A l’occasion de la diffusion sur Orange Cinémax (le mardi à 20h40) de la saison 3 de Breaking Bad, j’ai pu m’entretenir avec Bryan Cranston, le génial interprète de Walter White, trois fois récompensé aux Emmys, à juste titre. Il y revient sur l’évolution de son personnage dans ce troisième chapitre virtuose, et sur les particularités narratives de Breaking Bad, alternance de séquences lentes et d’explosions de violence. Voici mon interview.
Breaking Bad, c’est l’histoire d’un homme qui chute, qui glisse lentement vers la mort, et vers la criminalité. Où en est-on dans cette saison 3 ?
L’idée de départ de Breaking Bad est totalement inédite à la télévision américaine. C’est l’histoire d’un père de famille tout ce qu’il y a de normal, prof de chimie dans un lycée, un scientifique, un homme bien, qui n’a jamais eu de problèmes avec la police, qui n’a jamais enfreint la moindre loi et qui d’ici la fin de la série, quelle que soit la date de cette fin, sera devenu un criminel endurci. C’est une sorte d’étude de la condition humaine, des circonstances qui pourraient mener un individu à passer d’un de ces statuts à l’autre, et nous sommes en quelque sorte au milieu de cette évolution. La saison 3 explore son acceptation de sa part d’ombre, de sa capacité à faire des choses qu’il n’aurait jamais cru pouvoir faire. Cette évolution a quelque chose de très pragmatique, parce qu’il réalise que pour survivre dans le monde des criminels, il doit penser comme un criminel. La naïveté est mortelle, dans ce monde-là. Dans cette série, nous explorons la nature humaine, et Walter White traverse une épreuve qui va lui permettre de comprendre son égo, de s’affirmer. Il sent sa virilité, même si la maladie l’a affaibli, il a toujours besoin de ressentir une certaine force en lui. Dans la saison précédente, il a menacé certains de ses concurrents, ce qu’il n’avait jamais pu faire dans sa vie. En ce sens, Breaking Bad montre que même les plus timorés d’entre nous, dans certaines situations, peuvent devenir dangereux.
Le rythme de la série, qui alterne les longs silences, les scènes contemplatives et les séquences subitement violentes, est très particulier. Comment expliquez-vous ce choix narratif, et visuel ?
L’intention, c’était de concevoir Breaking Bad comme un film, pas comme une série où chaque épisode raconte une histoire différente, comme une œuvre écrite par un auteur avec une vision claire, et Vince Gilligan, le créateur de Breaking Bad, est cet homme. Il a une sensibilité, qui se traduit par une envie de prendre son temps, ce qui rare à la télé, où tout doit être monté serré, avec des dialogues rapides, où tout doit bouger en permanence. La vie n’est pas comme ça ! Si vous voulez convaincre les téléspectateurs que votre histoire est réelle, vous devez avoir des silences, des instants où rien ne se passe, mais qui doivent servir la dramatisation. C’est un peu le calme avant l’orage. Parfois, la tension monte, monte, monte, mais rien ne se passe. Et à d’autres moments, vous pensez qu’il ne va rien se passer, et quelque chose arrive ! Cela permet de tenir les téléspectateurs en haleine. J’ai reçu des milliers de lettres qui me disaient que Breaking Bad est aussi addictive que la drogue que mon personnage fabrique dans la série. On me dit que la série a cette qualité, que quand on en a vu un épisode, on veut en voir un second. Et quand on en a vu un second, on veut en voir un troisième sur le champ ! C’est le plus formidable compliment qu’on puisse me faire !
Vous venez de comparer Breaking Bad à un film, Pensez-vous que la série n’a rien à envier à un long-métrage ?
Absolument. Je ne suis pas si sûr que le golden boy du divertissement soit encore le cinéma. Les meilleures fictions naissent toujours des meilleurs scénarios, au cinéma ou à la télé. J’ai toujours jeté mon dévolu sur les œuvres les mieux écrites, et je ne l’ai jamais regretté. Ça ne veut pas dire que le film ou la série sera génial, mais c’est une condition sine qua non à sa qualité. Selon moi, les films qui sortent en ce moment ne sont pas mieux écrits que les autres forme de fictions disponibles. D’ailleurs, les exemples de séries brillamment écrites ne manquent pas, comme Mad Men, Dexter, Breaking Bad, Damages et plein d’autres œuvres télévisuelles qui sont de grande qualité.
On parle souvent de Breaking Bad comme d’une œuvre exigeante, qui demande un certain investissement de la part du téléspectateur, qui ne se livre complètement qu’après plusieurs épisodes,
Le monde dans lequel nous vivons est en train d’enfanter une génération qui n’a plus la moindre patience. Nous avons créé un monde où tout vous tombe sous la main sans le moindre effort, où les gens ont besoin de tout, tout de suite. Vous vous souvenez de l’époque où les modems internet faisaient [il mime le bruit d’un modem 56k] et il fallait attendre pour se connecter ? Vous vous imaginez encore attendre aussi longtemps ? Nous devenons de moins en moins patient, et cela déteint sur nos divertissements. Prenez les jeux vidéo, tout y bouge à la milliseconde près ! Tout ça va tellement vite que les gamins ne sont plus habitués à quelque chose de lent. Il faut quelqu’un de patient, qui ne cherche pas à tout avoir sur le champ, mais qui veut vivre une expérience, qui est capable de s’asseoir, d’attendre, et seulement alors d’être récompensé. Si vous passez en marchant à côté d’une toile de maître au Louvre, vous allez sans doute rater un grand moment. Vous devez être patient, vous arrêter, vous laisser absorber par la toile. Et tout ça est valable avec un morceau de musique, ou un autre art comme les séries télé. Breaking Bad est une série dangereuse. Elle n’est pas faites pour tout le monde. Ce n’est pas une glace à la vanille, c’est une saveur très particulière, qui ne plaira certainement pas à tout le monde, mais c’est tout à fait normal.
Un des épisodes de cette troisième saison confronte Walter White à une question bouleversante : Y a-t-il un bon moment pour mourir, un moment idéal pour quitter cette vie ? Comment avez-vous abordé cette problématique centrale de la série ?
J’ai trouvé cela très profond de la part de mon personnage de se demander quel était le moment parfait pour mourir, un sujet que les gens font en général tout pour éviter. Walter White est tout à fait prêt à accepter qu’il a raté ce moment. Il se lamente, dans cet épisode, sur cette occasion manquée de mourir. Je n’avais jamais entendu ce genre de réflexion ailleurs avant cela. La grande force de Breaking Bad, c’est de ne pas avoir peur de tenter des choses, de prendre des risques. Il n’y a pas de voie toute écrite, la série est comme la vraie vie, vous pensez avoir une destinée, vous pensez savoir où vous allez, et subitement la vie vous dit « non, vous allez par là. » Nous sommes tous embarqués dans la même histoire, pas seulement moi, les scénaristes et les producteurs de Breaking Bad, mais aussi les téléspectateurs, et personne ne sait comment tout ça prendra fin. Nous nous préparons à filmer la saison 4 de la série, en janvier, et les gens me demandent tout le temps « qu’est-ce qu’il va se passer dans la saison 4 ? », et je leur réponds « Je ne sais pas. » Ils insistent en me disant « tu peux me le dire, je garderai le secret ! », mais je dois insister : « je ne sais honnêtement pas ce qui va se passer dans la saison 4 ! » Et je n’en saurai plus qu’une semaine avant le début du tournage !
Image de Une : Breaking Bad, AMC.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par MrSeries et Jeremy Bellessa, Guillaume Regourd. Guillaume Regourd a dit: RT @MrSeries: Mon interview avec Bryan Cranston, version écrite https://blog.slate.fr/tetes-de-series/2010/12/14/interview-avec-bryan-cra … […]
Une interview avec Bryan Fu..ing Cranston! mais tu devais être comme un fou!