbvre même combat!
On ne se hasardera pas à prédire l’avenir de la peillonnade et de la lefèbvrerie. Mais on est convaincu qu’elles n’apportent rien au débat: Com 1 – Démocratie 0.
L’avez-vous remarqué? On mutualise beaucoup ces temps-ci. Hors la mutualisation, point de salut. Qu’est-ce qu’on mutualise? Tout, mais, d’abord, les risques et les ressources.
Comme on ne se refuse rien, on mondialise – ah, le charme discret de la mondialisation… – afin, nous dit-on, de mieux mutualiser. L’inverse, semble-t-il, n’est pas vrai. On ne mutualise guère afin de mieux mondialiser, encore que cette proposition pourrait être infirmée par les fusions, réalisées ou en cours, de grandes compagnies aériennes qui, sans trop l’avouer, serait-ce au nom de la rationalisation, mutualisent dans le but de prendre des parts supplémentaires du marché planétaire.
Bref et d’un mot, tout responsable politique, tout chef d’entreprise, tout intellectuel même (nous ne manquerons pas, au passage, de déplorer la disparition du Grand Intellectuel Français, avec trois majuscules, type humain, de Péguy et Barrès à Foucault et Derrida, dominant la pensée durant un siècle), qui négligerait de parler de mutualisation dans un discours, une intervention, une interview, un essai ou un article, voire un propos de table (on aimerait réhabiliter cette appellation ancienne de la “petite phrase”), dérogerait à son statut. Il ferait illico très petit genre. Alors que la mondialisation, elle, n’apparaît déjà plus comme un discriminant social. On laissera désormais son emploi aux journalistes débutants qui ont à maîtriser l’art subtil du cliché, aux étudiants de deuxième année (qui disent par nature n’importe quoi, foi d’étudiant de troisième année) et aux gouvernants en mal de justification: la crise, c’est pas moi, m’sieur, c’est la faute à la mondialisation. Il va de soi que vous avez renoncé depuis très longtemps à délocaliser – sauf si vous vous appelez François Chérèque ou Bernard Thibaut.
Vous voici prévenus. Mutualisez tant qu’il vous plaira, mais, par grâce, sachez d’urgence ne plus mondialiser. À moins que vous ne maîtrisiez assez l’anglais pour pouvoir gloser à loisir sur la globalization, nettement plus chic. Auquel cas, snob jusqu’au bout, vous défendrez des arguments puisés à bonne source: dans la Lex column du Financial Times, s’entend.
Et puisque nous en sommes au global, notons en passant que le global warming – c’est à dire le réchauffement climatique – a pas mal de plomb dans l’aile ces jours-ci. Entre l’échec de la conférence de Copenhague – qui a jeté un froid, soit dit en plaisantant à peine – et les chutes de neige, voici l’Europe ramenée à sa condition de péninsule à peine tempérée. Ça serait-y pas le Gulf Stream qui ferait des siennes, par hasard, ma bonne dame? En fait de réchauffement, n’entrerions-nous pas dans une nouvelle glaciation? Quitte à passer pour climato-sceptique – haro! -, nous chérissons cette hypothèse. Elle nous rappellerait la dureté des hivers de notre jeunesse. Qui n’a pas connu le grand frimas de 1956 n’a rien connu.
À propos, contre le froid, ne serait-il pas de nécessité publique de mutualiser les gants et les manteaux comme l’eût prôné saint Martin? Ce serait toujours plus amusant, comme le disait Georges Charpak, que de mutualiser les idées reçues.