Girls, attention à la crispation…

Mardi, je rendais hommage à Enlightened, annulée par HBO. J’en profitais pour dire que Girls, la voisine de diffusion de la série de Laura Dern, m’avait déçu dans sa saison 2. Il m’a fallu en effet me forcer quelque peu pour finir ce nouveau chapitre bancal, toujours capable de fulgurances, de répliques de haute volée et de petits instants de grâce, mais qui annonce peut-être pour moi le début d’un certain désamour, pour une série que j’avais porté aux nues lors de son lancement. Au risque de passer pour un ringard, je dois l’avouer, Lena Dunham ne tape déjà (un peu) sur les nerfs.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas encore écrit. Girls reste une bonne série, au ton atypique, et sans doute une des œuvres télévisuelles les plus fascinantes du moment, une mine de réflexion artistique et sociétale comme il en existe peu sur le petit écran. Même ce qui m’a énervé dans cette saison deux a fait fonctionner mon cortex, ce qui est une bonne chose. Lena Dunham est assurément une fille brillante, et sa série en dit long sur la société dans laquelle nous vivons, sur un mal-être, une souffrance, sur l’incertitude d’un monde en crise, et parvient de fait, sous ses excès, à saisir une réalité inconfortable, loin des stéréotypes que nous sert l’immense majorité des productions télé. Bref, je ne vais pas vous refaire un papier sur ce qui a fait le succès critique mérité de Girls. Lisez ce qu’en a dit le collègue Olivier Joyard dans les Inrocks, et vous aurez le côté positif du phénomène.

Je veux bien plutôt tenter d’expliquer ce qui me semble clocher. Ça m’a pris après deux ou trois épisodes de cette saison 2, pour culminer avec le barbant Video Games, où Hannah accompagne Jessa chez son père, à la campagne. Je me suis presque subitement demandé : mais où va Girls ? Y a-t-il là autre chose que les humeurs de son auteure, que ses envies de nous raconter des petites histoires ? Y a-t-il une ligne directrice, un liant ? Vous me direz que la vie, la vraie, n’a pas nécessairement d’arcs narratifs, qu’on y avance par à-coups, jour après jour. Qu’on y rencontre des gens, qu’on y perd des amis, que tout n’est pas aussi fluide que dans les séries. Soit. Et j’admets que Lena Dunham prouve, jusque dans le chaos, qu’elle sait capter une certaine réalité. Mais ça ne suffit pas à combler le vide que j’ai senti grandir en moi.

D’abord, cette saison 2 ne semble pas trop savoir quoi faire de ses personnages. Au second plan, elle fait entrer puis sortir – sans que cela ne serve à autre chose qu’à un entassement de scènes plus ou moins réussies – Sandy, un Républicain noir (Donald Glover, qui alimente par son inutilité la polémique autour de l’absence de Noirs dans la série – même si j’apporte peu d’intérêt à ce débat) et Elijah (Andrew Rannells), le coloc gay. Exit aussi Chris O’Dowd, époux express pour Jessa. Des guests fashion au possible, mais qui ouvrent autant de pistes narratives ensuite bâclées. Les héroïnes elles-mêmes prennent des directions étonnantes : Jessa disparaît un épisode sur deux et Shoshanna et Marnie, si elles évoluent, n’ont quasi plus d’interactions. C’est une chose intéressante de plus, mais Lena Dunham écarte ses héroïnes les unes des autres, leur imagine des histoires quasi indépendantes, les isolent – ce qui peut nuire au plaisir d’une série qui, le croyait-on, était l’histoire d’un groupe d’amis, et non d’individualités isolées.

Les détracteurs de la série mettent souvent en avant le fait que ces filles ne sont pas attachantes. Ça ne me dérange pas, je ne demande pas nécessairement à trouver sympa un héros (Boss, par exemple), mais c’est vrai que dans cette saison 2, elles mériteraient quelques claques – Dunham la première. Et c’est là que le bât se met vraiment à blesser pour moi : certes, Girls est une autofiction flagellatrice. Lena Dunham s’en met plein la poire, et en tire quelque chose de très juste. Soit. Mais je crains que l’autofiction soit en train de virer à l’égo trip. A force de parler d’elle et de se regarder, Dunham pourrait ne plus être « une voix d’une génération », mais juste sa voix à elle, criarde et crispante. On n’en est pas encore là, mais le « moi-moi-moi » de l’auteure-actrice-productrice-réalisatrice commence à peser lourd. Faut-il qu’elle fasse sa mise à nu de façon si littérale, et se promène tout le temps à poil ? On a compris ce que son corps avait de différent, et la démarche de cette nudité, mais son exhibitionnisme glisse doucement du fascinant à l’embarrassant. Faut-il qu’elle en fasse autant pour nous faire comprendre son mal-être et ses angoisses ?

Dans cette deuxième saison, j’ai eu l’impression qu’une copine pas bien du tout dans ses baskets me ressassait la même histoire en boucle, la même incapacité à aimer et à être aimer, le même besoin de souffrir, le même refus du bonheur – l’épisode One man’s trash est en ce sens édifiant. On sait ce qui arrive au garçon qui criait au loup. Au bout d’un moment, la populace l’a laissé se faire bouffer. Je ne peux rien dire ici des derniers épisodes de cette saison 2 (ce serait spoiler), qui retrouvent de très bonnes choses. La dernière scène est touchante, et confirme l’amusant paradoxe de cette saison : ce sont les hommes qui y sont les plus intéressants.

Portés par d’excellents acteurs (Adam Driver va casser la baraque dans les années à venir, c’est tout vu), Adam et Ray prennent de plus en plus de place, et deviennent attachants, sans perdre leurs défauts (au moins pour un téléspectateur masculin, je ne me permettrais pas de parler au nom des téléspectatrices). Ils sont, à mon sens, bien moins crispants que les personnages féminins. On savait Lena Dunham vache avec ses filles comme avec ses garçons, mais l’évolution des héroïnes dans cette saison 2 fait quasiment de Girls une série misogyne (ok, j’exagère, mais en gros, Hannah est malade, Shosh complètement immature et Marnie superficielle). Avec un peu de recul, Ray semble être le seul personnage à qui on ne peut pas reprocher grand-chose (sauf à souhaiter que tout le monde ait de « l’ambition. »)

Bref, je le répète, je trouve toujours que Girls est une série de qualité, qu’elle dit mille choses fascinantes, qu’elle réussit de superbes scènes – celle du quai de gare entre Shosh et Ray est sublime – mais cette saison 2 m’a par instants énervé, voire ennuyé. Est-ce parce qu’elle est géniale que Lena Dunham est agaçante ? Suis-je arrivé au point de saturation de la Dunhamania ? Mon irritation est-elle, en creux, la preuve ultime du brio de la jeune femme, qui cherche justement à provoquer les téléspectateurs ? Toutes ces questions veulent sans doute dire que Girls me plait encore, et que je continuerai à la regarder dans un an. Mais il faudrait voir à ce que Dunham soigne la destinée de ses copines, et regarde un peu moins son nombril. Une fille qui parle toute seule, si géniale soit-elle, peut finir par gonfler.

Image de Une : Girls (HBO/OCS)

3 commentaires pour “Girls, attention à la crispation…”

  1. J’ai ressenti la même chose que toi devant cette saison 2 et te lire m’a aidée à mettre le doigt sur ce qui m’avait agacée (au-delà du côté ego trip). Je suis d’accord qu’on peut aimer une série sans s’attacher aux personnages, mais il me semble que dans Boss l’ambition narrative déborde le simple cadre des personnages, qui ne sont finalement que des éléments (essentiels pour certain) d’une œuvre plus ample. Dans Girls, ce sont les personnages qui constituent le cœur du propos. Dès lors, c’est plus difficile de se raccrocher à autre chose… Heureusement, d’ailleurs, que les deux derniers épisodes ouvrent sur autre chose (au point que j’en suis venue à me demander si ce n’est pas ce que Lena Dunham avait cherché à montrer avec cette deuxième saison — quelle issue, aussi inquiétante soit-elle, trouver quand on tourne en rond, dans sa vie, dans ses relations, dans son propos).
    Bref, je vais me jeter sur Enlightened du coup, que j’ai laissé passer, bizarrement…

  2. Les trois dernier épisodes sont vraiment bien, dommage que les 7 premier soit si ennuyant…

    SPOILER

    Je pense que le fait que Hannah soit ouvertement “malade” aide a la supporter…

  3. Je partage ton analyse sur cette saison 2, mais j’ai l’impression que si Dunham ne réagit aps vite, elle va s’enfermer dans une caricature d’elle-même, et Girls une série caricaturale.

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