Grande rentrée à la Cinémathèque ! C’est une rétrospective du grand Otto Preminger qui ouvre une année de cinéma fort alléchante. Cinéaste américain d’origine autrichienne, Otto Preminger a réalisé une quarantaine de films, la plupart à Hollywood. Celui qu’on surnommait « L’ogre » était connu pour la tyrannie qu’il exerçait sur ses plateaux : demandant à Mitchum de gifler « pour de vrai » sa partenaire Jean Simmons dans Un si doux visage, refusant d’éteindre les flammes qui menaçaient d’atteindre Jean Seberg tant que la scène n’était pas terminée dans Sainte Jeanne, ou dirigeant un groupe d’enfants sur le tournage d’Exodus en leur assénant des « Cry you little monsters ! »… Otto n’était pas réputé pour sa sympathie envers le genre humain alors que son cinéma émeut justement par son univers humaniste. Cinéaste majeur et passionnant, auteur de chefs-d’œuvre et de films plus mineurs, cette rétrospective nous donne l’occasion de nous replonger dans l’œuvre et la personnalité de ce personnage complexe.
NOTRE SÉLECTION DES FILMS QU’IL FAUT REVOIR ABSOLUMENT !
Le chef d’œuvre absolu du film noir : Un si doux visage (1952). Il semble impossible et honteux en voyant ce film que Jean Simmons soit aujourd’hui quelque peu oubliée. Immense star des années 50 à 60, l’actrice possédait un visage fascinant d’ambiguïté. C’est ce visage d’ange fou que Preminger filme à merveille dans Angel Face (titre original).
Bonjour Tristesse (1957) et Sainte Jeanne (1957) : Jean Seberg est au sommet de son art dans ces deux films qui reflètent bien la capacité du cinéaste à changer radicalement de genre. L’œil vif, vibrante d’énergie et de joie de vivre, Jean Seberg apparaît comme le double blond d’Audrey Hepburn. Peut-être le cinéaste avait-t-il d’ailleurs modelé sa jeune découverte de dix-sept ans sur le modèle de son aînée puisque c’est à Hepburn que Preminger avait proposé les deux rôles. Mal reçus à leurs sorties, les deux films sont des chefs-d’œuvre absolus, deux merveilles de beauté visuelle et d’intelligence.
Le tiercé Gene Tierney : Laura (1944), Le mystérieux docteur Korvo (1949), Mark Dixon détective (1950) : Comment oublier Laura ? Question que se posent aussi bien les protagonistes du film que les spectateurs. La beauté de Laura hante le détective McPherson, si bien qu’il tombe amoureux de la jeune disparue. Mais le mystère qui entoure Laura ne fait que s’épaissir lorsque la jeune femme réapparaît d’entre les morts. Femme fatale, fragile ou mystère incarné, Preminger examinera toutes les facettes de son actrice à travers ces trois films noirs.
Exodus, le film épique (1960) : On se souvient dans Mad Men de Don Draper lisant tranquillement dans son lit le livre de Leon Uris. C’est dire l’importance de la publication du roman aux Etats-Unis ! Preminger l’adapte donc et s’attire de nombreuses critiques pour avoir choisi Paul Newman comme interprète de Ari Ben Canaan. Et pourtant, le jeu de Newman impressionne, tout comme celui de sa partenaire Eva Marie Saint. C’est également l’occasion de revoir le talentueux Sal Mineo, au pic de sa trop courte carrière, dans le rôle qui lui valu une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle.
La rivière sans retour (1954) : Preminger et Marilyn s’engagèrent dans ce film contre leur gré. On se souvient des commentaires misogynes et dégradants que le réalisateur eut pour son actrice. Pourtant, La rivière sans retour reste aujourd’hui un western majeur. À voir absolument sur grand écran pour admirer la splendeur esthétique du film.
Les films scandales : Preminger était connu pour affronter des sujets tabous aux Etats-Unis. De Anatomie d’un meurtre qui traite du viol, à l’homosexualité dans Tempête à Washington, Preminger n’avait que faire des règles hollywoodiennes. Le sexe est à l’honneur dans Carmen Jones (1954), version revisitée et jazzy du célèbre opéra de Bizet. Tous les acteurs sont noirs américains et c’est pendant ce tournage que Preminger entamera sa liaison avec Dorothy Dandridge, actrice principale du film. L’année d’après, le cinéaste s’attaque à la drogue dans le film choc L’homme au bras d’or (1955). Si certains avaient des doutes quand aux capacités de jeu de Frank Sinatra, le film y met fin. L’acteur-chanteur est époustouflant dans le rôle de Frankie Machine face à une Kim Novak bouleversante de tendresse.
Et aussi…. Bunny Lake a disparu (1965): Preminger s’attaque au film d’angoisse et réussit à merveille. Où est passée la petite Bunny Lake ? A-t-elle seulement existé ? Si sa mère en est persuadée, aucune preuve ne semble pourtant confirmer ses dires… L’angoisse est à son pic, et Keir Dullea glaçant de froideur…
LES LACUNES DE VIDDY WELL (que l’on va vite rattraper rassurez-vous…)
Centennial Summer (1946), L’éventail de Lady Windermere (1949), In the meantime, Darling (1944) : Pour Jeanne Crain que l’on adore et qu’on oublie trop souvent dans le lot des grandes actrices des années 40-50…
Rosebud (1975) : pour le titre alléchant et pour Peter O’Toole.
The Thirteenth Letter (1950) : tout prétexte pour voir Charles Boyer sur grand écran est bon à prendre.
CELUI QU’ON VOUS CONSEILLE D’ÉVITER
Le Cardinal (1963) : Preminger traite trop de sujets scandaleux pour l’époque à la fois et assomme un peu avec ses 172 minutes de film… D’autant plus que son héros est interprété par un acteur dont on ne s’étonne guère de ne pas connaître le nom. Tom Tryon, faux double de Rock Hudson, est loin du charisme d’un Paul Newman ou d’un Robert Mitchum. Il est juste plaisant d’apercevoir Romy Schneider dans sa courte carrière américaine.
Pour les horaires des projections, rendez-vous sur le site de la Cinémathèque !
Viddy Well !
E.C
Bravo d’avoir signalé Rosebud “pour son titre alléchant et Peter O’Toole, mais c’est aussi par référence à Exodus, dont il rectifie le message historique “optimiste”, que le film attire : si le traîneau de Citizen Kane est devenu un yacht de milliardaire juif, l’épopée de la fondation d’Israël a tourné, par refus de négocier avec les Palestiniens, à la déconfiture terroriste, manipulée par d’anciens nazis : du “bouton de rose”, on glisse vers les épines plantées dans le pied de la bonne conscience française, qui n’admet pas que Hollywood “lui rappelle quelque chose”. Levée de bouclier de “la critique”, à qui il ne fallait pas grand chose, à l’époque, pour céder au réflexe antihollywoodien. Je me flatte rétrospectivement d’avoir été le seul à l’époque à résister, dans la Revue du cinéma Image et son, à la censure intellectuelle en vigueur en prenant, avec l’auteur, le parti d’une démystification spectaculaire de toute beauté (une fois de plus, Preminger sait filmer contre un matériau narratif “vulgaire” fourni par un best-seller signé Hemingway… Joan).