Les OGM et nanotechnologies ont trente ans, et pourtant sur le plan du risque, ils font toujours figure de technologies émergentes. Pourquoi ?
Il faut savoir que 150 millions d’hectares d’OGM sont cultivés dans le monde (soja, mais, coton, colza, riz, pomme de terre…). Des centaines de produits (cosmétiques, peintures, plastiques…) qui incorporent des nanofibres ou des nanoparticules connaissent une diffusion massive.
Pourtant, en trente ans, l’expérience accumulée est encore insuffisante et les méthodes d’évaluation trop imprécises pour déterminer les dangers potentiels sur la santé humaine et l’environnement.
Les questions sont nombreuses, selon le journaliste Philippe Testard-Vaillant, auteur de l’article « Vers un monde plus dangereux » publié dans le hors-série de Science et Vie, « Un siècle de catastrophes technologiques » :
« Les gênes insérés dans les variétés cultivées, dont on sait qu’ils peuvent se répandre chez des espèces sauvages, y provoqueront-ils des résistances massives aux herbicides et aux insecticides ? Ces mêmes gènes peuvent-ils à long terme, avoir un impact sur la santé humaine ? Les nanoparticules, dont il a été montré en 2011 qu’elles peuvent franchir des barrières biologiques aussi inviolables que celle séparant cerveau et circulation sanguine, peuvent-elles provoquer des maladies ? »
La culture du risque
Pour l’instant, les réponses tardent à venir dans une société accoutumée à la culture du risque. Le risque se définit comme un danger éventuel, plus ou moins prévisible, inhérent à une situation, à une activité. Mais que recouvre exactement la notion de culture du risque ?
Selon le sociologue Anthony Giddens, la culture du risque est « un aspect fondamental de la modernité, par lequel la conscience des risques encourus devient un moyen de coloniser le futur ». Patrick Peretti-Watel précise « nous vivons dans une société qui n’est plus orientée vers le passé mais tournée vers le futur, dans laquelle l’individu a acquis une grande autonomie et se voit exhorté à prendre sa vie en main, en se projetant sans cesse dans l’avenir, pour rester attentif aux risques et aux opportunités qu’il recèle, et en s’appuyant pour cela sur des savoirs experts ».
Le risque est l’auxiliaire indispensable de l’innovation et du progrès. Les inventions de l’homme sont toujours plus ambitieuses mais les performances de sécurité suivent-elles pour autant le même rythme ? Le temps s’accélère, cinq cents milliers d’années ont séparé l’invention du feu de celle de l’arme à feu, mais six cents ans ont suffi pour passer de l’arme à feu au feu nucléaire.
Aujourd’hui rien ne permet d’infirmer ou d’affirmer que les OGM et les nanomatériaux constituent une menace sanitaire ou environnementale. L’inquiétude est légitime, d’autant qu’en France, les débats restent vifs.
Le principe de précaution, quels usages ?
Face au risque, on oppose le principe de précaution. En France, ce principe est inscrit dans la constitution. François Ewald, philosophe du risque, dans un article du Monde précise que « dans sa définition originelle, le principe de précaution est un principe de gestion environnementale (…). Il apparait en Allemagne à la fin des années 60 (« Vorsorgeprinzip »). Les Allemands vont le décliner selon trois dimensions : éviter les dangers immédiats, prévenir les risques de moyen terme et avoir une gestion optimale, à long terme, des ressources naturelles. Il va ensuite prospérer sur le plan international en devenant une figure imposée de tous les traités internationaux en matière d’environnement. Le premier acte important était le Sommet de la Terre de Rio en 1992 ».
Aujourd’hui, ce principe connait plusieurs usages et cela s’explique notamment par le fait que, selon François Ewald, « le principe de précaution est toujours lié à la défense d’un système de valeurs précis. (…) Une association écologiste qui se bat contre une société qui fabrique des OGM va surpondérer la protection de l’environnement face aux bénéfices potentiels d’un progrès technique. Nous sommes donc, en réalité, dans une bataille de valeurs. »
Confronté à l’alternative innovation et progrès versus risque, quelle est finalement l’impulsion donnée par le gouvernement français ? Et que souhaite la population ?
« Sans considération éthique, il n’y a pas de véritable progrès, que des avancées techniques »
Dans une lettre adressée aux candidats à la présidence de la République française de 2012, Alain Grimfeld, président du CCNE ( Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé), rappelle la mission qui est confiée au comité par la loi de 2011 relative à la bioéthique, « Tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous la forme d’états généraux ». Selon un sondage effectué en décembre 2011 à la demande du CCNE, les Français se sont prononcés à plus de 70% en faveur d’une meilleure information sur les enjeux des progrès de la science dans les domaines de la vie et de la santé ».
Plus de transparence, certes, et surtout des débats publics car de la réflexion sur les enjeux éthiques dépend le choix de l’avenir réservé aux générations futures.
Etienne Klein, dans son article « les vacillements de l’idée de progrès » explique : « soit nous voyons en elle (la science), le lieu présumé et exclusif de la certitude, soit nous la condamnons au motif qu’associée à la technique elle serait responsable de tous les dangers que nous sentons poindre ».
Il conclut : « ni la science ni la négation de la science ne choisiront l’avenir à notre place. Reste le plus difficile : organiser le débat entre les experts et les citoyens ».
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