Community dans la darkest timeline

Entre Community et moi, ça a été le coup de foudre. Depuis sa première saison, j’ai suivi au plus près la comédie d’NBC, crié pour qu’on l’achète en France, acheté des t-shirts, posé sur ma cheminé une peluche du Human Being, la mascotte de Greendale, visité le tournage, frôlé la délicate limite entre fan et journaliste. Une position qui me permet de me sentir doublement frappé par la décision de Sony (le producteur de la série) et NBC (son diffuseur) de virer Dan Harmon, créateur, showrunner et âme de la série, quelques jours à peine après l’annonce d’une quatrième saison raccourcie, qui sera sans doute la dernière. Frappé en tant que critique, la qualité de la série étant très largement menacée, et frappé en tant que fan, parce que Community est une série qui, peut-être plus que nulle autre aujourd’hui, parle à ceux qui la suivent, la comprennent, partagent son esprit de geek un peu cinglé.

Dan Harmon est un génie. Un type doué d’une vision unique, d’une voix, d’une plume comme il y en a peu à l’heure actuelle à la télévision américaine (cc Larry David, Louie C.K, David Simon, Lena Dunham). Le problème, avec les génies, c’est qu’ils ont souvent un sale caractère, une grande gueule, et une éthique du travail pas toujours impeccable. Sur le câble, un bourrin génial comme Kurt Sutter a réussi à sauver sa peau, jusqu’ici, même en insultant joyeusement ses détracteurs. Mais sur une grande chaîne, peut-on se payer le luxe de ne pas respecter budgets et deadlines (ce qu’Harmon aurait eu du mal à faire) ? Sans doute pas. Ce sera la parfaite excuse pour Sony (qui a pris la décision de ne pas renouveler son contrat) et pour NBC (qui a fermé les yeux). NBC, pas plus que ses concurrentes, n’est une association caritative. Harmon les embêtait (pour être poli), les audiences de Community étaient basses – entre 4 et 5 millions de téléspectateurs par semaine. Peu de showrunners survivraient à ça.

Le problème est ailleurs. Community n’a pas été annulée. Elle vient de décrocher une quatrième saison de 13 épisodes. Un paradoxe ? Non, la preuve sublime d’une victoire définitive des intérêts financiers sur la qualité d’une œuvre. Je m’explique. Avec ces 13 épisodes supplémentaires, Community va atteindre la barre des 80 épisodes, aujourd’hui suffisante pour la « syndication », cette rediffusion sur les chaînes locales qui assure la rentabilité d’un programme. Ces 13 épisodes ne sont donc pas là pour offrir une fin satisfaisante aux fans, mais pour faire taire pour de bon, et efficacement, une série hors de contrôle, épine dans le pied d’NBC et de Sony depuis sa première saison.

Ces derniers s’étaient sans doute rendu compte qu’Harmon était génial, et il faut leur rendre hommage pour lui avoir ouvert les bras et lancé Community. Malheureusement, c’était sans savoir que leurs orientations ne seraient pas franchement suivies. Sony et NBC ne voulaient pas que Community devienne un délire geek, « méta » comme pas deux et difficilement compréhensible pour le grand public. Ils voulaient des histoires plus simples, des structures narratives plus claires, des blagues moins subtiles : bref, une série qui puisse faire mieux que 5 millions de geeks par semaine. Harmon, qui comme tous les génies a un petit côté cause-toujours-je-t’emm…, n’en a fait qu’à sa tête. Et Community est devenu cet ovni télé vénéré par les fans et ignoré par le reste du monde.

Et c’est justement pour ça que la décision de Sony et NBC de se débarrasser d’Harmon est une immense sottise (pour rester poli, encore une fois). Mettre fin à la série eût été plus censé. Les nouveaux showrunners, Moses Port et David Guarascio (créateurs du correct mais sans plus Aliens in America), sont sans doute de bons professionnels, mais ils ne parviendront jamais à poursuivre l’œuvre d’Harmon en l’état. Ils n’auront jamais son originalité, sa folie, son ton unique. Ce n’est de toute façon certainement pas ce que Sony et NBC veulent. Ils veulent changer l’ADN de Community au bout de 71 épisodes… Une idée stupide mathématiquement parlant, mais encore plus inconsidérée si l’on sait un peu qui regarde la série : des fans, des purs, des durs, qui ont supporté un hiatus cette année, et sont toujours revenus. Par fidélité. Ceux-là sont en colère. Il se pourrait bien qu’ils abandonnent la série pour se faire entendre.

Pour arranger le sort de la maudite Community, elle sera désormais diffusée dans le tristement fameux « friday night death slot », le vendredi soir, quand personne – ou presque – ne regarde la télé. Autant dire, dans un mouroir, à peine ventilée par la plume de ses nouveaux patrons, qui vont assurément s’en prendre plein les dents. Bien sûr, il y aura toujours Abed, Troy et les autres, bien sûr Greendale sera toujours là, mais ses couloirs vont résonner différemment. Au mieux, ce ne sera qu’une copie qui, même si elle est correcte, ne satisfera pas les fans. Au pire, ce sera une insulte faite à ces derniers, et jouée sans conviction par des acteurs qui ont presque tous déclaré leur soutien à Harmon sur Twitter. Quoi qu’il en soit, Sony (qui pourtant produit aussi les géniales Breaking Bad et Justified) et NBC (qui pourtant n’a pas peur des comédies originales, de 30 Rock à Park & Recreation) viennent de créer, en une semaine, un zombie de Community. Par amour pour leurs aventures passées, je souhaite de tout cœur que la saison 4 des 7 de Greendale soit bonne, mais je n’y crois pas un instant. Nous sommes définitivement dans la darkest timeline…

Image de Une : Dan Harmon (en bas à gauche) et l’équipe de Community (Sony/NBC)

6 commentaires pour “Community dans la darkest timeline”

  1. Ce qui me fait le plus peur c’est que la saison 4 de 13 épisodes, si elle devient plus “accessible” au grand public, atteigne des audiences satisfaisantes et obtienne une commande de 10 épisodes en plus et voir même une nouvelle saison… Après tout, on voit que maintenant ils sont capables de tout !

    Et là où on devrait être content c’est juste horrible de se dire que la série pourrait avoir autant de nouveaux épisodes ne correspondant pas à son réel ADN… Ça sonnerait horriblement faux !

    Evidemment il ne faut pas tirer des conclusions trop vite, mais quand on sait qu’il y a un mec qui vient de la série Happy Endings, série ultra plate et sans aucune originalité, j’ai vraiment peur…

    Prions ! Prions !

    A noter que sur ce coup je ne comprends vraiment pas ce qu’il s’est passé dans la tête des dirigeants… Comment tu peux renouveler une série si peu suivie pour lui enlever sa tête pensante et son âme ?! A quel moment ils se sont dit que c’était une bonne idée ? Que les 5 “petits” millions de fans allaient adorer ? Que les autres téléspectateurs allaient se dire “Cool, après 3 ans sans regarder je vais maintenant m’y mettre car ils ont changé de showrunner” ?!

    J’ai mal à ma “télé”…

  2. Si ça peut vous consoler (un peu), votre article me donne (très) envie de regarder;-)!
    Merci

  3. […] l’analyse pertinente de Têtes de séries, le blog TV-shows de Slate, Sony aurait fait ce choix pour éviter d’avoir avec […]

  4. Dan Harmon est un immense génie. Chaque épisode de Community m’a tellement impressionnée. Ceux sur le paintball, le fort en coussins et couvertures, celui sur le jeu vidéo créé par le père de Pierce et j’en passe… Série incroyable. Je crains également qu’ils en fassent un truc bidon. Il y a un niveau tellement fou pour l’instant, que ça ferait mal que ça se mette à être de l’humour banal.

  5. Sans Harmon Community va devenir, je le crains, une sitcom normale!! Le coup du jeux vidéo ou encore de l’épisode avec les différentes possibilités sont des oeuvres télévisuelles.
    Je suis curieux de voir comment çà va se terminer mais pour la dernière saison, Sony aurait pu laisser Harmon terminer son boulot

  6. Je me pose beaucoup de question su moi-même en ce moment. J’ai regardé Community, j’ai relativement apprécié la saison 1 mais dés le neuvième épisode de la saison 2, j’ai lâché. Je luttais, étant sûr que je ratais quelque chose, que je ne comprenais pas la magie de cette série et tout. Et puis non, je n’arrivais pas à rire, sauf lorsqu’Abed prenait la parole mais sinon non, j’étais devenu complètement indifférent, je m’ennuyais, les épisodes, pour moi et je dis bien pour moi, n’avaient ni queue ni tête (c’est probablement ça la force de Community, c’est hors du commun dans son genre et en fin de compte surement fort) et ça manquait de simplicité même dans l’humour. Je suis d’accord avec Chevy Chase, son personnage est nul. On a droit à chaque épisode à des remarques sur le fait qu’il soit vieux et dégénéré. On a droit à chaque épisode à des remarques, pour le rire, mais qui m’ont saoulé sur le physique d’Annie et notamment ses seins. J’ai bien conscience que le décalage, l’auto dérision, la parodie etc, sont des marques de fabriques de l’humour mais ça ne passait plus chez moi.
    Soyez en sûr, je ne suis pas fier de moi en écrivant ceci, j’aurais aimé être de votre côté, pourvoir, limite, être aussi dithyrambique que les critiques que je lis et adresser toutes mes éloges à Dan Harmon. Ce ne sera pas mon cas.

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