On a revu le pilote du Prince de Bel Air

Charlotte Blum et moi-même avons décidé de remonter le temps au moins une fois par mois, et de revoir les pilotes des séries qui ont marquées, plus ou moins sérieusement, notre sériephilie. Des pilotes dont on ne se souvient généralement pas, parce qu’on étaient trop jeunes, ou parce qu’on ne les a pas vu, découvrant la série durant sa diffusion hexagonale. Après Beverly Hills et 24 (celui-là, on l’avait vu à l’époque, hein), place à une des séries qui a joué un rôle majeur dans ma jeunesse télévisuelle, peut-être la première sitcom que j’ai suivie régulièrement : Le Prince de Bel Air. Allez McFly, c’est parti pour le 10 septembre 1990…

« Now, this is the story… » 23 ans après, on le connaît encore par cœur, le générique du Fresh Prince. Dans le pilote, il est en version longue. Normal, il raconte en gros tout ce qu’il y a à savoir sur le background de Will. Malin comme tout. Le mec vient de Phily, de la zone, sa mère a eu peur pour lui, le voilà à L.A chez son oncle et sa tante. « Looked at my kingdom, I was finally there, to sit on my throne as the Prince of Bel Air », sifflote Charlotte. « Combien d’ados se sont pris pour des rappeurs quand la série était diffusée dans “Giga” ? » Je me sens vieux, mais en même temps Will est sapé exactement comme les mecs qui claquent leur salaire chez Foot Lockers : avec des baskets qui pèsent 30 kilos à chaque pied, la languette bien en évidence, et avec une casquette haut sur la tête, en mode Tour de France.

Le générique s’enchaine directement sur l’épisode – ça, je m’en souvenais – et le premier personnage, hormis Will, qui apparaît, c’est Geoffrey (Joseph Marcel, son interprète, a visiblement joué dans Brothers & Sisters, mais rien sur son CV depuis 2008). « Fresh Prince : l’ancêtre pop de Downton Abbey », se marre Charlotte, mais y’a un peu de ça, finalement, à travers ce personnage. Moi, ce qui me marque d’entrée de jeu, c’est qu’on est en V.O. Le Prince de Bel Air, c’était de la VF, pour moi (plutôt bonne, d’ailleurs). Ça fait bizarre d’entendre l’accent british de Jay… Et Charlotte de poursuivre, avec son habituel sens de la fashion, « Will Smith a beau avoir un look improbable et porter des couleurs fluo qui font mal aux yeux, il a quand même du goût puisque son short, son tee-shirt et ses CHAUSSETTES sont assortis. Il porte magnifiquement l’appareil photo en version à main. Il le garde pendant la moitié de l’épisode, comme un touriste. Il est comme au zoo. »

On est dans une maison différente de celle dont je me souvenais. La déco est encore plus chargée, et la cuisine n’est pas ouverte sur le salon. D’ailleurs, on ne mettra pas les pieds dans la cuisine de tout ce pilote – un truc de fou, quand on pense à la place centrale qu’a la cuisine dans le foyer américain… mais peut-être aussi un signe formidablement subtil d’où on se trouve : « au zoo », comme disait Charlotte. Ici, la cuisine est le domaine des domestiques. Elle reste hors-champ (pour l’instant). C’est le ressort principal du Prince de Bel Air, du moins à ses débuts : la confrontation entre Will, le Noir pauvre, fier de ses racines, et la famille Banks, Noirs riches, républicains (le voisin s’appelle carrément Ronald Reagan) qu’il accuse dès ce premier épisode d’avoir oublié d’où ils viennent. « Dès le début de l’épisode, on sent un gros choc des cultures, analyse Charlotte. Ashley est traumatisée parce que le chauffage de la piscine est cassé, sa grande sœur veut des thunes pour s’acheter un nouveau chapeau, genre question de vie ou de mort. »

Avant de reparler de ce sujet sérieux, un constat : Will Smith est super bon. Un acteur né, d’un naturel absolu, souple, impeccable dans le rythme et la gestuelle. Mieux, Le Prince de Bel Air a super bien vieilli. Passé le décors, moche et chargé au possible, ça pourrait presque être repris comme tel. D’ailleurs, Charlotte remarque : « En découvrant la maison, Will annonce : “Wow, c’est mieux que dans “La croisière s’amuse” ici !”. Dis donc, c’est méta ou pas ? On parle aussi de Charlie Sheen et Emilio Estevez (bon, Estevez n’est plus trop frais, mais son frérot est toujours au top). Plus tard, Will rebaptise les collègues de son oncle Earth, Wind and Fire. » On y parle aussi de réchauffement climatique, et une vieille dame découvre que c’est un problème grave… il y a 23 ans.

La mise en place des personnages et des « tensions » sur lesquelles repose la série est soignée. Évidemment, c’est un peu exagéré, mais on est dans une sitcom. Rapidement, c’est la relation entre Will et l’Oncle Phil d’une part, et celle entre Will et Geoffrey d’autre part, qui sert les questions « sérieuses. » Carlton et Hilary sont surtout là pour l’humour (ils sont des caricatures de gosses pourris gâtés, et Carlton est tellement « blanchi » qu’il est « impossible à confondre avec un « brother » », s’amuse Will). La musique joue un rôle clef, remarque joliment Charlotte : « elle est rythmée, enlevée et cool quand on suit Will, classique et ennuyeuse (La lettre à Elise) quand on est avec sa famille. Vers la fin de l’épisode, c’est en jouant ce morceau au piano que Will est accepté par son oncle. Passage d’un monde à l’autre. De même, on sent qu’en début d’épisode, il se sent plus proche de Geoffrey, alors qu’il entre dans le moule familial en lui donnant des ordres quelques heures plus tard. Manque de bol pour lui : il est 21h et le valet a fini sa journée. »

Toutes les blagues ne sont pas à s’étrangler de rire, mais on sourit tout le temps, les personnages sont rapidement attachants – Ashley est là pour ça, et créé une relation de complicité avec Will dès les premiers instants. On s’attendait à avoir du grain à moudre pour rigoler, mais ce pilote du Prince de Bel Air est en fait vachement bien. Mieux, il se ménage des instants extrêmement sérieux, qui posent le fond de la série, celui d’une réflexion sur la place des Noirs dans la société américaine et à la télévision, dans un genre, la « black sitcom », où on les voit souvent confortablement installés, loin de la misère dans laquelle vivait Will à Philadelphie. « L’épisode se termine dans la grande tradition de la sitcom américaine, par une leçon de moral de l’oncle Phil à son neveu, note Charlotte. Chacun défend son territoire, Will reprochant à son oncle de renier ses racines (“Je te rappelle d’où tu viens”), Phil lui balançant qu’il a assisté à un discours de Malcom X et sait plus que jamais d’où il vient. C’est à qui sera le plus authentique. » Will et Phil sont tous les deux fiers d’être Afro Américain, mais l’expriment différemment.

Le Prince de Bel Air ne sera pas toujours aussi sociétale, mais elle restera drôle. A chaque rediffusion (on en voit de moins en moins, c’est triste. En ce moment, on peut la voir sur AB1), je ris toujours autant – tiens, au fait, pas de Jazz dans ce pilote. Seules les saisons 1 à 4 sur 6 ont été éditées en Zone 2 sauf erreur de ma part. « Pendant tout l’épisode, nous avons ri à voix haute, ce qui ne m’arrive quasiment JAMAIS. Je n’ai qu’une seule envie : me retaper l’intégrale », conclut Charlotte. Pas mieux.

3 commentaires pour “On a revu le pilote du Prince de Bel Air”

  1. Ah mais vous m’avez tellement donné envie de le regarder c’est hallucinant ! N’empeche : beau retour vers le passé !

  2. Une des séries qui a conditionné mon humour d’aujourd’hui et celui de toute une génération. C’est un modèle de série intelligente, avec un humour très bien construit et un arrière-plan sur la condition de la population noire aux US dans les années 90. Cette série est magnifique… et elle a très bien vieilli. Le mélange d’humour et de critique sociale me fait penser à du David Simon (si si j’ose ! Et oui David Simon est un rigolo, et ses séries comportent toutes des traits d’humour 🙂 )

    A part ça je continue à dire “Yo jazz!!!” puis “pssschhhh” 4 fois par semaine.

  3. et moi, je dis aussi “Yo, Jay !!!” quand le téléphone sonne et que personne ne se bouge le cul pour répondre.

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