Il paraît que le suffrage universel est souverain. Qu’à partir du moment où la population s’est exprimée lors d’une consultation électorale, il faut respecter le verdict sorti des urnes, quelle que puisse être la nature de ce résultat. C’est le jeu de la démocratie nous dit-on, on ne peut pas aller contre la volonté du peuple, ce serait une grave atteinte aux Lois de la République.
Ah.
Autrement dit, si demain l’autre ahuri de Donald Trump venait à triompher lors des prochaines élections américaines, il faudrait le féliciter, lui dire ”bien joué mon pote, c’est toi le meilleur, rien à redire, le peuple a tranché, installe-toi au bureau ovale, fais comme chez toi, voilà les bons numéros pour déclencher le feu nucléaire.”
Puisque le peuple en a décidé ainsi.
Et si demain l’autre effarée de la renaissance nationale sortait vainqueur des présidentielles, il faudrait aussi la féliciter, lui dire ”bien vu ma cocotte, c’est toi la plus forte, le peuple t’a plébiscitée, ramène-toi à l’Élysée et prends tes aises, tu es chez toi ici, le fichier des six millions de Musulmans suspects, c’est dans ce tiroir-là. ”
Puisque le peuple en aura décidé ainsi.
Imparable.
Sauf que pour être élus, Marine ou Donald auront enchaîné bobards sur bobards, éructé des promesses aussi farfelues qu’irréalisables, usé et abusé d’une rhétorique basée sur des peurs irrationnelles, agité des dangers tout sauf réels, assis leurs démonstrations sur des statistiques fantaisistes, se seront évertués, en toute conscience, à dire à l’électeur de base ce que très exactement il voulait entendre, en flattant sa haine de l’autre, son goût pour la violence ou son désir d’auto-défense.
Bref, à trahir l’esprit même de la démocratie.
Il est bien là le nœud du problème : le populiste, par définition, ne joue pas le jeu de la démocratie, il se sert d’elle uniquement pour asseoir son autorité, il la viole pour mieux l’engrosser, il lui fait des enfants illégitimes, à aucun moment il ne la respecte et use de la liberté de parole qu’elle lui accorde pour saper ses fondements même.
Et une fois installé au pouvoir, quand il aura passé avec succès l’épreuve des urnes, il se retrouvera alors libre d’agir à sa guise : fort de sa légitimité acquise à coups de mensonges et de promesses impossibles à tenir, de slogans rances et d’idéologie fielleuse, à l’aide de mesures autoritaires et de décrets martials, il pourra tranquillement amener son pays au bord du gouffre voire même le précipiter tout droit dans la gueule de l’enfer.
Provoquer cataclysme sur cataclysme, hypothéquer l’avenir de ses concitoyens sur des décennies, menacer l’équilibre même du monde.
Et le plus souvent, confisquer la démocratie qui aura permis son avènement.
Le peuple se sentira trahi, il regrettera, il dira sa déception d’avoir cru à des chimères, il confessera sa légèreté, son inconséquence, sa folie passagère mais ce sera trop tard, beaucoup trop tard : le mal aura été commis et seul le passage du temps permettra (ou pas) de revenir un jour à des époques plus apaisées.
Autant dire que je préfère nettement qu’en pareille circonstance – quand le populisme se joue des peurs de nos concitoyens, quand le peuple ne parvient plus à raisonner et se laisse aller à ses pires instincts, quand la folie rôde et menace d’emporter tout sur son passage – la démocratie soit mise entre parenthèse.
Que le processus électoral soit gelé. Le bon déroulement des institutions mis de côté. Le pouvoir confié à des gens de bonne volonté issus de formations réellement démocratiques. Que l’on fasse fi du peuple et de son vote. Qu’on lui retire ses prérogatives de choisir ses représentants.
Le temps nécessaire.
Le temps pour lui de redescendre de son ivresse électoraliste, de rassembler ses esprits, d’abandonner ses douces chimères et d’affronter la réalité telle qu’elle se présente et non point telle qu’il la fantasme. De s’offrir une petite cure de désintoxication et de revenir à des dispositions dictées non plus par la seule satisfaction de ses instincts primaires mais par le simple bon sens.
Agir de la sorte n’est peut-être pas très démocratique, c’est assurément bafouer d’une certaine manière l’idéal républicain, c’est évidemment aller à l’encontre du peuple, c’est possiblement prendre le risque d’instaurer une sorte de dictature technocratique, mais si de pareilles décisions destinées à rester temporaires peuvent empêcher les hommes de succomber à leurs pires tentations et préserver de la sorte le futur de l’humanité, c’est un risque que je veux bien courir.
Entre deux maux…
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La démocratie n’est pas une vertu, c’est un régime de légitimité, si le peuple a besoin de poser la main sur la plaque de la cuisine pour se rappeler que ça brûle, tant pis pour lui.
En théorie il y a une constitution et des contre-pouvoirs pour empêcher un élu de faire n’importe quoi (quoiqu’on a vu que même Valls pouvait piétiner ces principes allègrement, pourtant il ne vient pas du FN).
Si le peuple vote pour ces gens c’est justement aussi à cause de ce genre de raisonnement et parce qu’il pense qu’on lui a confisqué sa souveraineté. Et puis bon quand on entend les discours de Valls, Sarko ou Clinton, ce n’est pas franchement plus enthousiasmant que Le Pen ou Trump, c’est moins grossier, vulgaire et méchant en apparence, mais intellectuellement ça ne vole pas beaucoup plus haut.
Et puis est-ce qu’on est sûrs que les uns sont pires que les autres? Trump sera anxiogène et honteux pour l’Amérique, mais pour le reste du monde il est peut-être moins dangereux que Clinton, et en France c’est Sarkozy qui a détruit la Libye, Hollande qui voulait remettre le couvert en Syrie, etc. La respectabilité n’est pas un gage de bonne gestion loin de là.
De toute façon : Le Pen ne sera jamais élue, et Trump ce serait moins surprenant mais ça m’étonnerait quand même.
Le titre du billet est lui-même une mise en abyme vertigineuse, qui engloutit le lecteur est le place en dehors du réel,
c-à-d votre position actuelle.
Sachez tout de même que la dictature technocratique est le régime en vigueur en Europe ??.
Ma foi pourquoi pas . Je vois un seul gros problème , qui décidera que la “dictature” des technocrates est finie ?
@ Bulldozer: Je me méfie des gens pour lesquels “Le Pen ne sera jamais élue”. Sûrement les mêmes qui au siècle dernier disaient “Le Pen ne passera jamais le premier tour”.
Quant à Valls qui “piétine” Constitution et contre-pouvoirs, on se demande de quoi vous parlez. Du 49-3? On peut penser tout ce qu’on veut de sa légitimité politique, des revirements des socialistes qui dans l’opposition trouvaient que c’était dégueulasse et au pouvoir y ont recouru. Mais on difficilement nier sa légalité. Donc vous parlez peut-être d’autre chose. De quoi?
@Laurent Sagalovitsch
Si on applique votre idée, on se lance dans un exercice encore plus périlleux: trouver un système perçu comme légitime qui permettra de décider qui sont les “gens de bonne volonté issus de formations réellement démocratiques”. Si les électeurs se sentent de plus en plus mal représentés par ces formations dites “classiques”, on doute que les installer au pouvoir arbitrairement sera de nature à calmer la colère. Quand on ne peut plus voter, quand on sent toute sa classe exclue du système économique, éducatif et politique, que reste-t-il pour exprimer son mécontentement? La rue, la violence, la révolution. La France le sait très bien!
J’entends bien ! Mais alors on laisse un pays se suicider tranquillement sans rien entreprendre ? On a dit plus jamais ça en 1945…
Si Marine Le Pen est élue, il semble malgré tout improbable qu’elle remporte les législatives. On a déjà l’expérience de ce que donne une présidence de cohabitation: c’est le Premier ministre et son gouvernement qui décident de l’essentiel. Maintenant si le FN devait remporter des législatives, si la digue du scrutin majoritaire à deux tours devait sauter, alors là, je ne sais pas. Il y a des contre-pouvoirs, même s’ils ne garantissent pas forcément contre tout, comme le Sénat (dont l’Assemblée peut ignorer l’avis, certes), comme le Conseil constitutionnel (qui n’est pas saisi sur tout, certes). Il faut espérer qu’ils joueraient leur rôle.
Mais pour ma part, je me dis que si la République française devait nier le résultat d’élections, elle rejoindrait dans l’Histoire des régimes peu recommandables, comme l’Algérie de 1991 ou l’Égypte d’aujourd’hui. C’est tragique, nous manquons cruellement d’expérience sur la bonne façon de sauver une démocratie quand ses électeurs veulent la saborder. Mais ce n’est peut-être pas une raison pour la suspendre, et donner raison à ceux pour qui la démocratie n’est pas le bon régime!
Pauvre fou
Merci pour ce bel exercice de culpabilisation du “plouc-émissaire”! Le beauf du coin paumé qui vote Lepen qui n’est animé que par la haine et pire … ce salaud … est attaché à ses traditions d’un ancien temps, son héritage… Mais quelle pourriture franchement! Cerise sur le gâteau : on lui donne le droit de vote… Non mais allo quoi!? T’es dans une démocratie et t’as le droit de vote le plouf!?
Et oui, les mutins de panurge imposent leur mode de vie, leur façon de pensée, leur conception de la vraie démocratie – celle qui respecte les bornes de la pensée confuso-onirique infantilisante, pleine de bienveillance dangereuse et de tolérance hypocrite – et le petit plouc, attaché à ses petites valeurs anciennes rétrogrades renvoyant (bouh, attention!!!) “aux heures les plus sombres de notre histoire”, doit être ségrégué (à leur tour, me diriez-vous!).
Allons plus loin, vous avez raison… Pourquoi pas!? Allons plus loin dans le totalitarisme, la liberté d’expression et la liberté de pensée ne sont plus qu’un doux rêve, alors le droit de vote… A être trop gentil avec les ploucs, ils risquent de remettre en cause votre idéologie, écrasez-les!!
Nous sommes dans un moment très étrange comme l‘Histoire en a connu. Aujourd’hui toutes les opinions se valent, les complots expliquent tout, c‘est le bordel. Nous avons un président qu‘à titre personnel j‘apprécie, qui est un bon garant de l‘Etat de droit. Les idées qui se mettent en place même au sein de la droite républicaine font peur (cf. la réforme du droit pour gérer la sécurité). Ils pensent lutter contre le FN par la surenchère. Les tenants de la “vraie gauche” crient que nous ne sommes plus en démocratie, ils sont selon moi complètement hors-sol sur les questions économique et sécuritaires. Je m‘arrête là, il y aurait tant à dire, le tissu politique est tellement morcellé, à l‘image de notre société hypermoderne, ni personne ni aucun projet ne pourra rassembler. Dans ce bordel, j‘en reviens à une grande vérité en politique, le choix se dirige vers le moindre mal, parce que les choix de facilité nous ferons courrir à notre perte tellement notre cohésion, ne serait-ce que nationale, est fragile.
Jusqu’à aujourd’hui je savais pas que Slate c’était de la grosse merde.
Si l’on a peur que les Trump et Le Pen accèdent au pouvoir grâce à leurs mensonges, c’est qu’ils arrivent à bien les diffuser leurs mensonges. A quoi servent alors les médias ? Les médias qui sont censés être le 4ème pouvoir ! On dit qu’ils profitent de la haine de l’autre pour accéder au pouvoir, alors qu’on dise également que les médias leur facilitent la tâche en répandant la peur de l’autre et surtout celle du “sarrasin” !
« J’entends, par peuple, la populace qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire; ils mourraient de faim avant de devenir philosophes. Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir, comme moi, une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis. Ce n’est pas le manoeuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes : cette entreprise est assez forte et assez grande.
Il est vrai que Confucius a dit qu’il avait connu des gens incapables de science, mais aucun incapable de vertu. Aussi doit-on prêcher la vertu au plus bas peuple .
( …)
Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu. »
(lettre de Voltaire à Damilaville du 1er avril 1766)
Con et salaud de peuple qui veut être respecté alors qu’il n’a même pas fait l’ENA !
Et qu’il n’est même pas un petit auteur de troisième rang !
Eh bien, la preuve est faite non?
J oubliais : les mutins de Panurge , j adore .
Wer nicht hören will , musst füllen . Qui ne veut entendre doit subir . Laissons le FN prendre le pouvoir . Le pays sera dans une merde pas possible et sera guéri pour longtemps .
Tient donc. Au début les Republicain étaient de toute façon plus republicain que les frontistes et puis après ils voulaient mettre en place des camps. Ensuite par le truchement d’un sophisme de toute beauté les États Unis ressemblaient étrangement à une dictature. Et désormais il ne vaudrait mieux pas “une liberté dangereuse qu’une servitude tranquille”. Peut être que si on en est là c’est parce que ceux qui sont élu font du boulot de merde. Alors évoquer la quête des meilleurs des meilleurs des meilleurs pour nous sauver ne me paraît pas des plus judicieux. ^^
Ce que l auteur suggere, c est ce qu on fait les generaux algeriens quand le FIS allait prendre le pouvoir. du coup on en effet inetrrompu le process electoral, les islamistes n ont pas ete au pouvoir MAIS le pays a sombre dans 10 ans de guerre civile …
C est vraiment ca que vous voulez ?
Vous croyez qu un pouvoir qui s assoie sur les elections et decide de mettre quelqu un d autre (et qui ? On met Hillary meme s il elle a perdu ? En France on met Sarkozy meme s il a perdu face a Marine au second tour ?) va avoir la moindre legitimité ?
Actuellement meme si Hollande est au fond des sondages, le pays fonctionne. Que se passera t il si un president bis non elu decide d une mesure impopulaire ? Qui pourra dire que la loi en question doit etre appliquee ? et qui l appliquera ? Il va falloir developper une police politique de type stasi pour que ca fonctionne sou sla contraite