Si aujourd’hui la plupart des femmes portent le pantalon au quotidien, elles enfreignent, sans le savoir, une réglementation toujours en vigueur. Enjeu de combats féministes pour l’égalité, symbole de pouvoir, le port du pantalon n’est toujours pas, curieusement, un acquis pour les femmes.
Petite histoire du pantalon au féminin
La Bible déjà interdit à la femme le port du pantalon. « La femme ne portera pas un habit d’homme (Deutéronome 22-5), ce serait « abomination », « horreur » ; mais tout comme l’homme ne peut se travestir en femme. Chacun a ainsi une place déjà bien définie, l’habit faisant le sexe.
Quelques exemples historiques ont accordé le port de la culotte à des femmes d’exception ainsi Jeanne d’Arc dont les représentations (quelques siècles plus tard) figurent la pucelle habillée en homme. Au XVIè siècle la poétesse Louise Labé pour qui l’habit était comme « la feuille autour du fruit » n‘aurait pas hésité à porter des tenues d’homme, notamment à cheval. Au XVIIè siècle la brillante Christine de Suède s’empare du costume d’homme.
Révolutionnaires, les amazones de 1789 tentèrent le port de la culotte en signe d’égalité, mais elles ne furent guère suivies. Théroigne de Méricourt fut dénudée et fouettée. Olympe de Gouge finit guillotinée en 1793 pour ses idées (égalité des sexes) et ses vêtements. Face à ces soubresauts de révolution pas seulement d’ordre symbolique, le préfet de Paris, Dubois, décide en 1800 de prendre des mesures pour remettre les femmes dans le droit chemin (16 brumaire an IX). Le préfet réagit parce que « beaucoup de femmes se travestissent » et ordonne que :
2.Toute femme, désirant s’habiller en homme, devra se présenter à la Préfecture de police pour en demander l’autorisation.
3. Cette autorisation ne sera donnée que sur le certificat d’un officier de santé…
Au fil du temps, des autorisations furent demandées, mais il est difficile de mesurer l’importance de ces requêtes. Catherine Marquet-Mayer fut autorisée en 1806 à s’habiller en homme pour monter à cheval. L’artiste Rosa Bonheur faisait régulièrement renouveler son autorisation tout comme George Sand qui avait aussi opté pour une masculinisation de son patronyme.
Aux Etats-Unis la féministe Amelia Bloomer participe à la convention pour les droits de la femme en 1848 et s’attelle à défendre ses idées dans une revue : The Lily (de 1849 à 1853). Elle tenta une simplification du vêtement féminin en associant une jupe confortable avec un pantalon ou en proposant veste et pantalon pour la femme. Si le succès ne fut pas complètement au rendez-vous d’Amelia B., son nom est cependant resté associé (même si elle ne l’a pas inventé) à un vêtement : le bloomer.
Le pantalon devient un signe de lutte pour les femmes. En 1848 en France, alors que les femmes sont toujours exclues du droit de vote, un petit groupe milite sous le nom de Vésuviennes. Si elles demandent le port du pantalon, elles ont des réclamations plus fantasques : le service militaire au féminin ou même le mariage obligatoire à 21 ans ; ce qui décrédibilise leur cause. « Pour vaincre les despotes… Nous portons la culotte » clamait une de leurs chansons. Dans La Marseillaise des cotillons où il est question de supprimer la couturière, il est écrit : « tremblez tyrans portant culotte. » L’enjeu du pouvoir se signe du pantalon. Le chant du départ des Vésuviennes prend les armes contre les hommes, prône la « guerre au sexe barbu » et mène à transformer le coq en chapon ! De 1850 à 1860, une douzaine de femmes auraient été concernées par ces autorisations temporaires.
Un costume en marche
Du côté des femmes qui travaillent comme des hommes, l’évolution est en marche. Calamity Jane aux Etats-Unis se comportait comme un homme ; elle monte à cheval, porte le pantalon et construit sa légende d’aventurière. Dans les lettres à sa fille (apocryphes ?), elle explique : « Je porte un pantalon d’homme et ça me permettait de me déplacer pendant que ces femelles en jupons appelaient à l’aide. » Vers 1880 Charles Poynter, couturier anglais pour Redfern, imagine des tailleurs pour dames et crée des costumes pour Alexandra, princesse de Galles, s’approchant d’une masculinisation du vêtement, mais sans aller jusqu’au pantalon avec son « costume-trotteur » à double jupe. En 1889 Madame Liber, travaillant dans une imprimerie, argumente pour obtenir son autorisation : « le costume d’homme permet aux femmes de se livrer avec plus de liberté aux travaux de commerce ».
Mais cette évolution semble concerner les couches les plus aisées de la population. Le travestissement est ainsi associé à une élite, à la bourgeoisie, aux artistes, aux intellectuels. En 1886 le Moniteur des syndicats ouvriers écrit : « Depuis quelque temps, il était de bon ton dans un certain monde, que les femmes s’habillent en hommes… Etait-ce pour affirmer qu’elles portaient réellement la culotte que ces femmes se travestissent ainsi ? Ce n’était vraiment pas la peine ».
Au-delà du goût, d’une envie de style, la valeur symbolique s’associe au pouvoir, à la puissance d’un sexe traditionnellement dit fort.
Si les autorisations se donnent, elles sont aussi l’objet de refus. Si l’ordonnance de 1800 n’est pas trop répressive, le chapitre n’est pas encore clos. Après un refus, Astié de Valsayre réclame et se plaint auprès des députés en 1887. Par contre l’écrivain Rachilde (Marguerite Eymery), auteur d’un Monsieur Vénus où les rôles homme-femme s’inversent dans un jeu pervers, obtient elle une autorisation en 1888 en tant que journaliste. Son costume est symbolique de ses opinions qui s’opposent à réduire la femme à la féminité. En 1890 sur une dizaine de femmes autorisées, plusieurs portent symboliquement la culotte dans la vie ainsi un directeur imprimerie. Les artistes, fantasques, obtiennent l’autorisation aisément. Dans les cas où l’apparence n’est pas très féminine, ainsi les femmes à barbe, elle est simple à obtenir.
Le port du pantalon se révéla aussi très utile pour pratiquer le vélo, de plus en plus populaire auprès des femmes. La petite reine participa ainsi à l’émancipation de la gent féminine. Les étudiants de Cambridge, pour protester contre l’admission des femmes au baccalauréat, pendirent une effigie de femme à bicyclette en 1897. Mais le coup de pédale est définitivement donné et accélère l’autorisation de porter le pantalon. Le texte de 1800 évolue ainsi en 1892 et 1906. Le port du pantalon est ainsi publiquement toléré dans deux cas très précis : si la femme tient un guidon de bicyclette à la main ou alors les rênes d’un cheval.
Le début du XXè siècle
En 1903 les Sufragettes choisissent le port de la jupe-culotte, hybride porté notamment par Emmeline Pankhurst. A Paris la maison Bechoff-David propose avec succès des jupes culottes pour la promenade. Ce compromis pour sauver les convenances ne sera pas du goût de Colette. L’écrivain dit en 1912 : « La jupe, oui. La culotte, oui. La jupe-culotte, non. » Avec son amie Mathilde de Morny qui s’habillait en homme, Colette provoquait la société dans des pantomimes. Dans Rêve d’Egypte, les deux femmes s’embrassaient ; le préfet Lépine fit interdire le spectacle. Ce même préfet, à l’origine d’un concours d’invention qui porte son nom, avait une vision de la femme peu progressiste : « Il faut refuser aux femmes le port du pantalon. Elles perdraient tout attrait sexuel aux yeux des hommes. » La femme objet a encore du chemin à parcourir pour s’émanciper et pourquoi pas en passant par la case pantalon ?
La mode se mettra à l’heure d’un certain type de pantalon avec Paul Poiret qui s’inspire de l’Orient et imagine une culotte bouffante que portent ses belles élégantes suivant l’inspiration d’une époque où s’admirent des spectacles comme Shéhérazade et où le couturier organise des fêtes ainsi la mille et deuxième nuit.
Loin de la veine orientaliste, Madeleine Pelletier oeuvre pour les féministes et publie en 1914 un manifeste d’éducation. Elle prône la virilisation du sexe féminin en optant pour le costume et les prénoms masculins, associant les vêtements de la femme « à une livrée de la servitude » et incite les mères de famille à habiller leurs filles en garçons. « Ce que nous voulons supprimer, ce n’est pas le sexe féminin, mais la servitude féminine, servitude que perpétue la coquetterie, la retenue, la pudeur exagérée. » Si la militante voit la masculinisation comme une étape temporaire, elle va aussi plus (trop ?) loin, considérant le célibat comme un état supérieur !
Sport et loisirs, le pantalon gagne du terrain
Après guerre, les années vingt découvrent davantage le sport, les loisirs ; les frontières entre masculin et féminin s’estompent. Victor Margueritte écrit en 1922 La garçonne dont l’héroïne, Monique Lherbier, est très émancipée ; elle travaille, vit librement, a des aventures y compris homosexuelles, mais son existence finit par rentrer dans l’ordre et se termine par une classique maternité. Un phénomène de mode est en route, emporté par une femme libre d’esprit et de style de vie. Visionnaire, Coco Chanel crée des silhouettes avec des pantalons, des tenues décontractées qu’elle porte, elle dessine également des pyjamas de jour.
Mademoiselle Chanel dans sa propiété du Midi de la France, La Pausa, avec son chien Gigot. DR
Gabrielle Chanel en Ecosse, en tenue sport décontractée. DR
Patou travaille dans l’esprit du sportswear et habille Suzanne Lenglen sur les courts de tennis. Mais le combat n’est pourtant pas gagné pour toutes ! En 1930 Violette Morris, pilote, est radiée de la fédération féminine du sport automobile de France. Si elle portait la culotte et la cravate, elle alla aussi, amazone des temps modernes, jusqu’à subir une mastectomie des seins qui la gênaient. Sportive accomplie, elle pratiqua boxe, football et fut championne de lancer (poids et disque). A son procès ressurgit l’application de la vieille ordonnance de 1800 pour la faire condamner en raison du « déplorable exemple » donné à la jeunesse notamment par son port du pantalon. Son attitude pendant la seconde guerre mondiale fut malheureusement moins glorieuse.
Pour ne pas trop choquer, certains pantalons se donnent des allures de robes et s’appellent « robe du soir divisée ».
Aux Etats-Unis, les stars du cinéma de l’époque ont du style, de la personnalité et plusieurs d’entre elles arborent fièrement le pantalon ainsi Katharine Hepburn, rebelle absolue. Marlene Dietrich à son arrivée aux Etats-Unis en 1930 remarque que les hommes ne regardent pas les femmes en pantalon. A un tournant de sa carrière, Greta Garbo exigea d’interpréter, et le choix est plus que symbolique, le rôle de la reine Christine !
Pendant la guerre, les femmes travaillent en remplacement des hommes et il semble normal qu’elle puissent dans ces conditions particulières porter le pantalon. Pourtant en Italie, Mussolini l’interdit aux femmes parce qu’il utilise trop de tissu.
Le Deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir se met sur la route de l’émancipation (le droit de vote a été accordé en 1944).
Les années 50 proposent et imposent le pantalon corsaire ; le fuseau s’échappe aussi des pistes de ski ; le pantalon est en marche. Marilyn est aussi sensuelle dans son jean, qui devient un vêtement emblématique d’une génération unisexe.
Les années 60 ont une vision futuriste de l’an 2.000. Courrèges imagine la conquête de la lune, habille sa femme de blanc ou de pastels et lui propose mini-jupe ou pantalon. La confusion des genres s’instaure et participe à une future assimilation du pantalon pour les femmes.
Yves Saint Laurent habille la femme et la trouve superbe quand elle emprunte son style au vestiaire masculin. Il associe caban et pantalon. Avec le smoking pour femme, il impose (pas simplement) le pantalon du soir, habillé. Dans un restaurant à New York en 1968, Nan Kempner s’en vit refuser l’accès avec son tailleur pantalon (à voir dans l’exposition Yves Saint Laurent au Petit Palais). Pour pouvoir finalement y dîner, elle enleva le pantalon et resta en veste !
Sonia Rykiel émancipe aussi la femme, met les coutures de ses pulls à l’envers et crée des ensembles masculin-féminin avec des pantalons fluides.`
Le pantaon chez Rykiel un classique jusqu’à aujourd’hui.
Mais 68 se passe sur les barricades et en 69 un conseiller de Paris, le Dr Bernard Lefay, demande au préfet une modernisation de la réglementation de 1800 puisque « la désuétude ne peut se substituer à un texte formel ». Le préfet ne voit pas l’utilité de « changer des textes auxquels les variations prévisibles ou imprévisibles de la mode peuvent à tout moment rendre leur actualité. » Pas de remous et pas de changement !
Valeur de symbole, les femmes portent le pantalon et brûlent leur soutien gorge pour gommer au maximum toute apparence de féminité. Au concours de Miss Amercia en 1968, des féministes ont débarqué pour protester contre cette vision réductrice de la femme. Symboliquement elles ont jeté dans une « poubelle de la liberté » soutien-gorge, mais aussi talons hauts. N’ayant pas eu l’autorisation de brûler les objets-symboles sur la voie publique, l’événement fut ensuite reconstitué. S’il n’y a pas eu réellement beaucoup de « bra-burning », la légende s’est propagée comme une traînée de poudre y compris en Europe et en France.
C’est surtout en tant que vêtement d’un quotidien « habillé » que le pantalon eut le plus de mal à être accepté. Dans les années 80 et même 90, certains employeurs demandaient encore à leurs employées de privilégier le port de la jupe pour conserver l’apparence de la féminité.
Le paradoxe de cette ordonnance de 1800 se trouve aussi confronté à des métiers ou le port du pantalon au féminin est parfois obligatoire (pantalon d’intervention pour la police).
En 2003 Le débat refait surface avec un député UMP, Jean-Yves Hugon qui demande à la ministre déléguée à la parité Nicole Ameline de modifier l’ordonnance de 1800 qui fit que George Sand (originaire de l’Indre comme le député) devait demander une autorisation pour porter le pantalon. La ministre répondit que « la désuétude est parfois plus efficace que l’intervention ».
La mode, elle, a définitivement adopté le pantalon qui défile chez les créateurs (la couture l’utilise moins) en tailleur pantalon. Parfois se joue un jeu subtil où l’un est l’autre, Yohji Yamamoto ayant fait défiler pour une collection masculine des femmes portant la culotte.
Si effectivement aujourd’hui le port du pantalon est entré dans les moeurs de fait en France, il n’en est pas de même en Afrique. Le débat a ressurgi avec une demande des femmes députées au parlement de la république démocratique du Congo qui fut rejetée en 2007 à Kinshasa : les femmes doivent porter pagne cousu ou veste et jupe. Au Soudan un article de loi (152) interdit « une tenue vestimentaire indécente » qui inclut le port du pantalon.
En France aujourd’hui ?
L’article 433-14 du code pénal stipule qu’: « est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende le fait par toute personne, publiquement et sans droit : 1° de porter un costume… réglementé par l’autorité publique. » L’ordonnance de 1800 étant toujours en vigueur, c’est ce qu’il pourrait en coûter à chacune. A Saint-Elix-le-château en 2009 a été mise en scène une fausse contravention sous l’instigation d’un ancien conseiller municipal pour faire réfléchir aux lois qui ne sont plus applicables en France et qui ne sont pourtant pas abrogées. Renseignement pris à la préfecture de Police par téléphone, l’ordonnance n’est pas connue et, de poste en poste, les préposés se déchargent du problème (sans raccrocher) mais avec étonnement ou avec des réactions personnelles : « Alors là je suis aujourd’hui hors la loi ». Ou encore, après réflexion, : « Mais il y a des professions où le port du pantalon est obligatoire. »
Sur place, à la préfecture de police, les trois préposées de l’accueil, toutes en pantalon, ne connaissent pas cette ordonnance. Une responsable intervient (aussi en pantalon) et m’explique qu’en 44 ans personne ne lui a jamais demandé une telle autorisation ! Seule solution : écrire directement au préfet pour qu’enfin je puisse porter en toute légalité le pantalon…
J’attends mon autorisation, en attendant je porte la jupe.