« Le sable, c’est un peu comme l’air qu’on respire : on n’y pense pas mais on ne peut pas vivre sans lui ». Voilà en une phrase, l’impression que l’on garde, la leçon que l’on retire, du visionnage du documentaire de Denis Delestrac, « Le sable : enquête sur une disparition », diffusé le 28 mai sur Arte.
Pour beaucoup d’entre nous, le sable, c’est la composition principale des châteaux que l’on construit avec ses enfants sur la plage, entre deux bains de soleil. C’est ce qui s’accroche à nos pieds humides en sortant d’une baignade rafraîchissante à l’eau salée. C’est ce que l’on voit à perte de vue en regardant une plage de sable blanc, ce qui finit par se dérober sous nos pieds alors que nous nous éloignons doucement de la côte. Oui pour beaucoup d’entre nous, le sable, ce n’est « que » ça.
Pourtant, le sable ne nous offre pas que des vacances confortables. Il nous donne un lieu de vie, notre maison, l’hôpital de la ville. Il nous permet de profiter des nouvelles technologies, via nos ordinateurs, smartphones, et autres tablettes. Il nous permet même de nous laver les dents, nous maquiller, ou encore déguster un bon verre de vin. Mais surtout, le sable nous protège de celui face à qui nous ne sommes pas grand-chose : l’océan.
Alors oui, « on ne peut pas vivre sans lui ». Pourtant, il semblerait bien qu’il soit en train de disparaître.
En prenant conscience du nombre d’objets ou bâtiments composés notamment de sable qui font partie de notre quotidien, l’utilisation intensive de cette matière première semble plus logique. Cependant, voir le sable disparaître reste difficilement imaginable tant on a le sentiment que celui-ci est inépuisable : colline, plages, déserts, fonds sous-marins, comment pourrait-on manquer de sable ? À cause de qui le sable viendrait-il à disparaître ? De nous, de cette lubie humaine du gigantisme qui se traduit par construire toujours plus, toujours plus grand, toujours plus haut.
C’est en effet dans le secteur de la construction que la consommation la plus intensive de sable à lieu. Une maison représente 200 tonnes de sable, il en faut 3000 pour construire un hôpital, 30000 pour chaque kilomètre de route, et 12 millions de tonnes pour une centrale nucléaire.
Or, le sable est une ressource qui met des milliers d’années à se renouveler, et qui n’est pas renouvelable à l’échelle humaine car on la consomme très vite.
Imaginez donc le résultat d’une construction telle que :
Dubaï, ce « bac à sable pour promoteur mégalo où tout est permis, à condition que ce soit unique et pharaonique », a utilisé 150 millions de tonnes de sable pour créer de toutes palmes cette île artificielle, elle-même recouverte de constructions en tout genre mais toujours en béton, et donc en sable.
Imaginez la consommation en sable d’une ville telle que Singapour où chaque m2 est tellement utilisé qu’ils en viennent à essayer d’agrandir l’île en ajoutant du sable sur la côté, utilisant ainsi la technique du remblayage, pratique la plus consommatrice de sable après le béton :
Et ce gigantisme incontrôlable n’est pas le seul en cause. La sur-exploitation du sable provient également de spéculations financières qui aboutissent à des logements vides car hors de prix, dans des villes pourtant surpeuplées. Ainsi, à Bombay on estime que la moitié des logements ne sont pas habités à cause des promoteurs qui spéculent, si bien que les populations s’entassent dans des bidonvilles. L’Espagne est le pays européen qui a utilisé le plus de sable … pour rien, puisque 30% des habitations construites depuis 1993 sont vides.
Enfin, le secteur public est le plus gros consommateur de sable via la construction de routes, d’autoroutes, des barrages ou encore de ponts. Considérant en plus que les routes s’abîment avec le temps et doivent donc être fréquemment refaites : « vous avez sous les autoroutes, toutes les plages du monde ».
Toutes ces constructions, devenues indispensables à l’homme, se multiplient, indéfiniment, alors même que les ressources traditionnelles de sable s’épuisent. Les carrières ont été utilisées, toutes les ressources faciles à exploiter et pas chères sont déjà exploitées. Alors les États et les professionnels du bâtiment se sont tournés vers d’autres types d’exploitation, sans penser aux conséquences que leur exploitation pouvait avoir.
Un proverbe géorgien dit « les eaux ont beau couler dans tous les sens, le sable restera toujours au fond ». Pas sûr.
En effet, l’alternative la plus commune trouvée à l’exploitation traditionnelle du sable dans des carrières, est aussi la plus dévastatrice pour l’environnement, et la plus dangereuse pour l’homme : l’exploitation du sable marin.
Utiliser le sable marin, c’est un peu la fausse bonne idée. De prime abord celui-ci semble être une alternative parfaite : bonne consistance du sable, il s’agrège parfaitement (au contraire du sable du désert, ce qui le rend inutilisable pour toute construction), et qualité supplémentaire : il est presque gratuit.
On utilise alors une drague, qui vient aspirer le sable des profondeurs marines … et tout ce qui va avec.
On utilise alors une drague, qui vient aspirer le sable des profondeurs marines … et tout ce qui va avec. Aspirateur incroyablement puissant, les dragues aspirent non seulement le sable, mais également les animaux et les plantes, de telle sorte que tout organisme vivant est éliminé. De plus, les sables marins constituent l’endroit principal où les poissons trouvent leur nourriture, en les aspirant de la sorte c’est alors la survie de toutes les espèces qui est menacée. En aspirant les sables marins de la sorte, on met donc en péril tout l’écosystème sous-marin, et on menace également de plus en plus dangereusement non seulement certaines économies locales, mais surtout des populations toutes entières.
Certaines villes ont bâti leur économie sur la réputation de leurs interminables plages de sable blanc, c’est le cas par exemple de Miami. Depuis quelques années les populations recherchent la proximité de la mer, si bien que les habitations se rapprochent des côtes, laissant moins de place aux plages. Or ceci à un impact bien plus grave qu’on ne l’imagine : en effet les plages ont besoin d’espace derrière elles pour résister aux mouvements des océans : « en été elles deviennent plus épaisses, et en hiver elles reculent et s’aplanissent pour mieux pouvoir résister aux assauts des vagues ». Sans espace derrière elles, les plages ne peuvent plus reculer, et disparaissent petit à petit.
Les Miamians craignent pour la prospérité de leur ville, et certains habitants d’îles indonésiennes craignent pour leur habitation qui menace à tout moment d’être engloutie sous l’océan comme pour leur unique source de revenus.
En effet Singapour n’a plus assez de sables dans ses exploitations traditionnelles pour permettre d’étendre la ville en gagnant encore quelques kilomètres sur la mer, et les pays à proximité tels que l’Indonésie ou le Cambodge n’acceptent plus de donner du sable à Singapour. Dès lors des dealers s’organisent pour continuer à payer ces îles voisines de leur sable. Alors que les indonésiens disposaient encore de 50 mètres de plage il y a quelques années, ils voient aujourd’hui les vagues ronger chaque jour un peu plus leur île et se rapprocher dangereusement de leur maison. Et ils sont parfaitement conscients de cette catastrophe multi-faces qui se prépare : « à cause du minage de sable, nous perdons nos récifs coralliens, nous perdons les poissons, le moyen de subsistance des pêcheurs, nous perdons les revenus des familles de pêcheurs, nous perdons tout ».
La mafia du sable ne concerne pas que les îles de l’océan indien, les pays du Maghreb en sont également le théâtre depuis plusieurs mois : des dunes disparaissent au fil des nuits, notamment près de Tanger ou de Casablanca, le sable étant emporté par des camions n’étant pourvus d’aucune autorisation légale.
En Algérie, la Wilaya d’El Tarf est également particulièrement touchée par cette recherche incessante d’une quantité toujours plus grande de sable: la sablière de Reghia est surexploitée et le littoral disparaît comme neige au soleil. Le Président du Comité national des marins pêcheurs « Cnmp » avait déjà prévenu il y a quelques mois : « Depuis l’année 2000, on avait perdu 35 km de plage à cause du vol de sable de littoral ». De même, les associations de défense de la nature affirment que la surexploitation a conduit à engloutir plus de 370000 mètres cubes de sables par an : « Les plages du littoral algérien sont condamnées à mourir de dessèchement ».
En France aussi l’impact environnemental de cet appétit du sable commence à se faire connaître. En Bretagne notamment, la zone protégée « Natura2000 » est au cœur d’un projet d’extraction d’un groupe industriel régional, au grand damne des habitants et particulièrement des pêcheurs qui trouvent toujours du poisson autour de cette dune.
Mais maintenant que ce constat est fait, doit on se résigner à voir nos plages disparaître ou des solutions existent-elles ?
La principale piste donnée par le reportage de Denis Delestrac est le recyclage du verre, qui viserait en fait à remplacer une partie de la consommation de béton. En effet, il nous explique que « le verre broyé a la même densité et les mêmes propriétés que le sable naturel » et que l’on peut également « broyer les gravats ou le béton récupéré des destructions d’immeubles ».
Dans le même but, il existe de alternatives locales, comme la crépidule, un « coquillage invasif qui se trouve en baie de Saint-Brieux » ou encore la « tangue du Mont Saint-Michel, une espèce de vase surabondante autour du monument ».
Afin de limiter la consommation de béton, favoriser les constructions en bois serait également une solution. Le bois présente de nombreux atouts :
– c’est un bon isolant puisqu’il l’est 12 fois plus que le béton ;
– il est économique : un bâtiment en bois est plus rapide à construire ;
– il régule naturellement l’air et permet d’améliorer la qualité de celui-ci ;
– il résiste mieux au feu que le béton, notamment car sa conductivité thermique est inférieure ;
– son impact environnemental est moindre à condition d’un sévère contrôle visant à vérifier que les acteurs de la filière bois replantent un arbre pour chaque arbre abattu ;
– enfin le bois est une ressource naturelle renouvelable et recyclable.
Évidemment, il reste difficile de faire en sorte que le secteur du bâtiment intègre ces pratiques, tout simplement car ils n’ont pas l’habitude de travailler avec des matériaux différents et ne sont bien souvent ni formés ni équipés pour. A court terme il faudrait donc commencer par exploiter avec raison les ressources dont nous disposons et faire en sorte de limiter l’impact environnemental.
En conclusion, « la question est de savoir quand nous allons adapter le développement humain aux processus naturels », parce que, soyons honnêtes, ce ne sont pas les humains qui auront le dessus, la disparition progressive mais rapide de nos littoraux en est bien la preuve.
Eve-Anaelle Blandin
Sources :
http://www.enerzine.com/1037/13727+construction—bois-ou-beton-il-faut-choisir+.html
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