Ce soir, Canal+ lance Tunnel, sa nouvelle production maison. Ou plutôt, sa nouvelle coproduction maison. Un remake franco-britannique, avec Sky Atlantic, de la dano-suédoise Bron/Broen, renommée pour les besoins de l’international The Bridge (simple traduction), titre qui est resté pour l’adaptation américaine diffusée cet été sur FX. Tunnel est donc la deuxième réécriture de ce polar où deux flics de deux pays doivent faire équipe pour coincer un serial killer qui a ouvert les hostilités en laissant un corps coupé en deux pile sur la frontière. Un pont au Danemark, en Suède, au Mexique et aux Etats-Unis. Un tunnel (sous la Manche) en France et en Angleterre. Même histoire (ou presque), nouveaux décors, nouveaux réalisateurs, nouveaux comédiens, nouvelles ambitions.
Casse-tête sériel : comment critiquer un remake ? J’ai beau prendre tout le recul possible, oublier les personnages de l’original – que j’ai vu en entier – me vider la tête de son intrigue et de sa réalisation… impossible de ne pas tomber, irrémédiablement, dans la critique comparatiste. Une critique qui ne sert que rarement le remake. C’est sans doute la raison pour laquelle, tout en lui reconnaissant des qualités, j’ai peiné à suivre Tunnel. J’ai pourtant l’intime conviction que ceux qui n’ont pas vu Bron/Broen ont de bonnes chances d’aimer. Donc, qu’au fond, c’est une bonne série, compliquée à voir pour ceux qui ont apprécié l’original, mais certainement satisfaisante pour les autres – soit 99% de la population française.
Dire que Tunnel est un copier/coller serait injuste. Elle reprend de nombreux éléments de l’intrigue d’origine, à commencer par ses deux héros flics et son méchant, le Terroriste de la Vérité – regardez, vous comprendrez pourquoi il se fait appeler comme ça. Les lignes narratives secondaires sont pour certaines quasi identiques – la jeune fille et le samouraï, les chefs d’entreprise – et pour d’autres des inventions maisons, dans l’ensemble bien senties. On retrouve aussi des séquences en mode miroir, comme quand Elise Wassermann, la flic française, se change en plein au milieu de ses collègues, sans aucune pudeur.
Bref, Tunnel est bel et bien un remake, au moins sur ses 6 premiers épisodes, ceux que j’ai pu voir. Elle ne prétend pas être 100% originale, donc pourquoi lui reprocherait-on ? Elle est d’autant plus un remake que Karl Roebuck, le flic anglais, et Elise Wassermann, sont très proches des originaux, Saga Norén et Martin Rohde. Certes, Clémence Poésy et Stephen Dillane leur apportent leurs sensibilités propres, mais, sur le fond, c’est la même chose : elle est associable, froide, prend tout au premier degré et est d’une honnêteté telle qu’elle balance à tout le monde ses quatre vérités; il est détendu, bon vivant, blague souvent, se rend sympathique en un clin d’œil – mais cache aussi des fantômes dans ses placards. En gros, la figure classique des deux flics que tout oppose, mais bien plus profonds que le commun des duos d’enquêteurs.
Encore une fois, ces deux personnages pourraient bien toucher le public novice. Pour celui qui a déjà vu Bron/Broen, difficile de rivaliser avec les originaux. Stephen Dillane (Game of Thrones) est pourtant excellent, juste, drôle, touchant. Il n’a pas la rondeur de Kim Bodnia, mais c’est tant mieux. Clémence Poésy est la troisième blonde à se risquer au rôle extrêmement casse-gueule de Saga Norén. Elle opte pour un jeu minimaliste, loin du léger surjeu de Diane Kruger aux États-Unis, mais moins expressif que celui de Sofia Helin la Suédoise. Son choix se défend, mais coince quelque peu pour moi. Visage figé, voix basse, diction mécanique, elle frôle régulièrement la fausse note. Elle n’a pas non plus la présence brute et blessé de Helin, plus âgée et plus sensuelle. J’ai beau, je crois, saisir son approche du personnage, elle reste à mes yeux un des points faibles de Tunnel. Les seconds rôles, dont certains sont des visages connus de chez nous (Jeanne Balibar) et de chez eux (Angel Coulby), sont inégalement incarnés.
Un mot sur le tunnel, la première scène de crime — et le lien entre les deux pays et les deux héros. Certains le trouvent moins riche que le pont de l’original – qui il est vrai avait un côté aérien intéressant. C’est pourtant une des forces de la série, qui a inspiré toute son esthétique un brin claustrophobe, grise, nocturne, sans couleurs, joliment mis en scène par Domink Moll (Harry, un ami qui vous veut du bien). On image difficilement une scène de crime plus lugubre, au fond de la Manche, dans cet interminable boyau de béton. Tunnel, c’est assez moche, comme titre – Le Tunnel eut été déjà un peu mieux, mais c’est aussi un film de 1933 avec Jean Gabin, ce qui explique peut-être la disparition du « Le. » Mais partir du tunnel est une bonne (et logique) idée.
Un mot enfin du fond de la série. Je n’ai pas fini cette saison 1, je ne sais donc pas s’il s’y passera ce qui se passe dans l’original – les initiés me comprendront ici. On nous a fait comprendre, lors de la projection chez Canal+, qu’il y aurait des changements. Ça ne bouleverse pas le sous-texte sociétal de départ. Ce que le Terroriste de la Vérité prétend défendre, c’est le peuple, les défavorisés, les laissés pour compte, leurs droits sociaux, leurs conditions de vie, dans un monde d’inégalités et de violences. Tunnel est une série de crise, qui peut encore mieux que Bron/Broen dire, concrètement et métaphorique, les difficultés de l’Europe, la mort lente et douloureuse d’une utopie. Tueur de crise, héros en crise, enquête en crise, pays en crise, météo en crise, Tunnel, c’est gris c’est gris, voire noir c’est noir.
Il y a donc plein de bonnes choses dans Tunnel, et je suis impatient d’entendre le point de vu de ceux qui n’ont pas vu Bron/Broen. Je dois malheureusement avouer que, pour ma part, si j’irai certainement jusqu’au bout de cette saison 1, c’est avec un enthousiasme modéré. La faute aux Nordiques, qui m’ont comblé.
Tunnel, lundi 20h50, Canal+
J’ai moi aussi vu la série originale et j’ai beaucoup de mal avec les remake (j’ai pas du tout aimé The Bridge US/Mexique) , et pas seulement parce que je connais déjà l’intrigue ; dans Bron/Broen, l’atmosphère, la personnalité des protagonistes, tout est parfaitement réussi. Je me régale de retrouver tout ça dans la saison 2 en cours.
Je suis scandalisée par le fait que Canal ait acheté les droits de Bron pour que cela ne soit pas diffusé en France avant le remake. Ils disent qu’ils le diffuseront ultérieurement ; mais les gens connaîtront déjà le dénouement, ça ils peuvent pas le changer , sinon la série n’aurait plus de sens.
Cette attitude ne fait qu’encourager le piratage !
Mon conseil : ne regardez pas les remake ! Attendez la diffusion de l’original et vous verrez la meilleure série policière que vous n’avez jamais vue !
Woody Allen disait que les festivals de cinéma auront du sens lorsque tous les films en compétitions traiteront, au minimum, d’un seul et même sujet. De fait, comparer “La vie d’Adèle” et “Inside Llewyn Davis” n’a pas de sens. En revanche, comparer “Tunnel” et “Bron” en a. On a que trop rarement l’occasion de comparer ce qui est comparable pour s’en plaindre. Le problème, c’est qu’à partir du moment où on a aimé “Bron”, il devient difficile d’être objectif avec “Tunnel”, qui a pourtant beaucoup de qualité. Le “Valmont” de Forman en avait aussi, mais malheureusement pour lui, il est sorti six mois après “Les liaisons dangereuses” de Frears… Bref, on ne saura jamais si “Tunnel” est au niveau de son modèle tout simplement parce qu’on ne veut pas le savoir. Mais à part ça, c’est plutôt une bonne série, bien foutue, joliment mise en scène et bien interprété. Stephen Dillane est parfait et, surtout, Clémence Poésy (que vous assassiné en trois lignes après l’avoir accueilli sur votre plateau, c’est pas joli, joli, mais je reconnais que votre métier est ingrat ) tire avantageusement son personnage vers la mélancolie plutôt que vers l’autisme, ce qui la rend beaucoup plus attachante que Sofia Helin (Très bien aussi, mais la dimension “psychiatrique” de son personnage la fige quelque peu dans des stéréotypes déjà éprouvant – de mon point de vue – dans la saison 2 de “Bron”). Quoiqu’il en soit, je pense qu’on sera tous d’accord pour dire que c’est mieux que la version US. C’est déjà çà.
Viens de voir les 2 premiers épisodes (après avoir lu cet article) sans connaître Broen/Bron et j’ai bien aimé. Ce qui me gène le plus dans le jeu de Clémence Poésy, c’est qu’on galère un peu à comprendre ce qu’elle dit parfois, à l’instar de certains de ces collègues français parfois d’ailleurs. Paradoxalement on comprend mieux les anglais. Et ouais, on n’est pas au ciné avec le son bien fort. Sinon, l’histoire tiens en haleine, quelques scènes qui sonnent un peu faux (genre entre Jeanne Balibar et son mari). C’est bien glauque à souhait comme la majorité des séries françaises mais bon, je sors de Hannibal, donc ça va, c’est gérable. C’est bieng.