Plus que quatre épisodes. Trois soirées (dont ce soir) et Lost fera partie de l’Histoire. Nous reviendrons ici sur l’ultime épisode, au lendemain de sa diffusion. En attendant, un article de Variety a attiré mon attention ce matin. Il s’attarde sur le travail de Michael Giacchino, le compositeur attitré de J.J. Abrams, aux manettes musicales de la série depuis son lancement. Un des rares compositeurs de télévision (il travaille aussi pour le cinéma, et a d’ailleurs récemment décroché un Oscar pour Là-haut) à utiliser un vrai orchestre (voir la vidéo ci-dessous, en V.O), Giacchino ouvrira en effet un événement spécial ce jeudi, à Los Angeles. 1800 fans pourront écouter un concert reprenant les accords les plus fameux de Lost, avant la projection (5 jours avant sa diffusion) de l’avant dernier épisode de la série. L’argent récolté reviendra à une école de musique de la région, dont les meilleurs élèves seront aux ordres de Giacchino ce soir-là.
Si Lost utilise à l’occasion quelques chansons du répertoire pop, soul et rock (notamment de vieux standards de Billie Holiday, Iggy Pop, Petula Clark, etc.), l’essentiel de la partition de Lost repose sur les talents de Giacchino — détail intéressant, la sixième et ultime saison de la série ne contient presque aucune chanson “ajoutée” — sa capacité à rendre compte de l’étrangeté de l’île, de ses bruits, de l’évolution de l’humeur des personnages, glissant perpétuellement des violons sanglotants aux percutions angoissantes. Seul le générique de la série, drôle de souffle aux vagues relents d’ondes radio, a été inventé par J.J. Abrams lui-même.
J’avais eu la chance, au lendemain de la seconde saison de Lost, de m’entretenir avec Michael Giacchino. Voici quelques extraits de l’interview alors publiée dans Générique(s).
En quoi consiste l’écriture de la musique d’une série télévisée ?
Écrire la musique d’une série, c’est raconter une histoire. Les scénaristes écrivent une histoire, les monteurs l’organisent et le compositeur lui aussi y contribue, à sa manière. Tous ensembles, ils composent le puzzle du récit. Gamin, j’adorais faire des petits films amateurs et, à dix ans déjà, le moment que je préférais, c’était celui où je composais, avec des morceaux déjà écrits ou par de simples mélodies, la bande originale de ces films. Aujourd’hui encore, j’adore me dire qu’un morceau entendu hors de la projection d’un film peut faire revenir en mémoire les images de ce film. La musique contient le fantôme de l’oeuvre dont elle est tirée. Au delà, chaque fois que j’écoute de la musique, ce sont autant d’histoires qui me viennent à l’esprit. La musique est le meilleur partenaire de la créativité. La plupart des scénaristes travaillent en écoutant de la musique. Ça les aide à imaginer leurs histoires.
Quel rôle joue la musique dans Alias et Lost ?
Ce sont deux rôles très différents. Alias est une série bourrée d’action et d’adrénaline, avec des moments de pur désespoir, de tristesse hyperbolique. Lost, à l’opposé, est beaucoup plus simple, mais pourtant nettement plus inquiétant. Le spectateur ne doit jamais s’y sentir à l’aise, il doit être sans cesse sur la brèche, crispé, comme les personnages. Ces gens sont dans un endroit inconnu, étrange, et j’ai voulu rendre musicalement ce sentiment. Je voulais avant tout éviter de faire de la « musique pour île », en supprimant tous les instruments qu’on aurait entendu sur une île plus classique, des percussions en bois, des flûtes Shakuhachi (flûte droite à embouchure libre en bambou d’origine japonaise. Évoquant la nature, elle est très utilisée en musique traditionnelle, ndlr), etc. Mon but était plutôt, avec une orchestration discrète, minimale, de garder les spectateurs sur le fil du rasoir, en leur laissant quelques instants de répit lors des scènes sentimentales.
Quoi qu’il en soit, je fais toujours en sorte que chaque œuvre pour laquelle je compose ait une musique bien à elle. A l’écoute de cette musique, vous devez vous souvenir de la série ou du film dont elle est tirée, pas d’une autre œuvre. Je trouve sans intérêt de coller la même musique sur n’importe quelle œuvre. Les compositeurs des années 30-40 devaient être d’une polyvalence incroyable, car ils passaient d’une comédie à un film épique d’un mois sur l’autre. Aujourd’hui, la plupart des types ont « leur » son, et ils le reproduisent à volonté. J’essaye, comme dans le « bon vieux temps », de me diversifier au maximum, et de donner un son unique à chaque chose que j’écris.
Néanmoins, avez vous une signature, des tics d’écriture ?
Il y a certaines montées en puissance, certaines orchestrations que j’affectionne plus particulièrement, et je suis sûr qu’en cherchant bien on peut les retrouver dans chacune de mes compositions. Par exemple, je me sers toujours d’un Anklung en métal (Instrument indonésien composé généralement de 3 tuyaux en bambou qui glissent sur une armature en bois et percutent des tiges lorsqu’il est secoué, ndlr), qui fait un son de cloche plutôt flippant.
Comment composez-vous la musique de Alias et Lost ?
D’abord, le travail de composition pour des films comme Mission : Impossible III ou Les Indestructibles est très différent du travail qui doit être fait sur Lost ou Alias : pour une série, le temps est beaucoup plus compté. Sur Lost, j’ai en moyenne deux jours pour écrire et orchestrer un épisode, et l’enregistrement se fait le troisième jour. Pour ces deux séries, j’utilise un orchestre d’une quarantaine de musiciens. Aucun son n’est samplé. Chaque semaine, on se retrouve pour enregistrer. C’est une question d’organisation et de timing. Écrire pour la télé est un exercice d’écriture musicale extraordinaire. Il faut apprendre à faire confiance à son premier jet, parce qu’on n’a pas le temps d’y revenir.
Quand je travaillais sur la musique d’Alias, le processus était très simple : je regardais l’épisode, je réfléchissais à où mettre de la musique, puis je l’écrivais. Sur Lost, j’écris en même temps que je regarde l’épisode. A chaque scène qui doit être mise en musique, j’arrête le visionnage, et j’écris. Puis je relance l’épisode, et ainsi de suite, de sorte à ce que je ne sais jamais ce qui va venir, comme le spectateur. Je veux que ma musique soit elle aussi « surprise. »
J’ai beaucoup de chance car J.J. Abrams et les producteurs de Lost me laissent énormément de liberté. En général, quand je travaille sur un épisode, ils bossent déjà sur le suivant. Ils m’envoient juste les épisodes, et me laissent expérimenter, composer, sans chercher à me contrôler. Il arrive qu’ils me demandent d’écrire quelque chose de particulier, de réutiliser un effet qu’ils avaient aimé dans un épisode passé ou même qu’ils me suggèrent une émotion à transcrire. Mais ce ne sont que des suggestions, des conseils, pas des ordres. J’ai l’entière direction de ma musique. Comme les monteurs qui travaillent sur Lost sont des maîtres en la matière, mon job sur la série est, au final, assez facile.
Dans quelles conditions composez-vous votre musique ?
J’ai un studio dans mon jardin, un espace d’environ 180 mètres carrés, haut de plafond, rempli à craquer de tous les jouets que j’ai gardé depuis que je suis gosse. J’y ai gardé toutes mes figurines de super héros. D’ailleurs mes trois gosses adorent y jouer ! Je travaille uniquement chez moi, sauf quand je vais aux sessions d’enregistrement. C’est en fait une nécessité, car j’ai tellement de boulot, j’ai un timing si serré que si je travaillais à l’extérieur, je ne pourrais jamais voir ma famille…
J’ai un grand écran, ce qui permet aussi aux autres personnes qui bossent sur Lost de passer de temps en temps bosser avec moi. Je reçois les épisodes par cassette vidéo, puis je les digitalise pour travailler dessus.
La musique doit-elle souligner les émotions ou doit-elle les créer ?
Idéalement, elle doit les souligner. Les émotions doivent être sur l’écran indépendamment de la musique. Si la scène est émouvante à la base, il suffit d’une toute petite dose d’émotion musicale, et le résultat sera parfait. Dans Lost, la musique est extrêmement discrète et simple pendant les scènes les plus émouvantes. Les acteurs et l’histoire font leur job, pas besoin d’en rajouter. De toute façon, si la scène est mauvaise, mettre une couche musicale dessus ne fait que la rendre pire. On perçoit tout de suite que, pour voiler l’absence d’émotion, on a collé dessus une musique tonitruante. Lost est une réussite parce que les acteurs et l’équipe s’entendent à merveille, et grâce à cela le spectateur entre immédiatement dans cet univers… une chose de plus qui rend mon travail plus facile !
Image de milieu de papier : ScoringSessions.com
Michael Giacchino est un excellent compositeur méconnu. Que ce soit Cloverfield ou Medal of Honor (nominé dans les BO de l’année l’année de sa sortie sur soundtrack.net), c’est un poseur d’ambiance hors pair
Pas mal de fautes d’orthographe dans un article par ailleurs sympathique
En effet, il restait quelques fautes. J’espère avoir corrigé ça :S
Pas de pb 🙂 C’est juste en lisant… je ne suis pas un correcteur orthographique humain 😉