Promenons-nous dans les bois

La pluie s’est arrêtée. Lundi matin, quand le ciel de Portland s’est révélé à travers les stores de ma chambre d’hôtel, il était bleu. Par endroits. Suffisamment bleu pour pousser le journaliste fourbu hors de sa tanière, pour un tour de la ville, avant de se rendre sur le tournage pour lequel il a traversé le globe (à peu de choses près), celui de Grimm, actuellement sur NBC, en avril sur SyFy Universal chez nous.

Les gens disent que c’est joli, Portland. Wikipedia aussi. A vrai dire, de ce que j’ai pu en voir pour le moment, “joli” est un peu exagéré. C’est une ville américaine de province (500.000 habitants, la 29e du pays), calme, avec de beaux parcs et une chouette batterie de restaurants. Surtout, les gens y sont avenants, vous disent bonjour dans la rue (au début, ça fait bizarre) et ont l’air zen. Ils mangent bio, prennent le tram et distillent leur propre gnôle. Des types bien quoi. Ça ne fait pas de leur ville un paradis sur Terre au premier coup d’œil : les buidlings sont toujours buildingués, les odeurs de grailles sont bien là, et on trouve quand même des gros pick-ups bien polluants. Il faudrait aller voir dans les bois et les collines qui entourent la ville pour se faire une idée plus précise. Une chance : c’est là que se déroule une bonne partie du tournage de Grimm.

Pas de pot, aujourd’hui, on tourne en intérieur. A dix minutes de voiture du centre ville, dans une zone industrielle relativement déserte, se plantent deux hangars quelconque, encerclés des traditionnelles caravanes (quand on veut faire cool, on dit “trailers”) techniques, maquillage, cantine, etc. Le premier truc qu’on aperçoit, c’est un écriteau sur un camion : “We use biodiesel.” Le type qui a écrit ça n’était pas poète. J’aurais tenté “Grimm is Green” ou un truc comme ça. Bref, comme dirait l’autre, je suis allé sur le tournage de Grimm.

Dans le premier des deux hangars, cinq décors : la maison de Nick Burkhardt (David Giuntoli, le héros de la série, flic descendant des frères Grimm qui traque les vilaines bestioles planquées sous la peau de malhonnêtes citoyens), celle de Hank (Russell Horsnby, son coéquipier qui n’a pas encore compris que notre monde est truffé de bestioles), celle du sergent Wu (Reggie Lee, un autre collègue), celle de Monroe (Silas Weir Mitchell, un grand méchant loup qui tâche de ne plus croquer personne et aide Nick), et enfin la caravane familiale de Nick, truffée d’armes et de bouquins ancestraux. Aujourd’hui, on tourne deux scènes : une scène de douche, pour laquelle on se sera pas invités (ah bon ?) et le transport jusqu’à son canapé d’un sergent Wu méchamment amoché après un mauvais sort. Pour des raisons de “communication” vous ne verrez aucune image de ces scènes ici. Il faudra regarder l’épisode 15 de la série, en cours de tournage.

Avant de s’installer avec les comédiens, on nous fait faire le tour du propriétaire. Une scène de rêve est en préparation, d’où une surabondance de plantes tordues et une pénombre généralisée sur le plateau. Les maisons en cartons sont grandes (“plus grandes que nécessaires, pour pouvoir tourner dedans et compenser la réduction des espaces par la caméra“, nous explique notre guide). Tout a été recouvert de bâches, ce qui ne facilite pas la reconnaissance, mais pour le journaliste curieux, qui a pu voir une demi-douzaine d’épisodes, les lieux sont identifiables.  Comme toujours sur un tournage, il ne se passe pas grand chose. Des techniciens se baladent avec des câbles, on change des lumières, on chuchote, on crie, on fait ce que font tous les gens qui bossent sur des tournages : on se prépare et on attend.

En attendant, justement, de voir quelque chose, on s’installe pour commencer les interviews. C’est Russell Hornsby, imposant, qui se pose le premier sur le canapé de la maison de Nick, entre le câbles et les bâches. Russell a l’air content de nous voir. Il est de bonne humeur, il repart sur Los Angeles pour quelques jours. Russell est un marrant. Son personne de conte favori, c’est Rumpelstiltskin, le nain marchandeur. “Je viens d’Oakland, en Californie, et là-bas il aurait définitivement un style de macro“, commence-t-il. Grimm, créée par des anciens de Buffy, respecte-t-elle l’héritage ? “Oui, y’a un petit côté Nick, the creature slayer.” Et Once Upon a Time, la concurrente d’ABC, il en pense quoi ? “C’est une série pour gosses, un truc de Disney quoi.” Pan, dans les dents.

Pour la suite des interviews, on nous déplace dans le second hangar, un peu plus loin, en face du centre de collecte des évidences de la police de Portland (la vraie). Dans ce second “studio”, deux décors, le commissariat, immense open space, et la morgue, plus vraie que nature. C’est Silas Weir Mitchell, bien connu pour ses rôles de psychopathes, notamment dans Prison Break, qui prend la suite. Il mange un sandwich au thon. Comme ça, ça fait anecdote inutile, mais ça sent le thon. Et il le mange. Bref. Silas est sérieux (passé le sandwich) et nous analyse que ce que fait Grimm, et les contes en général, c’est “expliquer l’humain en extériorisant l’intériorité de l’humain.” Joliment dit. Silas qui ajoute que c’est une série qui “prend les attentes du téléspectateur à contre-pied“, comme lui s’amuse à jouer un grand méchant loup (donc encore un méchant flippant) qui s’avère être un chic type.

Silas et son sandwich laissent la place à la charmante Bitsie Tulloch, qui joue la copine de Nick, une véto. Bitsie est diplômée d’Harvard et a joué dans The Artist. Donc on parle de ses études et de The Artist. Et Grimm ? “Quand j’ai décroché une audition, j’ai cru que la série serait une sorte de Buffy, du coup j’ai fait de la muscu, je me suis entraînée comme une bête. J’étais prête à tout casser. Et en fait je joue une véto…” Une véto, nous glisse-t-elle avec un sourire très communicant, qui pourrait bien s’avérer plus “bad ass” que l’on croit.

Reggie Lee, lui, aime la France, parce que “la France aime Prison Break et a toujours été fidèle à la série” (au delà de la première saison, c’est un peu une insulte) explique celui qui jouait l’agent Kim dans la série de taulards. Parce qu’on lui fait remarquer que jouer un flic dans la 3e ville la plus sûre des Etats-Unis (selon Forbes), ça craint un peu, il joue les bad boys. “J’ai été embebed avec une équipe de flics de Portland, et c’est flippant : il y a des gangs, de la drogue, etc. ” Et les gens vous disent bonjour dans la rue, ce qui, vu par un Parisien, est criminel.

Enfin, s’avance David Giuntoli, le héros de Grimm, né pour jouer Superman dans une prochaine déclinaison ciné du superhéros en slip (pour le moment, comme me le fait remarquer mon collègue Benjamin R, il ne pourrait faire que Superboy.) Un garçon cool et intelligent, comme le reste de l’équipe, ce qui est assez étonnant — en général, les neurones sont concentrés chez les scénaristes et les producteurs. “Je vais lâcher une bombe, attaque-t-il pour expliquer notre fascination pour les contes : Le Père Noël n’existe pas.” Ehehehe. “Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur, poursuit-il. Ça fait de moi un lâche.” Pas classe pour un héros, mais on prend note. Une dernière chose pour la route ? “Tout le monde me connait à Portland, les gens se jettent sur moi dans la rue.” Ça ne vaut pas Hollywood, mais vedette locale à Portland, c’est déjà pas mal.

Interviews terminées, nous revoilà dans le premier hangar. Dehors, il ne pleut toujours pas, mais ça n’a plus vraiment d’importance, car le jour se couche. On attend d’enfin pouvoir voir une scène. Les acteurs passent devant nous, s’arrêtent, s’inquiètent de notre confort. “C’est un truc de dingue, les gens sont tellement sympas ici, note l’attachée de presse américaine. A L.A on ne nous tiendrait même pas la porte.” C’est vrai que l’opération séduction est assez réussie. Tout le monde est cool, détendu. Ça ne suffira pas à faire de Grimm un chef d’œuvre, mais ça nous conforte dans notre jugement premier : c’est un honnête divertissement, qui peine à utiliser le potentiel de son pitch, mais qui, on ne sait jamais, pourrait gagner en qualité (cf Haven).

Bon, au fait, on était venu pour voir un tournage. On verra une petite scène, avant de plier bagages. Planqué derrière la caméra, en boule dans un coin de la pièce, on appréciera les indications du réal — les showrunners restent à Los Angeles. Bonne ambiance, studieuse, décontractée. Soit tout ça a été monté de toute pièce pour nous faire écrire un papier enthousiaste, soit il fait vraiment bon vivre à Portland. Après un jour de repos ce mardi, direction Vancouver, Steven Seagal et Sarah Shahi…

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