Une journée pour souffler

Hier, mercredi, sur le tour, l’ambiance était celle du reflux. Les trois premières étapes ont été éprouvantes. La moitié du peloton a chuté, beaucoup n’ont pas aimé le passage dans les pavés, qui a occasionné chutes, crevaisons, bobos, quelques abandons. Dans chaque équipe, on a au moins un coureur qui pose des soucis. Et on était content de quitter l’enfer du Nord.

Ce début de tour était bon, pourtant. J’ai passé la journée d’hier avec l’équipe FDJ, et Madiot était d’accord. Quand je lui ai demandé s’il fallait le refaire, ce petit Paris-Roubaix en plein tour, il a dit oui, que c’est bon pour le spectacle, que ça fait des étapes de plat qui font des écarts, sans qu’ils ne soient trop gros, et que le Tour, c’est aussi ça. Thierry Bricaud, un des deux directeurs sportifs de la FDJ sur le tour, acquiesce : gagner le tour, c’est être un coureur complet, et les pavés, ça en fait partie. Ils sont clairs, et ils ont raisons. Si les premiers jours ont été éprouvants, se terminant après deux étapes typiquement nordiques, dans des pavés qui ont fait mal, cela a fait du bien au spectacle, au classement, et a laissé du champ aux malins, aux stratèges. C’était du bon, dans le mal.

Hier donc, il faisait chaud, mais l’étape était courte, plate, droite. Pas de coups de bordures à imaginer, peu de risques que l’échappée aille au bout. Le mot d’ordre, à la FDJ, c’était de se préserver, de récupérer, et de protéger les deux leaders de l’équipe, Sandy Casar et Christophe Le Mével. C’était un grand classique d’étape : le genre chiant, qui traverse le territoire. Et c’est là que ça se passe, en fait, dans ce genre d’étapes : dans le territoire, le public.

fdj

Il faut dire qu’on était en Picardie, la plupart du temps, venant du Nord, jouxtant les Ardennes. Pas de doute : cheveux blonds et roux, coups de soleil en formation sur les torses nus du public, petits villages qui s’appellent Walincourt-Sevigny, Marle, Poilcourt-Sidney (oui, Poilcourt-Sidney). De la brique, des grands champs plats avec des éoliennes, et de petits villages. C’était un parfait décor de Tour. Pas de celui des montagnes, des cirques dans lesquels les hélicos de France télé se font plaisir, mais un vrai pays de vélo, et une culture ancrée : dans ce triangle formé par Saint-Quentin, Charleville et Reims, on sait ce qu’est le vélo, ça se sent aux visages des bords de route, à l’attirail exhibé aux coureurs, et aux encouragements avisés des spectateurs.  J’aime bien ces étapes chiantes. On y trouve l’autre tour, pas celui des grands exploits de fous, mais celui des vrais spectateurs, des bobos qu’on soigne, des discussions entre directeurs sportifs, des guets qu’on imagine dans le peloton entre coureurs. On souffle, on rigole. On sait que dans trois jours, on se tapera les Alpes, alors on en profite. Le tour est aussi fait de ces moments de pause relative (on fait quand même 150 bornes), qui permettent la montagne.

De la bonne humeur, donc, et une réduction de stress. Pointe juste, en creux, une inquiétude, chez les directeurs sportifs : quel sera l’impact des bobos de début de parcours dans la suite ? A la FDJ, c’est Jérémy Roy, qui s’est ramassé une barrière, et a un hématome au genou, qui inquiétait, un peu (on ne montre jamais vraiment une inquiétude, dans cet univers de taiseux). Quand il a appelé en fin de course sa voiture à l’oreillette, ça a fait – un peu – peur. C’était une crevaison, ce qui vaut mieux.

L’étape ? Elle fut classique. Une échappée de cinq, qui fait son boulot, se tient entre deux et quatre minutes du peloton, se fait avaler par le monstre. Le sprint a été un régal pour l’amateur : une amenée bien faite, solide, pour Cavendish, et un costaud qui s’impose sur un sprint long, résistant au retour des puncheurs. Dans la voiture de Madiot, on s’est arrêtés sur le bord de la route pour le regarder, en amateurs. J’en ai été heureux, en fan, parce qu’il m’est venu la même idée : McEwen. Il y a quelques années, dans un sprint de ce type, droit, avec un gros qui emmène sur un temps long et les autres juste derrière, on aurait vu surgir Robbie, comme un diable, un régal de diable. Hier, c’était Petacchi. Tout droit, tout fort. La classe, aussi.

C’était un jour de tour à la con, de ceux où l’on papote entre bagnoles, en réduisant la tension. Qui est nécessaire, qui est utile, qui permet de revenir sur d’autres choses que le pur sport, son écosystème. De parler un peu finances, mercato, sponsors, équipes, visions du métier. C’était bien. On y revient bientôt, ici, avant que les Alpes et les Pyrénées ne cassent tout en imposant leur grand spectacle.

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