L’avez-vous remarqué? De bons esprits lancent aujourd’hui un appel pour une France “multiculturelle et post-raciale”. Pourquoi pas? Puisque l’on s’interrogeait, ces jours-ci, sur l’identité nationale, toutes les contributions , en particulier si elles posent le primat de la tolérance, doivent être les bienvenues. Bienvenues pour ceux qui ne refusent pas ce débat-là, il va de soi.
Mais une question se pose tout de suite: pourquoi multiculturelle et post-raciale? Une France multiraciale et post-culturelle n’aurait-elle pas aussi bien convenu à ces esprits éclairés? On avait cru comprendre que l’essence du Black-Blanc-Beur qui fit florès une bonne année durant, et même deux, au même titre que la si fameuse “grève par procuration” d’un Pierre Bourdieu jetant ses derniers feux – ou son ultime venin -, résidait dans la multiracialité et le syncrétisme culturel. Un Jack Lang ou un Jean-Jacques Aillagon, multicartes culturels patentés, ou bien Bernard-Henri Lévy et Luc Ferry, philosophes reconnus de l’école studiale (studial: qui a rapport avec les studios de télévision), ne seraient pas de trop pour débrouiller ce nœud gordien ou trancher cet écheveau.
D’ailleurs, pourquoi post-raciale (ou post-culturelle)? La mode, nous ne le savons que trop, est cette année au post-quelque chose, au post-ceci, au post-cela, voire à un post-n’importe quoi qui eût, n’en doutons pas, réjoui Vladimir Jankélévitch.
Au vrai, lorsque nous lisons ou entendons “post-moderne” dans des bouches non moins éclairées que les esprits précités, nous évoquons aussitôt la grosse voix de Jacques Perret, caporal épinglé pour l’Éternité, raillant “les avant-gardes qui marchent en queue de colonne”, ou nous remémorons le spectateur d’un sketch de Pierre Dac et Francis Blanche qui aurait sous peu, selon le Sâr Rabindranath Duval, “son avenir dans le dos”. C’est à croire que le futur du passé, à moins que ce ne soit le passé du futur, a de beaux jours devant lui. Ou derrière lui, c’est selon.
À beaucoup de braves gens sans malice ni méchanceté, nous souhaiterions marquer avec l’assurance du désespoir, au risque, assumé sans mollesse, du cliché et de la vulgarité: “Hé, y a pas écrit post, là!”. On voudrait, sans oser l’espérer, que ce post à toutes les sauces soit réservé désormais au galimatias – on y reviendra un de ce quatre – des marchands d’art, des critiques et des conservateurs, très occupés, chacun dans son coin, à spéculer sur sa valeur: Dans quelle proportion le post fait-il grimper la cote, cher ami? Combien le post, petite madame, se vendra-t-il chez…
On laissera ici des points de suspension pour ne pas risquer de se fâcher avec M. LVMH, pas davantage qu’avec M. PPR, propriétaires l’un et l’autre de maisons de vente célèbres et, par ailleurs, enragés collectionneurs des post- (cf. supra) que des conseillers leur dénichent sur les marchés. Rendons hommage à ces talentueux dégoteurs (tentons pour l’occasion ce néologisme de facture assez Belle Époque et profitons-en pour chanter les louanges du verbe dégoter, trop négligé de nos jours), puisque certains d’entre eux, plus secrets que Bernard Berenson – on entend ici: moins connus du grand public -, ont été quelquefois l’honneur de la Culture.
Si la tendance est à lancer des appels, nous préférerons cependant pousser un cri d’alarme (au risque assumé… etc. cf. supra bis). Il faut alerter les populations hexagonales, ultramarines et, plus généralement, voltaroglossophones (de la langue de Voltaire, bien entendu. Celle-ci, qui vient de sortir, il faut l’oser, hein!), sur la jargonnification bredouillifère de notre langue par emberlificité (Salut à Régis Debray), complexissitude (Nos hommages empressés à Sa Permanente Candidature Ségolène 1ère) et obscurcirage (Bien le bonjour, Henri Guaino) de notre langue.
“Bon Dieu, aux chiottes, le post-, et la quille, bordel!” n’aurait -il pas grogné, avec bon sens, devant cette invasion par la postité, un adjudant de notre connaissance?