Des hommes (presque) politiques

Demain soir, France 2 lance Les Hommes de l’ombre, une série annoncée de longue date, qu’on espérait plus ou moins secrètement pouvoir appeler “politique”, pour enfin se débarrasser de cette malédiction française qui voudrait qu’on ne puisse pas parler de la chose publique dans nos séries — au mieux, dans quelques films et téléfilms. Les Hommes de l’ombre suit une femme de centre droit, Anne Visage (Nathalie Baye), lancée dans une campagne présidentielle éclair suite au décès du Chef de l’État dans un attentat. Les “hommes de l’ombre” du titre sont son responsable de la communication, Simon Kapita (Bruno Wolkowitch) et le “spin-doctor” de son adversaire, Ludovic Demeuze (Grégory Fitoussi). Des hommes politiques ? Oui et non…

En limitant le débat d’idées à quelques références historiques et quelques positions rapidement prises, Les Hommes de l’ombre esquive la question purement politique. Son propos, c’est de mettre en scène le jeu du pouvoir, les petits arrangements et les gros coups bas, les mensonges et les apparences. Dan Franck, co-créateur et maître d’œuvre de la série, s’est fait aider par de vrais gens du métier, et on sent dans le détail que le monde de la communication politique doit ressembler à ça : apprendre à positionner son corps, à parler sans ses mains, à lire un prompteur… et à descendre son adversaire. Disons-le, pour le bien de la fiction, Visage et son opposant, premier ministre antipathique, sont nuls en com. On les voit donc apprendre, ce qui est un peu didactique.

Reconnaissons aux Hommes de l’ombre l’originalité et la franchise de son parti-pris. Il est avant tout question ici de communication, et la série a le courage de montrer un monde politique qui, s’il est assez caricatural, est loin d’être idéalisé. La place grandissante prise par les “spin doctors” ces dernières années est une réalité, que la série met joliment en scène, quitte à donner un peu trop de place à ces messieurs, véritables démiurges politiques capables de faire et défaire une campagne. Comme souvent dans Boss (série nettement supérieure aux Hommes de l’ombre, et bien plus jusqu’au-boutiste, mais qui touche en partie au même sujet), la com peut être un ressort dramatique efficace.

Pour être une fiction rythmée, agréable à suivre, Les Hommes de l’ombre sacrifie une partie de sa crédibilité à la multiplication de pistes narratives et de rebondissements. Il se cache un lourd secret derrière l’attentat qui a coûté la vie au Président et la femme de Kapita, qui est journaliste, compte bien le révéler; Kapita dont le bras droit, une belle jeune femme, couche avec Demeuze, l’adversaire… Grâce à l’excuse de la campagne accélérée, la série simplifie les choses, tombe dans un certain manichéisme (en gros, il y a les gentils et les méchants, même si aucun des deux camps n’est tout blanc) et mélange pêle-mêle les références aux campagnes passées, de 1981 (le fantôme de Mitterrand apparait à plusieurs reprises) à 2007 — chacun pourra jouer au petit jeu de “à qui ressemble ce personnage dans le gouvernement de Sarkozy ?”

Bref, revenons-en à nos moutons : Les Hommes de l’ombre est-elle la série politique que nous attendions ? Non. Sans demander une version française de A la Maison Blanche, on peut espérer qu’un jour le PAF saura pondre une série où on débattra de manière complexe de sujets de société sensibles — les Danois y sont arrivés avec Borgen, bientôt sur Arte. Les Hommes de l’ombre n’est donc pas une série politique au sens noble du mot. Elle est en revanche une tentative louable de mettre en scène de façon ludique le monde de la politique. Le résultat est trop simplement divertissant, trop “efficace” — les téléspectateurs ne s’en plaindront sans doute pas — et pas assez complexe, pas assez riche dans ses dialogues non plus. J’avoue avoir vu les six épisodes de cette première saison sans déplaisir, emporté par la narration et le jeu satisfaisant de Bruno Wolkowitch et Grégory Fitoussi — celui de Nathalie Baye, hésitant, beaucoup moins. En thriller, même imparfait, j’ai aimé. En série politique, moins. Ils font un bel effort, mènent une fiction dynamique, mais Les Hommes de l’ombre ne sont pas la grande série politique tant attendue…

Les Hommes de l’ombre est diffusée le mercredi à 20h35 sur France 2.

Image de Une : Les Hommes de l’ombre, France 2.

3 commentaires pour “Des hommes (presque) politiques”

  1. […] Simon Kapita (Bruno Wolkowitch) et Ludovic Desmeuze (Grégory Fitoussi), proche du Premier …Des hommes (presque) politiques Slate.fr (Blog)"Les hommes de l'ombre", série politique en pleine campagne … […]

  2. Il transparaît à peine de cette critique, qu’en fait, vous avez trouvé cette série caricaturale et peu vraisemblable et mal dialoguée, donc peu intéressante, comme la majorité (la totalité ?) des séries françaises, mais par sympathie pour l’équipe que vous avez rencontré dans votre (excellente) émission du samedi sur le Mouv’, vous tempérez vos propos…

  3. @Romain : non, sincèrement, j’ai passé un bon moment devant la série. J’espérais juste plus sur le plan débat d’idées, et c’est ce que je veux dire ici. Mais c’est une bonne série, un bon divertissement je trouve, malgré ses défauts. Avec un regard critique, je vous conseille d’y jeter un coup d’oeil.

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