L’adieu aux anxiolytiques


Je ne sais plus ni quand, ni pourquoi, mais au beau milieu du mois d’avril, j’ai décidé que dorénavant je me passerais d’anxiolytiques.

Ce fut, je dois le dire, une décision des plus surprenantes pour moi qui depuis des décennies ne pouvait concevoir l’existence sans avoir recours à ces pilules de survie.

Elles m’étaient devenues indispensables pour affronter la rudesse de l’existence, attendrir mes angoisses, apaiser les mille et un tourments de ma vie intérieure, tenir à distance ces attaques de panique qui surgissaient du fin fond du néant et me donnaient à chaque fois un avant-goût de la mort.

J’en prenais le matin, à midi, le soir, en toutes circonstances, à chaque âge de ma vie, non pas par poignées entières mais d’une manière calculée et raisonnable, et toujours sous la scrupuleuse surveillance d’un médecin.

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Je savais parfaitement ce que je faisais.

Je n’avais aucune honte ou difficulté à admettre que ces pilules m’aidaient à vivre, que j’avais besoin de leur assistance pour ne pas sombrer dans une dépression qui aurait menacé de tout emporter sur son passage, que ma sensibilité exacerbée exigeait le recours à des tranquillisants afin de ne pas transformer ma vie en un perpétuel chemin de croix.

Je n’avais pas l’âme d’un martyr, ni le goût de souffrir pour souffrir.

Ces pilules me maintenaient avec une rare efficacité au-dessus de la ligne de flottaison et je leur en étais infiniment reconnaissant, je le suis toujours et je reste toujours convaincu de leur parfaite efficacité.

Et puis, en avril dernier, j’ai donc décidé qu’il était temps de m’en passer. Ou tout du moins d’essayer. De me soustraire à leur emprise. De voir, si je pouvais, en usant d‘une méthode raisonnée, me débarrasser progressivement de leur présence que je n’estimais plus, à tort ou a raison, indispensable.

Je me sentais prêt.

L’approche de la cinquantaine peut-être, le désir un peu imbécile de me lancer un défi hors-normes, la volonté de m’affranchir d’une contrainte qui, possiblement, avec le temps, pourrait avoir des conséquences funestes sur ma santé même si en la matière, personne ne sait exactement de quoi il en retourne, tant l’étude de la merveilleuse mécanique du cerveau demeure une science des plus hasardeuses.

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J’en parlais avec un docteur spécialisé, il se montra d’accord. Il serait à mes côtés. Il m’épaulerait. Il ne me laisserait pas tomber.

Ce serait un combat difficile, périlleux, une lente désaccoutumance qui risquait de mettre mon corps à l’épreuve, de chambouler ma vie intérieure, de jeter le désordre et le chaos dans mon équilibre mental.

J’allais en baver, mon cerveau n’allait guère apprécier ces nouvelles dispositions et commanderait à mon corps de me faire payer le prix d’une pareille trahison, il se cabrerait, il mobiliserait toutes ses forces pour me rendre la vie impossible et m’amener à renoncer à mon projet.

En l’espace de cinq mois, par la soustraction d’une moitié de pilule toutes les trois semaines, je suis parvenu à réduire ma consommation de plus d’un tiers.

C’est peu et beaucoup à la fois.

Les nuits sont hachées, les humeurs changeantes, la fatigue constante, le corps rétif et cotonneux, les maux d’estomac fréquents, les remises en question permanentes.

Des jours se passent dans le brouillard de pensées éparses et confuses. Des nuits se déroulent dans l’anarchie d’un sommeil incapable de remplir sa fonction de gardien de l’âme, et pas une heure ne file sans que le cerveau ne renâcle, ne rue dans ses neurones, réclame sa dose, manifeste sa désapprobation, exige le retour de l’ancien régime, envoie ses fantassins martyriser mon épiderme, secouer mon cœur, tyranniser mes cellules nerveuses lesquelles se retrouvent nues, à vives, soumises à des tensions extrêmes.

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Et je ne finis pas de m’interroger : pourquoi s’infliger de pareilles souffrances ? Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Qu’ai-je à y gagner ? Ne serait-il pas plus sage d’arrêter maintenant et de revenir à ta consommation antérieure ? Ta victoire, si victoire il y a, si tu parviens à mener à bien ton entreprise, ne sera-t-elle pas vaine et inutile ? Es-tu assuré de devenir un homme plus apaisé, plus serein, moins travaillé par des questions existentielles qui au fond constituent le sel même de ta vie ? As-tu envie de devenir celui-là ? Pourquoi chambouler un mode de vie qui te convenait si bien ? A quoi bon toutes ces simagrées ? Peut-être souffres-tu d’un désordre chimique qui nécessite, qui exige même, le recours à des molécules de substitution…

A toutes ces questions, je n’ai toujours pas de réponses satisfaisantes.


Je sais seulement que la vie demeure une lutte de tous les instants où chacun se débrouille comme il peut.


Avec ou sans pilules.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Pour suivre  l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true

12 commentaires pour “L’adieu aux anxiolytiques”

  1. je suis une ménagère de + de 50 ans ..donc juste du bon sens
    je ne suis pas médecin
    ce que je lis, au-delà de la détresse que je perçois, me laisse perplexe
    car, au lieu de vouloir se séparer de ce qui t’a accompagné pendant des année
    au lieu d’appeler “emprise” ce qui doit être nommer “aide” (car mal nommer les choses etc …..)
    au lieu de se sentir asservi par ces “aides”, se sentir maître de cet usage
    au lieu de penser que ça vient charger, penser que ça vient alléger ou compléter qqchose qui manque là-haut
    tu me fais penser à un unijambiste qui voudrait se passer de l’ “emprise” d’un fauteuil roulant ……
    Quelle est cette outrecuidance qui voudrait qu’on soit livré en parfait état de marche et avec toutes les pièces ?
    Si combat il y a à mener (et combat il y a toujours à mener….autrement qu’est-ce qu’on s’emmerderait), ce pourrait être juste de ne pas aller au bureau des réclamations d’Ikea en hurlant qu’il manque le tournevis zdrüg pour finir de monter kiitjölhzg
    Faire AVEC ce qui manque
    Ne pas SE combattre, accepter de mettre une cale sous le meuble
    Voir un peu du côté des bouddhistes
    Se dire que juste ÊTRE, c’est deja une fin en soi
    Imparfait….forcément imparfait
    Se gorger de cette imperfectude (l’inverse serait insupportable…)
    Aimer ce pauvre être pathétique et dérisoire que nous sommes tous
    Ne pas se caresser en disant poor of me..mais lucky of me : je suis
    Imparfait, mais je suis
    Point
    Je te conseille tres tres tres vivement d’essayer de voir un tres vieux film, qui a marqué ma vie (pas moins) “L’homme qui rétrécit” ….tout est dit !
    Jo Ben Ami (amie fb)

  2. (ce commentaire est privé ..il n’est pas obligé de le publier)

  3. Prendre ces anxiolytiques pour ne pas sombrer dans une dépression certes mais pour cela il y a les antidépresseurs.
    J’imagine que la photo de l’article est non contractuelle mais dans le lot de médicaments il ya aussi des anti épileptique et des décontractants musculaires qui n’agissent pas sur les mêmes parties du cerveau.
    Pour avoir pris un anti dépresseur pendant presque 8 ans à une dose totalement dérisoire aux vôtres, pour d’autres raisons je viens de passer à un anxiolytique de façon aussi dérisoire puisque j’ai tendance à surreagir. Les causes sont différentes les effets sont différents et pour certaines parties du cerveau la psychothérapie est toute aussi importante et complémentaire que la thérapie médicamenteuse.
    Entourez vous peu mais bien et choisissez bien votre type de psychothérapie. À chaque problème sa solution. Il faudra peut être différents types de thérapie pour chacun des noeuds que vous avez au cerveau. Bon courage

  4. note pour Sté posner: tous ces medicaments (sauf l’imovane) sont des benzodiazepine et sont des anxiolytiques, +- anti epileptique pour le valium, et decontracturants pour le myolastan (retiré du marché depuis des années, cette photo doit être ancienne.
    le temesta est un hypnotique…..

  5. Belle initiative que d’arrêter l’empoisonnement. ..
    Mais le pré – requis n’est il pas de régler l’origine?
    Comprendre le besoin profond de ce besoin d’anxiolytique?
    Trouver ou retrouver la source du problème…

    Il y a des méthodes comme la méditation, le yoga, la sophrologie pour apaiser un être.
    Déjà une 1ere étape pour mieux vivre ce changement de traitement.

    Et des methodes/formation pour comprendre les troubles qui peuvent être héréditaires ou enfouies depuis l’enfance. … Les accepter et pardonner pour guérir et aprehender la vie avec un nouveau regard.

    Arrêter les anxiolytiques est possible et bien le vivre aussi…
    On nous fait croire que c’est impossible. ..
    Et oui… c’est mieux de continuer à enrichir les industries pharmaceutiques…

    Mais le bien être n’est pas chimique…

    Bienvenue dans une nouvelle vie.

  6. C’est combien la consult ?

  7. Cet effort colossal ( se passer de ce qui soulage ) me fait penser aux marathoniens qui utilisent leurs endorphines pour endormir les insupportables questions existentielles en passant par les douleurs physiques.
    Ou aux anorexiques qui protestent à leur façon contre un excès de jouissance.
    Si la lutte contre les anxiolytiques devient si obsédante, si torturante, et si elle fait oublier les raisons pour lesquelles ils ont été bénéfiques, pourquoi pas ?
    Mais aussi pourquoi ne pas profiter des acquis chimiques du XXI siècle quand ils ne polluent rien, ne dégradent rien, n’agressent rien…
    Quand le mal de vivre tue, faudrait-il le laisser faire ?

    Pourvu que l”anxiolysé” ne s’endorme pas au volant, n’agisse pas en dépit de ses intérêts, et garde le contact avec le prescripteur je ne lui jetterai pas le premier comprimé …

  8. Pfuit ! Vous êtes nombreux comme ça ?

  9. Ca c’est de la révélation où je ne m’y connais pas, du genre qui force le respect. Pourquoi? Perso ça me paraît évident, c’est pour faire chier la fatalité.

  10. Courage ! Les psy ont refusé de m’aider alors j’ai arrêté de prendre ces saletés de drogue toute seule du jour au lendemain. J’ai été malade comme un chien durant 5 semaines, au bout desquelles j’ai trouvé la délivrance ! Je n’ai jamais revu de revendeur de drogue… Euh pardon : de psy 😉 de ma vie. Maintenant j’ai un coash.

  11. Honnêtement, je crois que c’est commun d’avoir des maux d’estomac quand on arrête quelque chose, il n’y a pas à s’en faire. (Pour moi c’était causé par le fait de me jeter sur un truc que je ne digère pas pour compenser le manque, du coup remplacer par une autre nourriture a réglé le problème.)
    Bonne chance pour la suite. Des fois « ralentir » l’arrêt (c’est-à-dire espacer plus les « paliers » de baisse du dosage avant arrêt total) peut aider à être moins en manque, aussi.

  12. En tant que dépressif endurci. Je me proclame expert en matière de maladies neurologiques. Je pense que cela va de soi.
    Ma seule inquiétude c’est c’est que je vois d’anafranil dans l’arsenal des maladies d’humeurs.

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