Comme des Ricains (ou presque)

Si t’es Français, tu te plains. C’est la crise, marre des impôts, il fait trop froid, il fait trop chaud, Benzema est nul, les fonctionnaires sont des faignasses, les politiciens sont tous pourris, les séries sont pires. Mais comme il y a visiblement eu un type pour, un jour, dire qu’impossible n’est pas français (ça serait un certain Napoléon, il n’avait pas la télé), elles se soignent. Elles cherchent les raisons de leur faiblesse, elles tentent, elles risquent, elles échouent, elles réussissent — je ne vous reparlerai pas des Revenants et de Ainsi soient-ils ici. Allions-nous à nos voisins, pour avoir une plus grande force de frappe, et faisons des coproductions internationales, pensaient ainsi certains ambitieux. Ce sera un moyen de produire mieux en dépensant moins, et de toucher plus de monde. Malin. Ou pas. Crossing Lines, qui démarre ce soir sur TF1, est un bel exemple du néant artistique que peuvent cacher ces montages.

Donc, une coproduction internationale, c’est quand des producteurs de plusieurs pays s’unissent pour faire une série. Dans le cas de Crossing Lines, la France, l’Allemagne et les États-Unis. Ensuite, les trois pays diffusent la série (TF1 en France, Sat.1 en Allemagne et NBC aux États-Unis), qui se vend généralement bien ailleurs, puisqu’elle a été conçue pour fédérer des publics différents. Pourquoi pas ? Fédérer les talents, fédérer les ambitions, fédérer les inspirations, et même fédérer les comptes en banques, sur le papier, ça semble une bonne idée. Sur le papier. Car sous leur efficacité bancaire, les coproductions internationales proposées par les chaînes du paf ces dernières années sont loin de m’avoir convaincues.

Le Transporteur d’M6 en est l’exemple le plus sublime, ou comment faire la pire série de l’histoire récente de notre petit écran avec budget rondouillet. Jo, sur TF1, a tenté très fort d’être aussi consternante, mais elle était juste nulle. Borgia, sur Canal+, est loin d’être aussi honteuse, mais elle n’est pas suffisamment épatante à mon goût pour me faire changer d’avis. Bref, l’argent ne fait pas le bonheur, comme disait quelqu’un d’autre. Pire, j’aurais tendance à penser qu’en terme de séries hexagonales, il peut faire le malheur. Ce que Le Transporteur, Jo et aujourd’hui Crossing Lines (laissons Borgia un peu en dehors de l’équation) tentent de faire, je le disais plus haut, c’est notamment de conquérir des marchés à l’extérieur de notre modeste paf. Donc, de s’inscrire dans la compétition internationale. Noble effort. Sauf que le mètre étalon, à ce petit jeu-là, ce sont les séries américaines. Alors, que font nos coproductions internationales ? Elles essayent de leur ressembler.

Mortelle erreur. C’est justement, en partie, parce qu’elles regardent avec trop d’envie les réussites américaines, que nos séries ont développé un complexe d’infériorité. Ce n’est pas en cherchant à faire pareil, en tentant de les concurrencer ou même en s’associant à des producteurs américains qu’on fera avancer le schmilblick français. Pas plus qu’on ne s’en sortira en foulant fédérer des publics qui, de toute façon, n’ont pas nécessairement les mêmes goûts. Longtemps, la télé faisait ce qu’on appelait des « europuddings », des programmes où chacun amenait son ingrédient, et où tout se mélangeait dans un moche brouhaha. Cette époque-là est révolue, nous jure-t-on maintenant, grâce à l’arrivée de vrais patrons, pour fédérer – tiens, encore lui – tous ces talents : des showrunners (ah, divin anglicisme !). Sauf qu’en allant demander ça à des américains (Ed Bernero pour Crossing Lines, le Canadien René Balcer pour Jo, une succession de pros de la télé US pour Le Transporteur), on retombe au point de départ : on risque de faire une série ricaine avec un accent européen – un accent qui, pour ne rien arranger, n’existe pas.

Je ne sais pas si Crossing Lines, qui se revendiquerait presque, prétention inutile, comme un Esprits Criminels à l’européenne, aura une belle vie sur TF1. Malgré toute la sympathie que j’ai pour William Fichtner (Prison Break), je ne vois pas l’intérêt d’une telle série, pas plus captivante et pas franchement plus originale que la pelleté de polars qui satures nos soirées télés – ironiquement, le polar le plus original de la chaîne, Falco, est un remake d’une série allemande. Je risquerais un pouce vers le bas, car en tentant de lancer ce gros bazar sans âme, condensé d’enquêtes déjà vues et de personnages blessés juste comme il faut pour nous faire verser notre larme, TF1 se plante peut-être. Elle pense vedettes (Donald Sutherland et Marc Lavoine ne sont pas Matthew McConaughey et Woody Harrelson, mais on fait ce qu’on peut), action et marketing, quand ses succès les plus marquants, bonnes ou mauvaises séries, tiennent plus à l’attachement de ses téléspectateurs à des personnages.

Ne discutons pas de l’intrigue, qui est généralement plate, prévisible, formatée. Elle l’est encore avec Crossing Lines. Si Profilage fait de bonnes audiences, c’est à mon avis plus parce que les gens se sont attachés au personnage d’Odile Vuillemin – loin d’être une star. Idem pour l’affreux Camping Paradis, qui n’est pas une série à vedettes, ou pour Scènes de ménages sur M6. Même dans les productions les plus médiocres, les personnages doivent toujours passer avant l’intrigue. Le concept ne vaut que si les héros sont réussis. Les quelques épisodes de Crossing Lines que j’ai pu voir ne m’ont pas fait penser qu’elle parvient à proposer des personnages assez originaux et attachants pour porter ses intrigues — ils sont peut-être même trop nombreux. Sur la longueur, les choses seront si ça se trouve différentes, mais sur la longueur se fera sans moi.

Crossing Lines a été un temps présentée comme une séries novatrice et originale. A l’heure où vous vous apprêtez peut-être a allumer votre télé, attiré par les pubs qui s’affichent plein nos métros, corrigeons : elle n’est pas novatrice, elle n’est pas originale. Elle conjugue une mode, la coproduction internationale, qui doit encore prouver son intérêt artistique – et pas seulement son impact sur les moyens de production – et une vilaine et trop durable tendance à vouloir faire comme les Ricains — qui en ont vu des moins pires, et lui ont réservé un accueil glacial sur NBC. Au final, elle vaut à peine mieux que les autres polars de TF1 (Fichtner et Sutherland font le job, l’effet carte postale est évité, mais au-delà je ne vois pas l’intérêt), et clairement pas mieux que ceux que la chaîne achète aux États-Unis, du Mentalist aux Experts. Et tant pis si les audiences me font (tristement, et encore une fois) mentir.

Crossing Lines, le jeudi à 20h50 sur TF1.

7 commentaires pour “Comme des Ricains (ou presque)”

  1. J’ai vu Crossing Lines et sans etre un chef d’oeuvre, c’est meilleur que ce que Pierre laisse entendre (de toute facon, il n’aime que Breaking Bad et considere tout le reste comme de la daube).
    Apres c’est sur que quand on passe ses journees a matter des tv shows, c’est pas genial-genial mais quand on rentre d’une longue journee de taf, ca fait le job sans se prendre la tete.

  2. J’ai vu la série et j’ai trouvé que c’était plutôt bien fait.
    Les enquêtes sont intéressantes et originales. Chaque personnage a son propre vécu, ses tares et son caractère propre.
    Cela reste un divertissement de bonne facture.
    Je ne regarde pas les séries citées dans l’article mais je trouve que la teneur du propos est bien sévère.

  3. Personnellement, je sais pas si c’est parce que je regarde trop de série mais j’ai trouvé ça affreusement mauvais.
    J’ai pas été plus loin que le double épisode qui sert de pilot mais j’ai bien vomi 3 ou 4 fois pendant cette heure et demie.
    Je pense qu’on a besoin de personne pour produire des procedurals sans prétention. Honnêtement j’ai de meilleur souvenirs des polars de France 2 du vendredi soir type PJ ou Central Nuit. On avait des personnages finalement très humains, et qui faisaient bien moins caricatures.
    D’ailleurs attention parce qu’après ça TF1 va vouloir nous vendre le plus gros navet de 2013, The Following. Et je pense qu’on pourra trouver des personnes pour nous dire que c’est bien et innovant.

  4. A voir entre potes pour se marrer tellement tout sonne faux.J’ai désactivé la v.o. au bout de 10 min.,c’est encore plus drole en v.f. car le doublage est aussi pourri que le reste….Pauvre TF1,en se lançant ds des co-prod. internatoniales,elle esperait sans doute que la classe americaine impregnerait ses produits,helas c l’inverse c comme si navarro et julie lescaut avaient contaminé dexter…la suite risque de se retrouver tres vite sur NT1 comme pr Dallas quand on verra ls audiences demain

  5. Comme prévu Crossing Lines est une catastrophe… malheureusement c’était tellement prévisible.

    Sinon une petite critique sur “The Tunnel” ce serait sympa?

  6. @Tarod : je n’ai vu que deux épisodes, et ce n’est vraiment pas facile à dire, ayant vu l’original en entier et le remake US en partie. Donc, comme déjà dit, j’attends d’avoir vu plus.

  7. Je ne sais plus où j’ai lu, sans doute un tweet de Pierre Sérisier, que c’était la meilleure série Canal de ces dernières années et que c’était mieux que la version Suédo-danoise.
    Ça vaut donc sans doute la peine d’y jeter un oeil.

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