ATTENTION CET ARTICLE CONTIENT DES SPOILERS !
Le problème quand on sort de The Dark Knight Rises c’est qu’on est partagé entre la déception et l’émotion. Déception forcément, puisque le premier réflexe est celui de comparer le film au deuxième volet de la trilogie, chef d’œuvre du genre. The Dark Knight bénéficiait de deux atouts majeurs : c’était le premier film de Nolan sur le terrorisme d’aujourd’hui, sur la guerre contre un Mal que l’on ne sait identifier. Nolan y déployait tout son savoir-faire esthétique, montrant une ville dévorée par les ténèbres au cœur de laquelle sillonne un chevalier noir, justicier masqué, luttant seul contre tous pour la survie de sa ville. Le second facteur avait été celui du hasard génial d’avoir choisi Heath Ledger pour incarner le Joker. Animé par un plaisir du jeu évident et lumineux, Ledger fit de son Joker l’incarnation d’un Mal sans nom, sans raison, et sans commune mesure. Talent et hasard firent donc de The Dark Knight un film extraordinaire, une légende même, de ce fait bien difficile à surpasser.
Le problème majeur de The Dark Knight Rises est avant tout scénaristique. Une intrigue plutôt simpliste, des retournements prévisibles, des personnages esquissés… Tom Hardy, quoique acteur très respectable, n’arrive pas à la cheville de la performance de Ledger. Le visage dévoré par un masque, l’acteur en est donc privé pour exprimer ses émotions. Là où Hardy trouve un obstacle, d’autres y trouvaient leur génie ! Souvenons-nous de l’éclatante performance d’Edward Norton dans Kingdom of Heaven, où grâce à sa seule voix, l’acteur parvenait à éclipser le reste du casting ! Ici, c’est la voix justement qui bride un abandon du spectateur au personnage. Incompréhensible lors des premiers teasers, la voix de l’acteur a été à nouveau modifiée pour la sortie du film en salles. Mais l’on continue à lutter pour comprendre le discours de Bane (bien simpliste pourtant), et cette voix fabriquée nuit à l’incarnation de cette nouvelle figure du Mal. Alors que la force du Joker résidait dans l’absence de psychologie (d’où vient ce sourire de l’Enfer, on ne le saura jamais), agité par un désir de chaos terrifiant car inexplicable, Bane en revanche est mû par des sentiments trop communs, trop explicatifs, pour pouvoir fasciner. Ce Goliath au masque de fer est bien moins terrifiant que le David de Ledger, petite créature tordue et sautillante. Quant au personnage de Miranda Tate, faiblement interprété par Marion Cotillard (mais d’où vient cet accent ? Ses allées et venues entre anglais et américain, il faudrait qu’elle se décide…), les révélations la concernant sont trop attendues pour émouvoir. Et la dernière scène de l’actrice restera comme l’une des plus ridicules d’une trilogie pourtant de haut niveau.
Passées ces critiques, venons-en au plaisir majeur de ce film qui vient d’un casting éclatant. Anne Hathaway en Selina Kyle est une très bonne surprise, Nolan ayant eu l’intelligence de faire de cette femme-chat un être diamétralement opposé à la merveilleuse Catwoman de Michelle Pfeiffer. Il est bien plaisant d’ailleurs de voir Batman et Kyle travailler côte à côte ! Joseph Gordon-Levitt, que l’on aimerait voir plus souvent, apporte une force de caractère et une intelligence de jeu prodigieuses à son personnage. Et notre héros, Christian Bale, séduisant à souhait, livre enfin dans ce troisième opus la totalité de son talent. Bale fait partie de cette rare espèce d’acteurs (façon Day-Lewis) qui allie force et grâce, espièglerie et noirceur, avec une facilité déconcertante. Ce qui émeut le plus chez lui, c’est de retrouver par instants son visage d’enfant innocent. Bale révèle ainsi les blessures de son Bruce Wayne, un être poursuivi par le chagrin et la mort.
L’émotion surgit bien sûr de ce thème. D’un être qui rêve d’innocence et de victoire sur le Mal, et qui ne cesse d’être rattrapé par la tragédie : la mort prématurée de Ledger, puis le massacre d’Aurora. Une émotion qu’on a du mal à contenir lorsque se révèle le réel sujet du film. Une fois de plus, Nolan parle du chaos, de la violence humaine, et de la terreur. Le cinéaste livre une œuvre hantée par le spectre du 11 septembre : drapeaux américains déchiquetés flottant au vent, immeubles en flammes, policiers prisonniers de décombres, ville dévorée par la fumée de ses propres cendres. Gotham et New York ne font plus qu’une. Bane est suivi par des adeptes à la foi aveugle, qui n’hésitent pas à mourir pour lui. Anarchiste convaincu, ce colosse veut « rendre la ville à ses habitants ». Alors, le propos de Nolan surgit. Divisée par une crise financière majeure, la ville se retourne contre elle-même. Les riches deviennent l’ennemi à abattre, on les traîne dans la rue, on les frappe, on les juge. Tout ordre, toute justice a disparu. Ce que Bane lâche dans la ville c’est la violence de l’homme. Dans une citation magnifique du Procès d’Orson Welles, on voit un juge (le génial Cillian Murphy), lui-même coupable de crimes (il était l’épouvantail de Batman Begins), condamner des gens à mourir pour le simple plaisir du spectacle : les condamnés doivent marcher sur l’eau gelée, la chute et la noyade étant inévitables.
La violence de l’homme. Voilà le sujet qui préoccupe Nolan. Lui, qui a fait de ce Batman une trilogie sur la terreur, mais qui ne cesse de rêver encore et toujours qu’un chevalier noir viendra un jour les sauver de cette noirceur rampante. Comme l’homme chauve-souris le dit lui-même à Jim Gordon : « un héros peut-être n’importe qui. Même un homme faisant une chose aussi simple que de mettre un manteau autour d’un petit garçon pour lui montrer que le monde ne s’est pas écroulé. » Christopher Nolan a fait du cinéma sa maison, en espérant peut-être qu’en nous procurant quelques heures d’évasion, il pourrait nous redonner, ainsi qu’à lui-même, de l’espoir en l’humanité. Après de nombreux malheurs, son Bruce Wayne obtient son happy-end. Espérons que Nolan aura aussi le sien.
Viddy Well.
E.C
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