La télé française ressemble de plus en plus à la télé américaine. TF1 diffuse jusque 5 prime-times par semaine avec des séries achetées outre-Atlantique. Toutes les chaînes s’y sont mises, et remplissent leurs grilles de nouveautés désormais monnayées en amont – on sait déjà que TF1 aura Alcatraz et Canal+ Terra Nova. Pourtant, certaines perles, essentiellement des comédies, sont étrangement ignorées par le paf. Community, pourtant une des toutes meilleures séries du moment aux Etats-Unis, fait partie de ces ignorées. Ça ne lui empêche pas d’être suivie en France par une solide base de fans. Parce que je fais partie de ceux qui aimeraient bien la voir débarquer sur nos écrans un de ces jours, et parce que cette série est un fascinant objet pop et geek, je suis allé faire un petit tour sur son tournage, à Los Angeles, début août. Voici ce que j’ai pu en ramener, ainsi que quelques clichés. Le 22 septembre, date du lancement de la saison 3 sur NBC, je posterai en sons l’intégralité des interviews.
Vendredi 5 août, midi. Les attachées de presse de Sony Pictures Television, qui produit Community, m’ont donné rendez-vous devant le studio 32 de la Paramount, où se tourne la série – et où, pour l’anecdote, c’était aussi tourné Citizen Kane. Il fait beau, il fait chaud, normal, nous sommes à Los Angeles. A deux pas de là, dans d’autres studios de la Paramount, les équipes de Hung et Glee sont aussi au boulot. Dans l’immense enfilade de hangars, je croise des techniciens pressés sur leurs petites voitures blanches, des types en costards déambulant en vélo, toute une faune pressée d’aller avaler un burger à la cantine, installée sur une pelouse près de l’entrée, ou de se remettre au travail
La lourde porte coulissante du studio 32 (« Stage 32 », en VO) est ouverte. Juste à côté, une autre entrée, marquée « Library. » La bibliothèque du Greendale Community College. Je préfère rentrer par la porte coulissante. J’atterri dans un couloir de Greendale encombré de câbles, méconnaissable. Mais les murs ne mentent pas : des affiches à la gloire de l’équipe de basket du “college”, des petites annonces, et une pub avec Jeff lançant, l’air agacé : « Avant, j’étais avocat. Aujourd’hui, je suis étudiant à Greendale. » Je ne me suis pas trompé de studio. J’avance. Personne ne me demande qui je suis, alors je pénètre dans le réfectoire, où les techniciens, aidés par des doublures ressemblant vaguement aux personnages, font la « mise en place », préparent la scène du jour. Une scène que je ne pourrai malheureusement pas vous décrire sans spoiler un épisode de la saison 3 – et sans me faire taper sur les doigts par Sony.
Tout y est, mais en étonnement plus petit qu’à la télé : le self, les tables, la grande verrière, et juste derrière le coin avec le canapé et les distributeurs automatiques. Partout, des « Go Human Beings » – le nom des équipes sportives du college. Derrières les « combos », ces moniteurs qui permettent de suivre la scène en cours de réalisation, les fauteuils des réalisateurs et des producteurs sont près, marqués « Community » dans le dos. Ceux des acteurs sont aussi là, un peu entassés, et vides pour le moment. Je ressors, et je trouve les attachées de presse. La visite peut enfin commencer. On m’explique que je pourrais suivre, un peu plus tard, le tournage de la scène du jour – mais sans en parler, donc – et croiser quelques acteurs et une scénariste. Et on m’oriente vers l’entrée de la bibliothèque.
La bibliothèque, donc – et ses étalages de véritables bouquins, et non pas de faux livres en carton – puis la salle d’étude, la fameuse (en photo en ouverture de ce reportage), les couloirs, le bureau du « Dean », une nouvelle salle dont je ne peux parler ici (mais bon, c’est déjà dire qu’il y a une nouvelle salle), la balade se passe de commentaires, et se résume très bien en photos, que voici :
Un couloir du Greendale Community College.
Le coin canapés en plein tournage, avec les fauteuils des comédiens.
Direction le bureau des producteurs, à 100 mètres de là, dans un bâtiment de trois étages. Je passe devant la porte du bureau de Dan Harmon, le créateur de la série (où s’affiche une photo du monsieur prétendument nu — sans doute en caleçon — derrière sa table) pour rencontrer Megan Ganz, scénariste sur la série depuis la seconde saison, membre de la « writers room » à plein temps – et donc un des cerveaux de Community. Je lui demande de m’en dire plus sur la saison 3, en cours de tournage (ce jour-là, on shoote l’épisode 3). « Cette saison va être plus solidement ancrée dans la vie des personnages, explique-t-elle. Nous avons passé deux années à délirer avec eux, il faut maintenant faire face à une certaine réalité. C’est leur troisième année à Greendale, et la logique veut qu’ils n’y passent sans doute pas plus de quatre ans. Que vont-ils faire après ? Vont-ils rester soudés ? Ces questions se posent dès maintenant. Nous réfléchissons déjà au futur de la série. Dan (Harmon, ndlr) ne veut pas que ses personnages, à la fin de la saison 4, à la fin de leurs études, décident subitement de devenir profs, juste pour rester à Greendale. Ce serait absurde. »
« La première saison se passait essentiellement dans l’enceinte de l’établissement. Dans la seconde saison, ils sortaient, ils allaient notamment dans des bars. Dans la troisième, on les verra plus souvent encore à l’extérieur, poursuit-elle : ils vont décrocher des boulots, peut-être faire des stages, Jeff se rapprochera peut-être de son ancien cabinet d’avocats… Nous allons nous éloigner de Greendale. Le but, c’est qu’arrivée la saison 4, cela semblera naturel de voir ces personnages quitter le Community College. Nous allons continuer d’ausculter leur passé, les raisons qui les ont poussées à s’inscrire à Greendale. Nous allons notamment en apprendre plus sur leurs familles. On sait qu’Annie s’est installée dans un quartier malfamé pour s’éloigner de ses riches parents, on va peut-être faire connaissance avec eux. Il se pourrait aussi qu’on croise aussi la mère de Britta. Enfin, nous allons revenir sur le cas de Jeff, qui craint de rencontrer son père… »
Megan Ganz a une petite trentaine d’années, et ce doit être une geek. Sinon, comment écrire pour une série aussi « méta » et aussi truffée de références pop que Community ? « La plupart des scénaristes qui bossent sur Community ont grandis en regardant la télé, et plus particulièrement les sitcoms. C’est notre culture, et nous voulons nous amuser avec elle, s’enthousiasme-t-elle. Si vous regardez une sitcom classique, vous réalisez qu’aucun des personnages ne semble regarder la télé… Nos héros à nous ont vu les mêmes séries, les mêmes films que nous, ils savent comment fonctionne une sitcom – Community est une sitcom sur les sitcoms. Abed détient la clef de cette mise en abyme. Il peut dire « tiens, on est dans un bottle episode » ou lancer à Jeff « je connais les personnages comme toi, tu n’as rien de spécial dans le cadre d’une sitcom. »
« Les fans veulent une série vivante, qui ne vit pas enfermée dans son monde, quitte à ce qu’elle ai conscience d’être une série, analyse-t-elle. Donc, oui, les personnages de Community sont très « méta » et sont, comme les fans de la série, des fans de culture pop. Les scénaristes sont sur Twitter, et nous dialoguons en permanence avec les fans. Aujourd’hui, si vous n’êtes pas « connectés », si vous ne ressemblez pas à vos téléspectateurs, vous ne pouvez pas exister. L’identification passe par ce « geekisme », cette connaissance des sitcoms. Vous ne pouvez plus faire semblant. Les téléspectateurs sont éduqués à la culture sitcom, il faut donc jouer avec ça… sans pour autant tomber dans le délire permanent. Pour vous offrir le plaisir de lancer des zombies sur le campus, il faut que vos personnages soient solides, que leur quotidien soit bien dessiné; il faut donc écrire des épisodes où on les voit aller en cours, tout simplement. Vos personnages doivent être crédibles, réels, même dans les épisodes délirants, conclue-t-elle. »
Retour dans le studio 32. Les préparatifs ont avancés. Certains acteurs ont fait leur apparition. Yvette Nicole Brown, qui incarne la délicieusement cul-bénie Shirley, m’entraine dans un coin de la cafétéria. « Cette troisième saison va se concentrer sur l’évolution des personnages, confirme la comédienne, chaleureuse, le sourire jusqu’aux oreilles, aussi aimable que son personnage. L’année dernière, nous avions souvent quitté la réalité pour des aventures un peu folles. Nous allons un peu nous calmer pour en apprendre plus sur les protagonistes, quitte à ne plus fonctionner uniquement en groupe. Le groupe d’étude n’est pas du genre très sérieux, et pourtant ses membres vont devoir obtenir leur diplôme. Il est donc temps de découvrir quel genres d’étudiants ils sont, avant, sans doute dans la saison 4, de les suivre chez eux, dans leur vie privée. »
L’orientation de la nouvelle saison confirmée, je lui demande ce qu’elle préfère, entre les épisodes délirants et ceux plus « réalistes. » Sa réponse est étonnement fidèle à ce qu’aurait pu dire Shirley, la main sur le cœur : « Community est pleine de blagues et de fun, mais porte aussi une leçon : l’amour peut tout arranger. Les personnages sont tous très différents les uns des autres, par leurs origines, leurs religions, etc. mais ils se réunissent chaque semaine autour d’une même table. Même quelqu’un d’excentrique comme Senor Chang est aimé, d’une manière ou d’une autre. Au-delà de leurs défauts, ces personnages livrent un beau message, humaniste et universel, un message positif, d’amour. » Un message d’amour qui résonne sur le tournage ? « Les producteurs de cette série n’aiment pas les abrutis, lâche-t-elle, toujours souriante. Si vous êtes recruté et que vous vous comportez comme un abruti, vous ne resterez pas longtemps. Ici, tout le monde est décent, aimable, et nous prenons soin les uns des autres. »
Joel McHale (Jeff Winger) a fait son entrée avec Chevy Chase (Pierce Hawthorne). Ils papotent avec les producteurs et quelques amis de la maison. Donald Glover (Troy Barnes) est aussi installé dans un coin, concentré sur son ordinateur (photo ci-dessus). Allison Brie (Annie Edison) est déjà sur le plateau, la scène du jour la concernant plus particulièrement. Ils se regroupent tous pour une ultime mise en place, puis une répétition. Ne manque que Gillian Jacobs (Britta Perry). On m’explique que je ne vais pas pouvoir m’éterniser, et on me donne 5 minutes avec Glover et Danny Pudi (Abed Nadir), qui vient d’arriver. Les deux sont visiblement proches, à l’image de leurs personnages. « Tous les ans, on retourne à l’école, il doit se lever de bonne heure, arrêter de picoler toute la nuit » attaque Donald Glover « … et mettre passer au maquillage, ce qui, au fond, ressemble tout à fait à mon expérience scolaire, poursuit Dani Pudi, hilare. Les décorateurs font un super boulot pour recréer une école détériorée juste ce qu’il faut. On a vraiment l’impression d’y être, avec nos sacs à dos et nos crayons. »
Les vrais geeks, dans la série, ce sont eux, alors je leur demande de définir l’essence de Community : « Community est devenue une série télé sur la télé, explique Glover. Aucune série ne sait vraiment ce qu’elle est à ses débuts. Revoyez la première saison des Simpson, c’est très étrange, comme s’ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient en faire. Notre première saison à nous aussi se cherche. Personnellement, je ne savais pas qui est Troy. » « L’univers dans lequel nous gravitons s’étend en permanence, poursuit Pudi. Dans la première saison, on se demandait quelles classes les personnages allaient suivre. Aujourd’hui, on se demande plutôt dans quelle aventure ils vont s’embarquer… » « C’est un monde très élastique, très fragile, mais les scénaristes s’efforcent de ne pas tomber dans la magie pure et dure, et de relier toutes les envolées à une réalité, et aux personnages eux-mêmes », ajoute Glover. « Il faut un peu des deux. Si nous faisions trop d’épisodes paint-ball, les gens paniqueraient », conclut Pudi.
Ont-ils les références geeks que leurs personnages lâchent toutes les trente secondes ? Voici leur réponse, façon script, les deux se renvoyant la balle… comme leurs personnages.
Donald : « Quand j’ai les références, je me sens super intelligent ! L’épisode sur My Dinner With André, je le savais, j’avais du voir le film à l’école ! »
Danny : «… pas moi. Mon dictionnaire, c’est Donald ! »
Donald : «… sauf pour la géographie. Danny savait que Tbilissi est la capitale de la Géorgie… Pour le reste, c’est ma culture. J’ai grandi planté devant la télé à m’empiffrer. »
Danny : « j’aime me cultiver, j’étais du genre bachoteur à l’école. Du coup, je passe parfois plusieurs jours avant le tournage à parfaire ma connaissance de ce dont Abed va parler. J’ai par exemple passé deux jours à regarder l’intégrale de Farscape… »
Ces deux-là réalisent-ils qu’ils se comportent – un peu – comme leurs personnages, et ont-ils une explication à l’alchimie qui se manifeste entre eux ? « Nous nous entrainons, dans nos caravanes, à nous regarder dans les yeux, à nous embrasser… avec les mains, sans nous toucher (ils miment ce geste, façon Demolition Man, pour la référence pop, ndlr). J’aime bosser avec Donald » lâche Danny Pudi, avant que Donald Glover ne lui réponde « … et j’aime jouer avec Danny. » Parfaite illustration, s’il en fallait une, qu’il y a de l’amour dans Community, devant et derrière la caméra.
Pour finir, deux liens vers deux petites vidéos, l’une de Yvette Nicole Brown, et une de Donald Glover et Danny Pudi, pour les fans français de Community. En attendant la saison 3, sur NBC le 22 septembre et, espérons-le, une prochaine diffusion française.
Crédits Photos : Pierre Langlais
J’crois pas qu’elle arrivera en France. C’est une série trop américaine.
C’est vraiment incroyable ce que t’as vécu, j’avais des étoiles plein les yeux rien qu’en lisant cela étant un véritable fanboy de cette série!
Je pense que cette série est facilement adaptable en français, les références sont toutes d’une culture populaire il est vrai américaine mais connu en France.
Une série comme 30 rock a des références beaucoup plus obscures pour le public français et a tout de même (médiocrement il est vrai) été adopté sur nos écrans.